surprise surprise...(v2) -- Julian
Ce n'était pas dans ses habitudes, de réagir comme ça. D'employer un ton aussi sarcastique, aussi cinglant ; surtout pas face à son aîné. Mais c'était sorti tout seul, comme un réflexe de son être se braquant instinctivement. Il ne détestait pas son frère. Il en aurait été bien incapable. Mais il ne pouvait renier la tristesse et l'amertume que la vision de Julian avait provoquées.
Julian, il avait toujours été son pilier, la variable inébranlable de sa vie au milieu d'un couple de parents incapables de tenir leur rôle, enfermés dans leur envie de perfection. Julian, il avait été son rayon de soleil, son point d'appui tout au long de sa vie. Quand il avait refermé la porte derrière lui, Edmund avait eu la sensation de se retrouver seul dans le noir. Aveugle, comme incapable de savoir dans quel sens allait. Peut-être que c'était un peu de sa faute ; de ne pas savoir se débrouiller seul. Il était jeune, mais pas tant que ça non plus. Il aurait pu grandir lui aussi, comme Julian avait dû le faire avant lui. La plus grande difficulté, ce qui l'avait vraiment tiré vers le bas, c'était de se retrouver en tête à tête avec un paternel qui n'avait plus qu'un seul fils et rien pour l'empêcher de jeter toutes ses attentes sur son dos. Edmund, il aurait voulu que Julian le prenne avec lui. Lui épargne ces dernières années de misère émotionnelle, de quotidien monotone, d'écrasants espoirs, de doutes, de blessures.
Et maintenant qu'il était face à Julian, malgré l'amour qui battait en arrière plan, malgré ce fond de soulagement d'enfin revoir son frère, c'était tout le reste qui était monté à la surface. Edmund était presque incapable de maîtriser ses faits et gestes ; comme un mécanisme de défense face à tous les souvenirs douloureux qui l'assaillaient, Edmund battait en retraite, cachait sa souffrance derrière un visage un peu renfermé, un regard fuyant, des gestes saccadés, une voix sèche. Ce n'était pas vraiment lui, mais c'était aussi ce que près de quatre années seul face à son père avaient pu laisser comme marques. L'anglais ne manqua pas de remarquer le sursaut que ses paroles avaient provoqué chez son frère. Cette forme de surprise de voir le plus jeune faire étalage d'un comportement qui n'avait rien à voir avec le petit garçon que Julian avait connu. Edmund le regrettait sincèrement, dans un sens. Il regrettait de devoir montrer à son frère un infime morceau des conséquences de son départ. Mais il ne se sentait pas prêt à s'excuser. Malgré les yeux brillants de Julian face à lui, le désarroi qu'il semblait exposer face à ce petit frère qui tentait de se dérober face à sa présence. Oui, Edmund n'était pas venu à Oceanside pour partir en courant en se retrouvant face à Julian ; mais à cet instant précis, il se sentait épuisé. Incapable de mener la conversation qui se profilait à l'horizon.
Julian sembla reprendre ses esprits, réalisant que Edmund le poussait vers la sortie en fermant la porte à la discussion. Wait !..Ed… I.. What are you doing here ? Are you at least okay ? okay? C'était un mot qui lui semblait tellement dérisoire face aux cicatrices invisibles que son père avait laissées sur lui. Yeah, totally, fine, re-really... Malgré lui, sa voix avait flanché au milieu de cette nouvelle réponse teintée de sarcasme. Amazing. qu'il reprit d'une voix se voulant un peu plus ferme, alors que ses yeux restaient baissés. Il aurait voulu que Julian en reste là, reparte avec ses achats, promette à la limite de prévoir de vraies retrouvailles, quelque chose de plus intime, de plus entre eux, un jour où Edmund se serait plus préparé, moins pris au dépourvu. Mais il aurait dû s'en douter, Ed, que Julian n'allait pas l'abandonner comme ça. Pas encore.
You might not want to talk to me and..I understand. Ce n'était même pas vraiment qu'il n'en avait pas envie. Au fond, il ne demandait que ça, Edmund. C'était pour ça qu'il était ici. Pour retrouver ce frère qui, avant tout, lui avait si cruellement manqué. Mais il en avait presque peur, de cette conversation. Parce que même s'il en voulait à Julian de l'avoir laissé derrière, il n'était pas sûr de pouvoir lui avouer tout ce qui s'était passé après coup. Il lui en voulait, oui, mais pas au point de lui offrir de quoi nourrir ses remords et sa culpabilité. Il n'était pas idiot, Ed. Il connaissait son frère. Il savait qu'il avait dû faire ce choix pour son propre bien-être - oh, comme il le comprenait bien sûr. Mais il savait aussi que Julian ne pouvait pas avoir fait autrement que de penser et repenser à ce petit frère laissé en Angleterre. A se maudire de ce choix fait en faveur de l'un, et au détriment de l'autre. Et malgré son amertume, Edmund tenait trop à son aîné pour lui apporter les preuves de ce qu'il redoutait. But I think we really need to discuss a lot of thing. The first being you coming here. Il restait silencieux, Ed. Le regard toujours fuyant, baissé sur le tapis de la caisse. Il ne voulait pas craquer. Ne voulait pas étaler face au reste des clients, à son patron, à son frère, combien il était sur le point d'éclater et de laisser toutes les larmes s'échapper. Il ne voulait pas croiser le regard insistant de son frère, car il ne serait pas capable de refuser ce qu'il était en train de lui demander. Un coup d'œil et c'était tout ce qui suffirait pour le convain-... Please. A vrai dire, le coup d'œil n'avait même pas été nécessaire. Un seul petit mot soufflé d'une voix douce et voilà que le jeune homme se sentait flancher. Bien sûr qu'il avait envie de retrouver son frère. Retrouver le lien qu'ils avaient. Que cela ne se ferait pas sans cette discussion. Mais il aurait tellement préféré avoir la maîtrise de la situation. Tout semblait lui échapper, filer entre ses doigts et n'ayant pu se préparer à revoir Julian dès ce soir-là, Edmund ne savait pas ce que le reste de la soirée allait donner. Et ne pas savoir le terrifiait. I’ll wait outside for the end of your shift. Presque malgré lui, Edmund finit par relever la tête, croiser le regard de son frère intensément braqué sur lui. And I’m not leaving until I’ve spoken to you. A son tour, Edmund pinça ses lèvres, tentant de retenir les larmes qu'il sentait vraiment rebelles là, au coin de ses yeux. Fine, lâcha-t-il. fine. I'll-I'll be outside in a few minutes...
Ses yeux de nouveau fuyants, il ne vit que du coin de l'œil son frère reprendre ses articles avant de se diriger vers la sortie. Ed n'eut pas bien longtemps avant d'être forcé à se reprendre. Déjà, le client suivant se présentait à la caisse.
Les quelques minutes suivantes lui semblèrent infinies, lentes au possible. Puis, comme une jolie musique dans ses oreilles, la voix du gérant retentit derrière lui, mettant fin à sa journée de travail. Filant en quelques instants vers les vestiaires, Edmund y laissa ressortir tout ce qu'il avait tenté d'enfermer. En quelques secondes, ses joues se retrouvèrent baignées de larmes, alors que d'une main tremblante posée sur sa bouche, il étouffait un sanglot incontrôlable. Les doigts refermés sur sa veste, il l'enfila tant bien que mal, tentant à nouveau de reprendre contenance, de se calmer aussi rapidement que possible. Il aurait aimé que Julian ne puisse pas se douter qu'il avait eu besoin de pleurer. Mais face au miroir, le doute n'était pas permis ; ses yeux rouges le trahiraient forcément. Il n'avait pourtant pas le temps de faire mieux. S'il restait ici plus longtemps, les larmes finiraient forcément par revenir et s'il était trop long à sortir, Julian viendrait le chercher lui-même, il en était certain. Un instant, il s'imagina trouver un échappatoire, emprunter la petite porte de service qui donnait à l'arrière du magasin, directement dans une ruelle qui lui aurait permise de rentrer chez lui, incognito, plantant Julian sur le parking comme lui l'avait planté chez eux. Un instant, cette idée lui sembla très alléchante. Puis il se fit une raison. Il aurait bien fallu, de toute manière, qu'il trouve un jour le courage de toquer à la porte de Julian. L'occasion était là, devant lui. Il ne pouvait pas la fuir maintenant ; il fallait qu'il le fasse.
Totebag sur une épaule - qu'est-ce qu'il trouvait ça pratique, ces sacs, plus petits qu'un sac à dos mais bien suffisants pour transporter le peu dont il avait besoin en sortant de chez lui - il sortit finalement sur le parking, repérant en un instant la silhouette de son frère. Mains tremblantes fourrées dans les poches de sa veste, il referma la distance qui les séparaient, gardant ses yeux un peu baissés pour éviter que Julian ne remarque trop rapidement le rouge qui les teintait. I'm here, fut tout ce qu'il trouva à dire.
Il fut un temps où Julian aurait su déceler d’un coup d’œil les mensonges de son petit frère. Mais il était désormais ardu pour lui de démêler le vrai du faux dans les paroles de ce dernier, de cerner ce que sa voix et ses gestes révélaient d’habitude sur lui. Et même s’il pouvait sentir au fond, que quelque chose sonnait faux dans les réponses d’Ed, il ne pouvait s’empêcher de constater le gouffre qui s’était creusé entre eux après près de quatre ans sans se voir. Parce que la vérité était qu’il ne connaissait plus son frère comme il l’avait fait à l’époque et qu’il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même pour cela. Le cœur lourd d’émotions encore tourbillonnantes face à la situation, mais bien déterminé à comprendre la raison de cette présence surprise, Julian ne put que lui demander de bien vouloir discuter avec lui. Parce qu’ils avaient beaucoup à se dire et que s’imaginant déjà le pire, il avait besoin de savoir ce qui avait bien pu arriver pour qu’Edmund se trouve à Oceanside. Le soulagement fut donc immédiat lorsque son frère accepta, mini pousse d’espoir se frayant un chemin à travers la boule d’anxiété lui plombant l’estomac. Il ne lui avait pas vraiment laissé le choix à vrai dire, mais il était tout de même heureux de voir qu’il n’était pas fermé à l’idée de renouer avec lui ; d’essayer de rattraper le temps perdu ou juste de simplement s’écouter et se comprendre. S’emparant donc de ses petites courses, il quitta alors le magasin d’un pas traînant et sans jamais détourné le regard du visage de son frère ni même cligner des yeux de peur de le voir disparaître ou de ne s’apercevoir que sa présence n’était qu’une chimère de son esprit.
Une fois ses affaires rangées dans le coffre dans un état second, il s’adossa contre sa voiture en lâchant un grand soupir. La situation était tellement inattendue et ses émotions si confuses que son esprit n’arrivait plus à mettre de l’ordre dans ses pensées. Déboussolé, il fouilla instinctivement dans la poche arrière de son jean pour y empocher son briquet puis tâtonna sa veste à la recherche de ses cigarettes avant de ne rapidement lâcher un grognement frustré en se rappelant qu’il avait pris sur lui de les laisser à son appart quelques heures plus tôt. Forcément, il avait choisi le pire jour pour tenter de pallier son tabagisme lui. Il se massa les tempes d’un air las, puis les minutes d’attentes semblant durer une éternité pour lui, il choisit de fermer ses paupières et de tout mettre en off. Pour juste quelques instants, il voulait faire une pause, faire le vide dans ses pensées et faire redescendre la tension qui avait pris son corps en étau. Parce que revoir Ed sans avertissement avait fait resurgir des fragments d’une vie à Londres qu’il avait fait son possible pour enterrer très loin au fond de sa psyché et qui envahissait maintenant le havre de paix qu’il s’était construit à Oceanside.
Au son de pas sur l’asphalte, il rouvrit aussitôt les yeux et fixa son regard sur la forme d’Edmund s’approchant. Qu’elle était la prochaine étape à présent ? Malgré l’envie d’arracher le pansement en lui posant directement les questions les plus importantes pour entrer dans le vif du sujet; Julian ne voulait pas l’accabler non plus. Il semblait être présent dans la ville depuis quelque temps déjà, puisqu’il y avait déjà trouvé un emploi. Pour autant, il n’avait fait aucune démarche pour contacter Julian. L’aurait-il même fait s’il ne l’avait pas croisé inopinément dans le magasin ? Lorsqu’enfin son frère se retrouva à ses côtés, lui offrant un simple “I’m here” comme parole, Julian ressenti le besoin soudain de le prendre de ses bras. De le serrer fort en lui livrant mille paroles d’excuses puis lui dire combien il lui avait manqué. Mais il n’était pas sûr de la manière dont son frère recevrait ce geste, au fond avait même plus peur d’éventuellement être rejeté ; alors il se contenta de poser une main sur son épaule. Son geste fut hésitant, comme s’il prenait la température, mais teinté d’affection; une porte ouverte à une étreinte s’il le voulait bien. “Yes you’re here. And I’m precisely wondering why.” Qu’il se força à articuler d’une voix douce, comme s’il avait peur de le braquer. “How long have you been here ?”Il scanna le visage de son frère pour en mémoriser toutes les évidences de ces quelques années à évoluer loin l'un de l’autre jusqu’au moment où son regard se posa sur les taches rouge pâle entourant ses yeux. Avait-il pleuré ? Une peine soudaine transperça son cœur comme un poignard affûté. Instinctivement, ses mains vinrent relever puis entourer le visage d’Edmund pour le regarder de plus près. Il avait beau essayé de les baisser pour les lui cacher, Julian ne pouvait pas le louper : c’était bien des yeux rougis par des larmes qu’il voyait. “Ed…” Murmura-t-il, la gorge serrée. “I’m sorry.” Il prit une grande inspiration avant de reprendre. “I’m so freaking sorry I had left you the way I did.” Les voilà, les mots qu’il avait tant attendu de pouvoir lui dire en face à face depuis son départ, le rongeant jour et nuit. Parce qu'il ne supportait pas de voir son frère triste et encore moins de savoir qu'il en était d'une manière ou d'une autre responsable.
Ce n'était pas par hasard qu'Edmund avait fait le choix de partir à Oceanside. Bien sûr qu'il était venu pour retrouver son frère ; bien sûr qu'il était là dans l'espoir de recoller les morceaux entre eux, de réparer leur relation devenue fragile. Mais cela s'avérait aussi plus compliqué qu'il ne l'avait prévu, imaginé. Près de deux semaines qu'il était là, et tomber par hasard sur son frère le mettait dans un véritable état de panique. Il avait besoin de s'y préparer, de prévoir ce qu'il allait pouvoir lui dire, de mettre en ordre toutes ses pensées et ses doutes et ses émotions contradictoires. Deux semaines qu'il était là et deux semaines qu'il ne pensait qu'à ça. Comment aborder Julian ? Que lui dire exactement ? Que lui dissimuler ? Des années en arrière, il ne se serait pas posé la question : il aurait tout dit, tout raconté, la boule au ventre, les larmes aux yeux, il aurait offert toute la vérité à son frère. Aujourd'hui, face au regard suppliant de Julian qui espérait amorcer cette difficile discussion entre eux, Edmund ne savait pas ce qu'il devait partager. Il ne pourrait pas tout recouvrir d'une jolie couverture rose et brillante ; Julian ne connaissait que trop bien leur paternel et ses manières, il verrait en un clin d'œil à travers les non-dits. Mais si Edmund avait beau en vouloir amèrement à son aîné de l'avoir abandonné en Angleterre, il l'aimait de cet amour qui ne pouvait jamais vraiment s'effacer entre eux. C'était un amour qui avait été malmené, meurtri, mais il vibrait encore malgré tout. Et Edmund... Edmund il savait que la vérité briserait le cœur de son frère.
Pourtant, aussi inquiet était-il à l'idée de devoir mener cette conversation sans trop en dire à Julian, Edmund n'avait pas pu refuser. A la fois car son frère ne lui laissait guère le choix, mais aussi parce qu'il ne pouvait pas repousser ce qui finirait forcément par arriver dans tous les cas. Il le regarda s'éloigner vers la sortie du magasin, les yeux braqués sur lui, alors que de son côté, il l'observait du coin de l'œil, son attention soi-disant tournée vers le prochain client. Certes, cela faisait près de quatre ans qu'ils ne s'étaient pas vus ainsi. Qu'ils n'avaient pas eu une longue et intense discussion comme celle qui se profilait. Certes, Edmund avait changé, beaucoup, et sans doute que Julian aussi, après quatre ans loin du poids des attentes familiales. Mais l'anglais ne se faisait pas d'illusions : il savait d'avance qu'il faudrait qu'il soit habile dans ses paroles pour épargner son frère sans élever ses soupçons. Il finirait par lui dire le reste, oui... mais pas tout de suite. Pas quand tout semblait tenir sur un fil trop fin aux yeux d'Edmund.
Seul dans les vestiaires, alors qu'il essuyait vainement ses yeux et ses joues, tentant de dissimuler autant que possible les larmes qui avaient fini par couler, Edmund s'efforçait de calmer ses pensées affolées. S'il mettait les pieds devant Julian sans avoir apaiser sa nervosité, il ne lui faudrait pas deux minutes pour faire une gaffe et dire le mot qui en apprendrait un peu trop à son frère. Expirant désespérément par la bouche, il resta encore quelques instants debout, immobile, concentré sur sa respiration, avant d'amorcer un pas vers la sortie, vers le parking, vers son frère.
Mains dans les poches, tête un peu baissée, il resta comme ça, un peu gêné, devant la silhouette de Julian qui semblait un peu hésiter sur le reste de la marche à suivre. C'était ce que quatre ans de simples échanges téléphoniques avaient fait à leur lien. Des conversations courtes, sans vraiment de détails sur leur vie ; c'étaient elles qui avaient fragilisé leur relation.
Les yeux plantés sur le torse de Julian, sans oser regarder plus haut, espérant que le rouge de ses yeux s'évanouisse avant que son frère ne s'en rende compte, Edmund eut un léger sursaut en sentant la main de son aîné se poser délicatement sur son épaule. Un peu tendu, Edmund releva malgré lui les yeux vers Julian, appréciant sans rien en dire ce premier contact depuis trop d'années sans étreintes de son frère. Il sentait déjà les larmes lui piquer la rétine. Yes you’re here. And I’m precisely wondering why. C'était la question dangereuse, celle qu'il devait bien gérer. En offrir assez pour être convaincant, ne pas en dire de trop pour préserver son frère. I... I just... commença-t-il d'une voix un peu tremblante, essayant à toute vitesse de trier parmi ses pensées pour choisir la meilleure option pour sa réponse. How long have you been here ? Celle-ci, c'était déjà bien plus simple d'y répondre. About... about two weeks, but-... Il voulait s'excuser, Edmund. Expliquer qu'il avait voulu lui rendre visite, amorcer leurs retrouvailles lui-même, ne pas les laisser au hasard, mais Julian ne lui en laissa pas le temps. Il avait repéré les signes des larmes effacées qu'Edmund avait voulu cacher. En quelques secondes, Edmund retrouva la sensation familière et délicate des doigts de son frère posés sur la peau de ses joues, qui le forcèrent à complètement relever la tête pour laisser tout le loisir à Julian de voir le chagrin qu'Edmund avait tenté de dissimuler. Il avait beau essayer de détourner le regard, c'était peine perdue. Julian avait bien deviné ce qui se tramait dans le cœur de son petit frère. Ed… I’m sorry. I’m so freaking sorry I had left you the way I did. Il essayait de ne pas trop regarder le visage peiné de son frère, Edmund, mais cela ne l'empêcha pas de se sentir perdre contrôle. Il le sut à la manière dont ses lèvres s'étaient mises à trembler, dont ses yeux le brûlaient. Sous le regard intense de Julian, Edmund ne tint pas quelques secondes de plus. Le sanglot secoua sa poitrine alors que les larmes se mettaient à dévaler ses joues, échouant sur les mains de son frère. Et maintenant que le flot était ouvert, il n'y avait plus rien pour le retenir.
Les sanglots se firent plus longs, plus intenses et sans plus y réfléchir, Edmund plongea la tête dans le creux du cou de son frère, glissant ses bras dans son dos, l'enlaçant avec une forme de désespoir. Il s'était demandé, parfois, s'il aurait l'occasion de refaire ce geste un jour. I just wanted you... I just wanted to stay with you. I wanted you to take me with you... Les épaules secouées par ses pleurs, blotti contre Julian, Edmund se sentait comme le petit garçon qu'il avait été, qui trouvait toujours du réconfort auprès de son frère. I felt so... alone, without you. I felt... I felt like I was empty... Les mots s'échappaient malgré lui, passant la barrière de ses lèvres d'une voix tremblante et entrecoupée de sanglots. I was... angry but... I understood. I knew why you did it. I just... I couldn't understand... why you would leave me behind...
Julian n’avait jamais aimé voir son frère pleurer ; ses larmes ayant toujours été sa faiblesse. Très jeune déjà, il s’était promis de prendre soin de cette jeune âme arrivée après lui ; s’était promis d’être toujours à ses côtés, de le guider et de le soutenir. Se rendre ainsi compte qu’il avait failli à toutes ces promesses et ses devoirs de grand-frère faisait naître en lui un flot de honte. Son petit frère avait toujours été tout pour lui. Du moins jusqu’au jour où son besoin de liberté avait fini par compter plus pour lui que leur lien autrefois fusionnel. Il avait beau savoir que le choix qu’il avait dû prendre à l’époque avait été un dilemme dont il n’aurait pu sortir vainqueur, le fait même qu’il ait dû choisir entre les deux avaient été destructeur pour lui et l’un de ses plus grands regrets. Parce que sûrement aurait-il pu trouver un moyen de ne pas avoir à abandonner une chose pour l’autre ? De réussir à être libre sans abandonner son frère, de le protéger tout en se protégeant lui-même de la toxicité de leurs géniteurs. Mais la vérité était que Julian n’en avait pas eu le courage ; au fond n’avait pas eu l’envie de se battre plus que ça, profitant de la première porte de sortie qui s’était présenté.
D’une manière inattendue, Edmund l’entoura alors soudain de ses bras et se serra contre lui, comme l’avait tant espéré Julian quelques instants plutôt. Momentanément surpris, il resta figé, l’espace d’une seconde, avant de rapidement se fondre à son tour dans cette étreinte, la première depuis des années. Le pressant d’autant plus férocement contre lui, Julian essaya de lui transmettre tout ce qu’il n’arrivait pas encore à verbaliser pour le moment : sa tristesse, sa culpabilité, son pardon et bien évidemment tout l’amour qu’il lui portait. Chaque sanglot et larmes qui coulaient sur son visage et qui s’écrasaient alors dans son cou à l’endroit où la tête d’Edmund était posée contre lui, mouillant le col de son t-shirt ; étaient comme recevoir des coups de poings en pleine poitrine. En cet instant, même si fuir ses problèmes avait toujours été une de ses spécialités, et même si apparemment, il n’était pas le meilleur pour tenir ses promesses ; Julian se jura une nouvelle fois de faire son possible pour ne plus jamais être à l’origine, de près ou de loin, de la peine pesant sur le cœur de son petit-frère. L’émotion lui nouant la gorge, il sentit à une vitesse alarmante ses yeux se remplirent d’eau et malgré ses efforts pour se contenir, ne put empêcher ses propres larmes de venir sillonner son visage et s’échouer sur son menton tremblotant.
I wanted you to take me with you..., I felt so... alone, felt like I was empty..., I was... angry but... Entendre ces mots confirmer la douleur que son départ avait provoquée pour son frère lui tordait le ventre. Il n’avait que vingt-deux ans, dix-sept quand il l’avait quitté, et pourtant semblait être hanté de mille tourments. S'écartant légèrement de lui pour voir son visage à nouveau - sans pour autant casser leur accolade - Julian replongea ses yeux dans les siens, le besoin soudain de s’assurer que son frère allait bien, était en sécurité, et surtout bien là, auprès de lui. “I would have take you with me you know. If I could.” Qu’il réussit à dire d’une voix rauque. “And I should have take care of you at that time. Never should have let you in London this way…” Prenant un grand souffle, il ajouta. “I just needed to get out of this city. To be far away from our parents and…I...No, right now is not the right time to say all those things.” Il secoua la tête, mâchoire tendue. “First I want to make sure you’re okay. I see that you’re working, but where do you live exactly ? Is it somewhere safe ?” Il était à deux doigts de lui demander pourquoi il ne l’avait pas appelé, la question s’attardant un instant sur le bout de ses lèvres. Qu’importe la raison, il était tout de même triste de penser son frère n’avait pas pensé pouvoir lui faire assez confiance pour l’appeler en cas de besoin. Parce qu’il l’aurait accueilli Julian, malgré la tension et les non-dits entre eux.
Remarquant autour d’eux la nuit tombante, Julian, loin d'être près à le laisser partir, lui demanda : “Do you want me to drive you home ? Or I can take you to my apartement ?” Sa main venant tapoter le capot de sa voiture. “I think we have a lots to discuss, but I also think we should do it elsewhere, in a more private and calmer place.” Il mordilla le coin de sa lèvre. “You’re not even obliged to explain me why you’re here exactly and not in London, if you don’t want to - even though you’ll ultimately have to tell me. But I want to explain why I left you..behind so suddenly.” Sa colère et son ressentiment, il pouvait le comprendre, et savait au fond qu’il ne pouvait rien y faire au final, le mal étant déjà fait. En revanche, pouvait-il essayer d’apaiser sa tristesse concernant son départ, en lui expliquant toutes ses raisons. Parce qu’il avait besoin de lui dire Julian, à quel point le laisser derrière n’avait pas été facile. À quel point, sa présence, son visage, sa voix et tout son être lui avaient manqué toutes ces années loin l’un de l’autre. Puis il voulait avoir la chance de faire mieux Julian et d’enfin agir en vrai grand-frère, et plus en lâche.
Ce n'était pas qu'Edmund n'avait jamais pleuré devant son frère ; loin de là. Il était toujours celui vers lequel il se tournait lorsqu'il sentait les larmes monter, lorsqu'il savait que son chagrin avait besoin d'une oreille attentive pour se calmer et s'évanouir. Julian, c'était celui qui écoutait, hochait la tête, séchait ses larmes, trouvait toujours le bon mot à dire pour ramener sur ses lèvres un sourire capable de faire disparaître la tristesse. Jamais auparavant Julian n'avait été la cause des larmes d'Edmund ; ou bien si, juste une seule autre fois, lorsqu'il était parti et que, désespéré, Edmund avait alors pleuré et pleuré, se demandant ce qu'il pourrait bien faire sans l'ancre que son frère aîné était devenu pour lui.
Si Edmund avait voulu les retenir, ces larmes, parce qu'il aurait préféré que Julian ne réalise pas si tôt que son petit frère se déplaçait sur un fil bien trop fin et qu'il avait menacé de craquer de nombreuses fois dans les mois passés, au final, il ne regrettait pas cette sensation. Le soulagement de pouvoir pleurer sur l'épaule de quelqu'un à l'écoute, et que ce quelqu'un soit finalement Julian, après tant de fois où lorsque les larmes avaient débordé, il n'y avait eu que son oreiller pour les ramasser en silence.
Ce qui lui avait manqué, dans le fait de pleurer, c'était d'avoir la présence rassurante de Julian pour lui rappeler que les larmes finiraient par sécher et que l'avenir n'était plus si gris ; il l'était resté pendant bien trop longtemps après le départ de son frère aîné. A chaque pleur, Edmund savait qu'un prochain viendrait plus tard, car rien ne semblait pouvoir amener ne serait-ce qu'un rayon de soleil dans son quotidien rendu morne par son paternel. Aujourd'hui, il se laissait aller à ses sanglots, blotti contre son frère, dont l'étreinte délicieusement familière le ramenait à des souvenirs d'enfance teintés de douceur.
Lorsque Julian s'éloigna un peu, de sorte à pouvoir plonger son regard dans celui de son frère, Edmund eut tout le loisir d'apercevoir les larmes qui noyaient également les yeux et les joues de son aîné. Bien sûr qu'il n'avait jamais pensé que Julian ait pu partir sans se sentir tiraillé et attristé par sa décision ; pour autant, cette vision de son frère en larmes lui faisait quelque chose. I would have take you with me you know. If I could. And I should have take care of you at that time. Never should have let you in London this way… La voix de Julian était un peu rauque, comme si les mots peinaient à sortir, que parler de ça lui coûtait autant que cela coûterait à Edmund de donner plus de détails sur son départ précipité d'Angleterre. I just needed to get out of this city. To be far away from our parents and…I...No, right now is not the right time to say all those things. Sa phrase laissée en suspens, Julian secoua la tête alors qu'Edmund hochait la sienne, acquiesçant à sa remarque : lui aussi préférait tenir cette conversation à l'abri de possibles oreilles indiscrètes. First I want to make sure you’re okay. I see that you’re working, but where do you live exactly ? Is it somewhere safe ? Edmund reconnaissait bien là son frère, malgré ces années étranges qui avaient mis à mal leur relation. Peu importait que ce qui lui pouvait vivre, Julian faisait toujours en sorte de s'assurer que son frère allait bien. Peut-être était-ce pour cela qu'il était parti sans lui ?... Peut-être avait-il eu assez confiance, peut-être s'était-il dit qu'Edmund serait capable de gérer, et de s'éloigner en cas de besoin... Don't worry, it is a safe place. It's a house, with three other people. And I swear, they are great, really. You don't have to worry about me... Il pinça un peu les lèvres en ajoutant cette ultime phrase. Il aurait aimé, que Julian ne s'inquiète pas autant. Mais son frère était comme ça, et il n'allait pas le laisser tranquille. Jamais il ne se contenterait d'un "j'avais besoin d'un changement de décor. Avec Papa ? Non, vraiment, tout va comme sur des roulettes !"
Autour d'eux, le paysage s'était assombri, laissant place aux prémisses de la nuit, et si Edmund redoutait la discussion qu'il devrait forcément avoir avec son frère, il fut soulagé lorsque ce dernier laissa entendre qu'il ne souhaitait pas mettre fin à leurs retrouvailles de si tôt. Do you want me to drive you home ? Or I can take you to my apartement ? I think we have a lots to discuss, but I also think we should do it elsewhere, in a more private and calmer place. Si Edmund avait été tenté d'accepter de se rendre chez lui, il avait très vite abandonné l'idée : il aimait son nouveau chez lui, et il aurait adoré le montrer à son frère, lui prouver qu'il n'avait pas de quoi s'inquiéter. Mais cela voudrait dire l'introduire à Fitz, Rori, et Lennie aussi... Et Edmund avait plutôt besoin d'intimité avec son frère. Your place would be a bit better, at mine we would have my roommates and it's not the best if we want to have a private conversation... Se rapprochant un peu de la voiture de Julian, Ed releva la tête lorsque ce dernier mentionna l'éventualité de discuter de pourquoi Edmund était parti de chez eux. You’re not even obliged to explain me why you’re here exactly and not in London, if you don’t want to - even though you’ll ultimately have to tell me. But I want to explain why I left you..behind so suddenly. Tendu, ce dernier resta silencieux, laissant Julian finir ce qu'il avait à dire. I'd like that, yes... souffla Edmund, réprimant un peu les larmes qui piquaient ses yeux et qui tentaient de venir remplacer les précédentes qui avaient fini par s'arrêter. But otherwise it's just... there's not a lot to say, about why I left, you know... Edmund feignit une forme d'indifférence, avant de grimper dans le siège passager de la voiture. Il ne voulait pas mentir à son frère ; rien que ces quelques mots dissimulant la vérité semblaient peser une tonne sur sa conscience. Mais plus encore que le mensonge, Edmund redoutait la vérité.
Le trajet lui sembla à la fois bien trop court et bien trop long ; court car déjà ils s'arrêtaient chez Julian, long car les deux frères étaient restés silencieux, alors qu'Edmund avait gardé son regard fixé sur sa fenêtre, observant le paysage défiler, priant pour que tout son être ne soit pas en train d'hurler à son frère "look, look, I lied, so much DID happen !".
Passant la porte de l'appartement de son frère, Edmund garda ses mains fourrées dans ses poches, cherchant à maintenir une apparence calme et détendue, alors qu'il semblait bouillonner de l'intérieur tant son esprit ne cessait de s'inquiéter de la conversation à venir. It's really nice! lâcha-t-il simplement en observant autour de lui, tout pour essayer de calmer ses pensées paniquées.