tw: ràs ♫ Tout est parti d’un défi, un challenge un peu idiot lancé à l’occasion d’une soirée un peu trop alcoolisée autour d’un jeu. Il était si persuadé de gagner qu’il a accepté sans sourciller, mais quand est venu le moment de la défaite, il s’est presque décomposé devant les rires gras de ses camarades et amis. Il a beau aimer se défouler lors de soirées karaoké, pousser la chansonnette de temps à autre en soirée, ou pour accompagner ses mélodies, il n’a jamais eu spécialement envie de se frotter à la scène de cette manière. Et pourtant, en bon joueur, il a décidé de relever le défi malgré tout, échangeant sa place pour un concert avec Nash, le chanteur de son groupe. Ils ont répété, ont sélectionné une liste de chansons des années 80, le thème de la soirée, avec lesquelles il pourrait être à l’aise et s’amuser. La liste était complète, parfaitement ordonnée, jusqu’à ce qu’il se pointe en répétition, la veille du concert, un peu trop agité, en clamant qu’il avait une ou deux chansons à ajouter au programme. Il ne leur a pas expliqué pourquoi, n’a rien dit sur ses intentions, mais en voyant les titres, ils ont tous échangé un regard, comme s’ils savaient.
Le voilà, sa sangle de guitare autour du cou, la mâchoire serrée en observant le public qui commence à s'agglutiner sur le devant de la scène, cherchant celle qui lui aura fait revoir quelques chansons sur sa liste.
« Elle est pas encore là. » Une main se place sur son épaule et il n’a même pas besoin de se retourner, malgré un petit sursaut, pour savoir de qui il s’agit. Sa jumelle, sa complice, qui lui adresse un sourire si grand qu’il se perçoit dans le ton de sa voix. Il soupire, l’index de sa main droite tapotant le dos de la gauche, avant de se retourner.
« Je vois pas de quoi tu parles. » Il sourit, trahissant son impatience de la voir arriver. Il a encore en tête leurs échanges SMS, les petits sous-entendus plus tellement dissimulés, le flirt délicieux qui s’est immiscé entre eux. Il a fait du mieux qu’il a pu pour tenir, ne pas craquer en lui expliquant tout par message, retenant son envie de se laisser aller à céder à ses avances précipitées par l’alcool, quelques jours plus tôt. Cette soirée à eu des airs de tortures, même s’il a été attendri par son état, sa façon d’être comme ça, sans plus de barrière. Il a au moins eu la satisfaction de la savoir en sécurité, en l’ayant lui-même raccompagnée.
Il n’aurait jamais imaginé la suite, les aveux à demi-mots, les façons détournées de lui faire comprendre que la fille dont il parlait tout du long, celle qui a capturé son coeur, a toujours été elle. Trois jours qu’il trépigne d’impatience de la voir, sans vraiment le pouvoir, faute de temps, d’occasions. Mais ce soir, il n’y aura plus de secret, plus de doute, plus rien à cacher en la regardant de façon un peu trop envieuse. Il prend une grande inspiration alors qu’on lui tape sur l’épaule pour l’inviter à monter sur la petite scène, sans qu’il n’ait encore pu l’apercevoir. Ses yeux naviguent d’un spectateur à l’autre, sans jamais trouver la chevelure rousse qui lui laisse imaginer mille scénarios. Une part de lui s’en retrouve effrayé de l’avoir faite fuir, qu’elle ait changé d’avis, malgré tout ce qu’elle a pu lui dire. Il déglutit douloureusement, laissant le soin à Nash d’expliquer la situation, que ce soir, ce sera lui, le chanteur principal, que le groupe a préparé quelques surprises. Il est légèrement déstabilisé, replaçant nerveusement sa sangle à l’arrière de son cou avant que les premières notes commencent à résonner dans la salle.
Elle n’est pas là. Il croise le regard de sa sœur qui le fixe, l’encourageant d’un mouvement de tête, et il se reprend, entamant, d’abord timidement, le premier couplet de
Walk of Life, des Dire Straits. Des sifflets se font entendre dans la salle, et il se met à sourire, finalement entrainé par cet air qu’il connaît bien, et l’enthousiasme de tous ses proches autour de lui.
Bien vite, il se prend au jeu, poussant sur sa voix en se déhanchant en rythme, des coups de guitare pour accompagner son mouvement. Les claquements de mains retentissent, les gens dansent et il prend un plaisir fou à se trouver sur cette scène-là, à cette place qu’il n’a que rarement, et avec laquelle il est plutôt à l’aise, contre toute attente. Le premier refrain arrive, et il ferme les yeux, pris dans la chanson, main sur le micro placé sur pied, sa guitare pendant sur le côté. Lorsqu’il les rouvre enfin, ses yeux sont presque immédiatement attirés par une frimousse qu’il distingue un peu plus loin, à l’entrée du bar, et c’est un large sourire qui se dessine sur son visage. Il est si extatique qu’il en a presque du mal à poursuivre, son sourire ne quittant jamais ses lèvres tandis qu’il la suit du regard. Lorsqu’il capte enfin son attention, son cœur s’affole un peu plus, ses commissures s’élèvent encore et un petit haussement de sourcils, presque imperceptible, la salue. Si c’était un défi, à présent, ce soir, c’est pour elle qu’il chante.
Un fondu musical annonce la fin de la chanson. Il ne l’a toujours pas quittée des yeux, échangeant quelques rires et sourires complices avec elle, puis alors qu’un certain silence se fait, il se décide à prendre la parole.
« Ce soir, c’est un peu particulier. Une occasion qui ne se représentera plus jamais. » Il insiste sur ce dernier point, glissant un regard à son acolyte et meilleur ami sous les huées de quelques spectateurs. Il rigole, avant de rattraper le micro.
« Mais, comme c’est une occasion spéciale, on a choisi des chansons spéciales. Les deux prochaines ont été ajoutées un peu à la dernière minute, à ma demande… » Un coup d'œil à Louise comme pour lui faire comprendre.
« Mais on espère qu’elles vous plairont ! » Il sourit un peu plus, lançant un clin d'œil qui se veut discret à la rousse avant de se retourner, faisant dos à la scène pour préparer cette nouvelle chanson,
The Power of Love, des Huey Lewis & the News.
Des premiers coups de guitare, et il se retourne pour faire à nouveau face au petit public, s’approchant bien vite du micro pour faire passer son message, la fixant encore, l’air complice et taquin tandis que ses sentiments sont mis à nus sur cette scène, entièrement à sa disposition. Les questions que soulèvent la chanson, c’est à elle qu’il les adresse, inclinant la tête comme s’il les lui posait directement.
Can you feel it ? Il s’abreuve de l’énergie qui se dégage de ce concert, ressentant vivement chaque note avec la conviction pure qu’il est ici à sa place.
Cette deuxième chanson se termine, et s’il hésite une seconde, il préfère se taire et laisser l’évidence de la suivante parler à sa place. On peut bien vite reconnaître les premiers airs de
I’m on Fire, de Bruce Springsteen, et cette fois, il se tient droit, ses deux mains accrochées à son micro sur pied, les yeux d’abord clos, sa tête virant au rythme de la batterie. Quelques secondes plus tard, il rouvre ses paupières pour la retrouver, elle, lui confirmant ainsi qu’aucun doute n’est possible, que c’est à elle qu’il s’adresse, qu’il a toujours s’agit d’elle, que toutes les autres n’ont jamais comptées, qu’elles n’étaient au mieux qu’une distraction, le seul moyen, idiot, qu’il ait trouvé pour essayer de l’oublier quelques temps. Sans succès. C’est comme s’il n’y avait plus qu’eux dans la salle, lui au micro, elle pour seule spectatrice.
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