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Let's drop the masks.
Du temps libre, c'est tout ce qu'elle demandait pour le moment. Lorsqu'elle voyait son agenda vide de réunions et de voyage d'affaires, elle avait l'impression de pouvoir redevenir elle-même. Veston en cuir sur le dos, t-shirt ample abordant le groupe de Creedance Clearwater Revival ainsi que des Dr. Martens aux pieds, elle farfouillait dans les disques de vinyles. Si jamais le personnel de son magazine devait la voir ici, ils ne sauraient même pas si elle plaisante ou si c'est vraiment elle. Il est vrai que délaisser les talons et les robes de satin faisait parfois un effet génial. Surtout pour les pieds. - Oh hello Miss Milanov! Still looking for that rare gem? Un rire, elle s'interrompt dans ses recherches. - Damn .. You know me so well Henry! You should renew your stock, it's all old stuff here. Like you !
Près d'elle, un homme aux cheveux bruns qui semblait tout autant intéressé aux vinyles qu'elle. Incapable de ne pas laisser son côté fouineur prendre le dessus, elle étira le cou pour tenter de regarder ce qu'il cherchait. - You shouldn't take this one. I got it. The quality is so damn bad ! We hear a kind of.. crshhh during all the songs which makes listening impossible ! Trust me. I know what im talking about. Let's see. Elle vient prendre sa place, farfouillant autour pour trouver le même disque mais d'une version plus récente. - I'm sure you'll have more fun with this one. Une petite tape amicale sur l'épaule, elle retourne à ses recherches, laissant l'album entre les mains du brun.
C’était peut-être pas une si bonne idée, d’avoir posé ses jours. Il aurait préféré être occupé par son travail plutôt qu’ici chez lui. ( Elle a failli crever, et t’as servi à rien, alors qu’elle t’a sauvé. ) Besoin urgent de se changer les idées, de faire taire les pensées intrusives. Sa chienne sent que quelque chose ne va pas, le regarde avec des yeux inquiets. ( Qu’est-ce qui t’as fait croire une seule seconde que t’avais ta place dans leur famille ? ) Les léchouilles de Mandy, le metal à fond dans ses oreilles ne suffisent pas, la voix gronde plus fort que les décibels de son casque. ( T’as jamais eu ta place dans aucune famille, pas la tienne, même pas celle que t’as fondée. ) Il lui faut quelque chose. Que ce tonnement, ces hurlements cessent. ( C’est bien pour ça qu’on te les arrachés. Tu les méritais pas. ) Putain, que ça cesse.
Il rugit. La canine approche tout doucement et gémit tandis que son maître halète. Il s’abaisse et bredouille d’une voix faible. « Mandy- careful. » il enjambe les brisures et s'accroupit pour la caresser. Il renifle, s'essuie les yeux et lui souffle « I’m sorry, girl. I’m sorry. Let’s- let’s go outside. » besoin de sortir, de se libérer de l’air étouffant de cette pièce.
— - —
Il part à pied, hors de question de donner quelconque inspiration à ses idées noires en utilisant son deux-roues. Il essaye de garder les yeux sur les vitrines, les échoppes, loin de la route, des voitures passantes. La musique émanant d’une échoppe lui fait relâcher les épaules. Alors il ne réfléchit pas longtemps et entre après avoir dit à Mandy de l’attendre.
Il salue le tenant, qui en fait de même. Il avance, inspire l’odeur du lieu, détaille les notes texturées de la musique analogique qui joue, caresse du bout des doigts les tranches usées des pochettes de vinyles. Sa respiration ralentit, le bruit entre ses oreilles s'atténue. Ses yeux se perdent sur la petite étiquette “Deftones”. Il fait basculer les pochettes, son cœur manque un battement quand il voit celle de leur album de 2006 - Saturday Night Wrist. Il saisit doucement le carton et l’admire. Il inspire un grand coup, avant de difficilement expirer. C’est un sanglot sourd, mais il ne le réalise pas. Il passe doucement le pouce sur le visage de la blonde. C’est étrange, comme sensation. Entre chagrin sentimental et paisibilité nostalgique. Décidément, même alors qu'elle n'est plus là, Blondie avait quand même cet effet sur lui.
C’est vrai, il y a elle, aussi. Il commence à ré-entendre la teigne en lui. ( Une autre qui voulait pas de toi. C’est bien pour ça qu’elle t’as laissé comme une pauvre- ) Non. Pas ici. Il glisse de nouveau la pochette parmi les autres, et quitte la section Metal. Pas possible d’approcher le Blues ni la Soul sans faire ressurgir son autre amour perdu. Alors il va vers des styles totalement hors de ses habitudes, musicales comme visuelles. Un peu de nouveau ne lui ferait pas de mal.
Quelqu’un apparaît dans son champ de vision, une énergie bien différente, si ce n’est opposée à celle qu’il émane en ce moment. C’est presque éblouissant, pour lui qui sort tout juste des profondeurs. Il est pris de court, a du mal à suivre ce qu’al raconte, encore un peu sonné par toutes ses émotions. Il cligne des yeux et essaye néanmoins de lui répondre convenablement. Il saisit le vinyle, encore un peu éberlué. « Oh… thanks. » il scrute l’album dans ses mains avant de lui avouer « I… I actually don’t even own a vinyl player. » ça, c’était le domaine d’expertise de son beau-frère. Le grand débat entre Abby et lui, numérique vs analogique. Abby n’avait jamais compris l’intérêt de s’accrocher à de vieilles technologies quand il y avait tout ce qu’il faut pour jouir au mieux de la musique et apprécier chaque détail concocté par les artistes. Son frère lui défendait l’héritage historique ainsi que le rapport ralenti, patient et manuel à la musique. Puis au milieu, il y avait Zusman. Fait est que du coup, il n’y avait jamais eu de lecteur de vinyle dans la maison. « …I never even listened to this artist. »
Depuis toujours, la brune avait un ressenti profond pour les sentiments des gens. Aujourd'hui, l'homme près d'elle avait une sorte d'aura de tristesse, comme si sa place dans ce monde était encore très vague pour lui. Elle pouvait le comprendre, pendant longtemps elle s'était demandé si elle n'était pas qu'un simple sourire immaculé devant un masque de profonds regrets. Encore dernièrement, elle avait eu le questionnement. Devant l'aveu de son interlocuteur, elle écarquilla les yeux, posant fermement ses mains contre ses hanches. - For real ? This is a joke right ? It's like an .. orgasm for the ears! It's almost criminal not to have one at home.. Dans son grand loft, beaucoup trop moderne, elle avait gardé une pièce spécialement pour sa passion. La musique et les années 80. Murs sombres, avec des bibliothèques qui montaient du plancher au plafond pour disposer de sa collection phénoménale de vinyle. Dans le milieu, un vieux fauteuil en velours jaune ocre, quelque chose qui appartenait à sa grand-mère Elsie alors qu'elle était adolescente. Tellement contradictoire comme pièce avec l'image qu'elle envoyait au monde, mais c'était son petit jardin secret, son côté vulnérable qu'elle ne s'autorisait pas à montrer au monde entier. - His name is Joji. Honestly, it's cool. That music that goes down well at the end of the day.. Elle agite une main en direction de l'homme devant elle, faisant signe qu'elle effacerait ses précédents mots. Comme s'ils reculaient en arrière. - Let's pretend you didn't say such a thing to me. Do you want to hear what vinyl sounds like?
L'album en main, elle tournait la tête vers l'homme au comptoir, un vieil ami. - Hey old man. Do you still have your listening room back there ? Il répliqua d'un geste de la tête, tout en lançant des clés en sa direction. Autrefois, les gens venaient passer des journées entières dans ce magasin pour écouter des disques, discuter et refaire le monde. Les salles étaient devenues beaucoup plus silencieuses depuis l'arrivée de la technologie et presque déserte même. - Come with me, I promise you won't be disappointed!
Elle est si à l’opposé de toute sa lourdeur profonde qu'il a du mal à la suivre. Il ne fait que cligner des yeux et balbutier en guise de réponse. Puis le visage de ce “Joji” l’intrigue, il scrute la couverture les sourcils froncés. Il a l’impression d’avoir vu ce visage il y a plusieurs années, impossible de se rappeler dans quoi. C’était pas sur YouTube… ? Il relève les yeux pour répondre à sa question, un peu perplexe. « You mean… now? » Il n’a pas le temps d’être plus perplexe qu’elle interpelle le gérant pour lui demander l’accès à une salle d’écoute. Wow, y a ça, ici ? Il tourne la tête vers Mandy qui attend sagement dehors. Le gérant lui affirme qu’elle peut entrer, ne levant pas les yeux de ce qu’il fait. « Thanks. Mandy, come. » la boule de poils bondit gaiement le pas de la porte et vient rejoindre son ami. « That’s Mandy. She’s a sweetheart. » il rassure, au cas où la brune aurait peur. La canine regarde l’inconnue de yeux curieux. « Mandy, this is… what’s your name? »
Il la suit vers la salle, bien curieux de savoir à quoi celle-ci pouvait ressembler.
Depuis toujours, la brune avait l'habitude de prendre les devant dans... Presque tout ! Elle n'avait absolument pas envie de lui demander s'il avait du temps pour aller écouter l'album. Ni même s'il était attendu quelque part. En réalité, elle le trouvait beaucoup trop triste pour l'autoriser à quitter l'endroit et à retourner à ses démons, plus loin. - Of course I mean ... now! I wasn't going to let you go sulk somewhere else. Venant de sa bouche, la phrase sonne beaucoup plus comme une façon de lui dire qu'elle le soutient, qu'une forme d'insulte. Oh, elle en était bien capable Tully mais elle réservait ce côté démoniaque au boulot. Entre temps, les insultes n'étaient pas pour les inconnus comme l'homme devant elle. - I bet I can cheer you up! Lança-t-elle avant de lui faire un petit coup de menton pour lui indiquer la direction.
Juste avant d'entrer dans la pièce, elle fait la rencontre de Mandy. Une bien belle bête qui vint lui décrocher un sourire à l'instant même. Elle plia les genoux pour arriver à sa hauteur, déposant une caresse légère contre la tête de l'animal, histoire de ne pas la brusquer. - Hi lovely ! You are so cute, you make me melt ! Im Tully, hi princess. Prunelles foncées qui se relevèrent en direction de l'homme, en même temps qu'elle se redressa à son tour. - Im so sorry ! I totally forgot to introduce myself. My name is Tully.
Direction salle d'écoute, pas très moderne et rarement rénovée. Elle était capitonnée d'une espèce de tapis brun, semblable à celui qu'elle avait connu dans le sous-sol de sa grand-mère. Deux canapés de cuir noir et un lecteur de vinyle, ancien. Celui qui produisait encore des crépitements dans les mélodies. - Make yourself confy and listen to .. Elle s'interrompit, laissant le vinyle tourner et s'éprendre des premières notes. - This..
That song.
Elle exprime son vœu de le consoler et il se sent instantanément coupable. D’avoir fait percevoir son chagrin à autrui, même sans aucun mot. L’impression de mettre un fardeau dans les mains de cette femme beaucoup trop solaire, à l’âme beaucoup trop charitable. Même s’il ne le comprend pas encore, il se sent également honteux d’être perçu vulnérable, faible. Il a déconstruit, re-questionné les concepts de masculinité toxique et de virilisme depuis longtemps, mais comme d’habitude, quand il s’agit de lui-même, il a du mal à intégrer les leçons. Le quarantenaire est encore quelque part le gamin à qui l’on répète qu’il pleure trop, à qui l’on dit de de ravaler ses larmes, l’ado à qui l’on dit de man up. Il grimace un sourire.
Mandy, elle, est beaucoup plus gaie que son humain. Ne contient pas longtemps son excitation quand elle inspecte cette humaine de sa truffe avant de lui lécher le visage. Elle se présente, lui hoche légèrement la tête avant de faire de même à son tour. « Zusman. »
Lui et Mandy suivent Tully et balaient la pièce d’yeux curieux et contemplatifs. Cette pièce est une véritable capsule temporelle, elle lui rappelle son beau-frère. Il faudrait peut-être qu’il le rappelle, d’ailleurs. Il répond à l’invitation de la brune et s'assoit sur un des canapés, Mandy l’imitant au sol. La maîtresse de cérémonie installe le disque et le joue. Il expire longuement, ferme les yeux et se laisse emporter par la lenteur de ces notes mélancoliques.
Ses globes oculaires bougent lentement sous ses paupières. Il essaye de se laisser aller, même si c’est assez dur, en présence d’une femme qui était encore une inconnue il y a quelques minutes. Il ne sait pas si c’est c’est l’épuisement émotionnel ou la grâce de Tully, mais ses muscles se relâchent et il s’imprègne du morceau. Les paroles résonnent en lui, font encore une fois apparaître une blonde derrière ses paupières. Il peut sentir la culpabilité toquer à la porte, le blâmer de penser à elle quand il devrait pleurer sa femme. Mais il n’a plus d’énergie pour ça. Il est épuisé. Aujourd’hui, il ne veut pas être si dur avec lui-même. Aujourd’hui, il veut accueillir la bienveillance généreuse de cette femme, qui ne le connaît pas, mais lui fait don de ce moment. Au lieu de la faire fuir, comme il a fait fuir beaucoup trop d’autres mains tendues avant elle. Aujourd’hui, il veut bien se donner le droit de penser que c’est peut-être parce qu’il mérite de recevoir la bonté d’autrui.
Ses lèvres se décollent et échappent un soupir. Ses sourcils se froncent et il laisse un sanglot monter, pourtant sans larmes. Il frotte son visage et ré-ouvre les yeux. « Sorry. » il renifle et soupire une nouvelle fois. « Thank you. For this. »
C'est un prénom original, qu'elle a malheureusement rarement entendu. D'un geste de la tête, la brune lui fait comprendre qu'elle est enchanté de le rencontrer. Des âmes en peines, elle en connaissait plusieurs. Aujourd'hui ne faisait pas exception, elle adorait venir sauver les gens qui se présentaient sur son chemin. Étrangement, elle avait l'impression que c'était une façon pour elle de se faire pardonner d'être aussi brutale dans le monde du travail. Elle savait qu'elle donnait une image de démon, qu'elle ne se faisait pas vraiment aimer .. Mais d'une part, c'est ce qu'on attendait d'elle. C'est que la presse voulait voir, c'est que le monde de la mode voulait voir. Réconforter un inconnu semblait être le petit geste pour rendre sa conscience en paix, le temps d'un instant ... Même si il était court.
Assise sur ce vieux canapé de cuir, elle tente de repenser à la première fois qu'elle a écouté ce morceau. Elle sortait d'un événement assez huppé en lien avec le nouveau lancement d'une collection de vêtements. À son souvenir, elle n'était pas à Oceanside, il y avait trop de lumières à l'extérieur. New-York plutôt. Inutile de préciser qu'à ce genre de soirée, on se fait offrir divers cocktails et rapidement.. Notre esprit dérape. Elle avait quitté la salle de réception en panique, une impression de vouloir vomir peut-être. Elle s'en rappelle, en fond, elle entendait cette musique, ces paroles et ce vibe. Son esprit tournoyait, ses songes semblaient partir dans des directions totalement folles. Puis ces lumières .. Ce halo coloré. Chaque fois qu'elle revenait à ce morceau, elle revivait cet instant, elle s'était sentie vivante, le temps d'une seconde.
- I'm not sure I understand why you're thanking me. Elle sort de ses rêveries avec les paroles du ténébreux près d'elle. D'un geste rapide, elle se laisse glisser contre le canapé, venant atterrir auprès de lui. - You know .. Sometimes it's better to talk with a stranger than our own friends. Elle tend sa main en direction de Mandy, lui grattant l'arrière des oreilles. - I don't know you but I know how to recognize a sad face and you, my boy.. You meet all the criteria ! If you want to talk about something, purge. Get it out ! I'll keep it for myself. Elle se relève d'un coup. - You know what. I have an idea ! Let's grab a beer or something ! I know a great place. They have real Irish booze !
« For your kindness. » Qualité honorable, sûrement celle qu’il admirait le plus chez les gens. Quand elle se retrouve à côté de lui, si proche, il se sent étonnamment à l’aise. Une impression familière, celle de se retrouver avec saon benjamin·e. Ses prochains mots lui donnent matière à songer. C’est vrai. Les fois où il a été le plus à l’aise de parler de ses émotions, c’était avec des inconnu·es. « It is. » pas d’historiques difficiles, compliquées, pas de culpabilité, de sentiment d’imposer à ses êtres chers le boulet qu’est son existence. Avec des inconnu·es, il n’avait pas à ce soucier de si als lui venaient en aide par culpabilité, par obligation ou par frustration. Dans cette pièce hors du temps, il est juste un âme perdue accueillant la grâce d’une généreuse femme. Malgré tout, il grimace à sa proposition. « Sounds lovely, but I’ll… I’ll pass. » La rechute est au tournant. S’il buvait ce soir, ça allait mal finir. Il ne sait pas comment, juste que c’est certain. « Got a feeling getting drunk today will turn me real stupid. » Il continue à écouter la musique, puis demande « What’s the most stupid thing you’ve done while being drunk? »
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