bring me to the pit of vipers (jihoo)
Capuche vissée sur le crâne, l'homme réajusta son masque une énième fois sur son nez, espérant ainsi préserver davantage son anonymat. L'enseigne avait beau ne pas être équipée d'équipements de dernière technologie, il restait méfiant, conscient des risques encourus par sa petite escapade. Et même s'il pouvait compter sur l'armée d'avocats de son conjoint en cas de problème, le cambrioleur improvisé préférait conserver son indépendance et mener sa besogne nocturne sans importuner l'homme d'affaires.
Ce n'était pas la première fois qu'il s'introduisait au sein du cabinet vétérinaire, au contraire. S'il y avait déjà fait un saut en tant que grand curieux, durant la journée, mimant la prise d'un rendez-vous auprès du secrétariat pour repérer l'intérieur des lieux ; il n'était pas resté en reste une fois la nuit tombée. À deux reprises déjà, Mingi s'était faufilé par une porte située à l'arrière de l'édifice, usant de ses connaissances pour ne pas déclencher l'alarme, ni alerter le voisinage. Son intrusion était propre, sans dégâts, laissant presque croire qu'un fantôme seulement était passé au cabinet, du moins jusqu'à ce que le stock décroissant de kétamine ne soit remarqué.
Si la serrure lui avait donné un peu plus de fil à retordre que les fois précédentes, le trentenaire ne s'était pas méfié pour autant, persuadé que ses frasques n'avaient pas été repérées par le propriétaire des lieux. Muni de gants, le grand brun s'était amusé à faire un petit tour au sein du bâtiment, prenant le temps de jeter un coup d'œil aux tableaux, diplômes et photographies accrochés sur les murs, chose qu'il n'avait pas pris la peine de faire les fois précédentes, l'adrénaline le poussant à agir rapidement et efficacement.
"Vieux jeu, s'amusa-t-il en s'arrêtant sur un portrait de l'équipe au complet, posant fièrement dans leurs blouses bleu ciel et leurs crocs en plastique. Encore plus mignon de près dis donc, commenta-t-il en repérant celui qu'il croyait être le propriétaire, au centre du cliché, affublé d'un petit sourire presque timide."
D'humeur joueuse, Mingi s'empara d'un feutre permanent sur le bureau d'accueil afin de s'attaquer au portrait, dessinant autour du vétérinaire, quelques petits cœurs disgracieux. Une fois satisfait, il continua ses méfaits en coloriant l'œil des quelques caméras de sécurité, s'offrant ainsi la liberté de retirer son masque pour la suite de ses activités.
À la lumière de sa lampe torche, le voleur se dirigea vers ce qu'il avait repéré comme étant la réserve, usant de son habituel kit pour crocheter la serrure. Le sourire aux lèvres, une fois le travail accompli, l'ancien boxeur exécuta une petite danse de la victoire dans la pièce où divers produits étaient maintenus à faible température pour préserver leur qualité. Il s'empara ensuite de quelques récipients, déchiffrant les inscriptions avant de les glisser dans son sac à dos, faisant attention à sélectionner des quantités et des intitulés qui allaient lui permettre d'atteindre une certaine plénitude, sans pour autant risquer l'arrêt cardiaque.
"Parfait, souffla-t-il en replaçant les contenants restants sur l'étagère, de sorte à ce que son chapardage ne soit pas visible au premier coup d'œil. On se dit à tout bientôt mes jolies."
Plutôt que de se constituer des provisions, de s'assurer une consommation régulière et sans encombre, Mingi préférait n'emporter que quelques flacons, privilégiant le frisson de mener ce genre de petites infractions au confort de la gestion de ses ressources. Pour plus de simplicité, il pouvait même choisir de faire appel aux employés, aux contacts de son conjoint afin d'obtenir ses opiacés sans se mouiller, mais comme souvent, son besoin de frôler l'interdit le poussait à agir seul. L'adrénaline des combats de boxe semblait parfois lui manquer, l'amenant à se mettre en danger, qu'il s'agisse d'intrusions, de délits ou bagarres dont il était l'auteur, dans l'unique but de se défouler.
Satisfait, l'homme s'extirpa de la pièce, refermant délicatement derrière lui. S'imaginant déjà en plein trip, détendu, certainement installé dans une baignoire du penthouse, il ne fit pas attention à la paire de jambes qui s'approchaient dangereusement dans le noir, à pas de velours. C'est à la sensation électrique dans sa nuque qu'il se figea, comprenant qu'il n'était plus seul au sein du cabinet vétérinaire. En sentant son corps s'effondrer sur le sol, Mingi comprit qu'on venait de lui mettre un sacré coup de taser. Des picotements parcoururent son corps, engourdissant ses membres, tandis que son cerveau tentait de trouver un moyen de se dépêtrer de cette situation. Pour s'en sortir, il décida de ne plus bouger, jouant les morts en bloquant sa respiration. Ainsi étalé sur le ventre, il espérait que sa simulation permettrait que son assaillant baisse sa garde, du moins le temps qu'il puisse reprendre le contrôle de son corps. Mingi était certes furtif, sans ses poings et ses capacités physiques, il était bien impuissant.
C’est lui qui remarque en premier la disparition de plusieurs fioles de kétamine au cours de ces dernières semaines au moment de l'inventaire. Au début, le vétérinaire pense qu'il s'agit d'une simple erreur de calcul, et se charge lui-même de la prochaine commande pour ne pas se retrouver à court d'anesthésiques. Méticuleux, Jihoo se porte volontaire pour quantifier chaque produit de la clinique, s'assurant que tout le monde ait ce qu’il faut pour les semaines à venir. Mais à peine deux semaines plus tard, alors qu'une des collègues se plaint du stock, Jihoo refait un rapide bilan, comparant ce qui a été réceptionné par ce qui a été consommé depuis la dernière commande. Trois flacons manquent à l'appel, et le coréen n'est pas idiot au point d'ignorer ce que ça implique. Mais qui ? Ses premiers soupçons se sont naturellement portés vers l'un‧e de ses collègues, qui sont, après tout, les premiers à avoir un accès illimité à la réserve. Une idée saugrenue qu'il chasse pourtant tout aussi vite qu'elle est venue, et Nora, à qui il a confié ses inquiétudes, a rejoint son avis là-dessus. Alors ils se sont posés la question d'un éventuel client. De toute évidence, cette personne connaît suffisamment bien les lieux pour naviguer sans éveiller le moindre soupçon. Il s'est souvenu alors d'avoir retrouvé un jour la porte de la clinique déverrouillée un matin d'ouverture, mais naïvement, Jihoo a supposé qu'il s'agissait d'un simple oubli lors de la fermeture, et n'a fait aucune remontée sur le sujet puisqu'il n'y avait rien d'anormal à déclarer. Il n'est plus si sûr aujourd'hui. Ce qui signifie que le coupable opère lorsque la clinique est vide, les rares fois où il n'y a pas de service de nuit, et parvient à entrer dans le bâtiment malgré l'alarme. Le cambrioleur s'y connait suffisamment bien, et de toute évidence, possède une addiction aux psychotropes de la maison. Est-ce que c'est pour lui, ou la revente, Jihoo n'en a pas la moindre idée, il sait néanmoins qu'il ne peut pas le laisser continuer à se servir comme dans un supermarché. Ils ont hésité à prévenir la police au début, mais par manque de preuves solides, ont décidé de changer les serrures et d'installer des caméras de sécurité à l'accueil et l'entrée de la réserve, espérant prendre en flagrant délit le criminel, puis le divulguer aux autorités. Quelques jours s'écoulent depuis l'installation des caméras sans qu'il ne se passe quoi que ce soit, lorsqu'il est soudain alerté d'une notification sur l'application : le voleur est revenu.
Lorsqu'il claque la porte de sa jeep, il s'est écoulé une dizaine de minutes le temps du trajet. Jihoo a hésité à emmener Hida avant de se rétracter, craignant que les choses tournent mal et qu'elle soit blessée, ou pire. Il devrait appeler la police, il le sait bien, mais il a peur que leur sirène ne le fasse fuir bien avant. Le vétérinaire prend garde à ne faire aucun bruit lorsqu'il entre dans la clinique, et sans surprise, s'aperçoit que la porte est ouverte et l'alarme désactivée. Ce n'est qu'une fois sur place que Jihoo est frappé d'une réalisation pour le moins inquiétante. Il s'était persuadé qu'il n'y aurait qu'un voleur, mais s'il y en avait plusieurs ? D'autant qu'il sait à quel point les américains peuvent se montrer particulièrement violents, et s'il n'approuve pas l'idée de porter une arme sur lui, qu'est-ce qu'il pourrait faire face à un ou plusieurs hommes armés ? Trop tard pour se dégonfler cependant, alors que son attention est attirée par un bruit sourd. Le cœur cognant à tout rompre, Jihoo se glisse dans la pénombre, longeant le mur jusqu'à atteindre le couloir menant à la réserve. Dans sa main légèrement tremblante, il serre le tazer de poche qu'il a trouvé dans le tiroir de l'accueil, se demandant s'il est vraiment capable de s'en servir s'il le faut. À peine tourne-t-il dans une intersection qu'il aperçoit l’intru grâce à la lumière de la lampe torche qu'il tient. Habillé tout de noir, la silhouette impressionnante, il referme au même moment la porte de la réserve. Il n'a pas le temps de réfléchir. Le voleur va se retourner et le voir. Sortir une arme et l'abattre. Il réagit par instinct, ses années à l'armée reprenant le dessus. Il réduit vivement la distance en deux grandes enjambées, calant l'objet contre la nuque avant d’appuyer. Un grésillement électrique brise le silence, d'une durée de 3 secondes, éclairant brièvement les yeux écarquillés du vétérinaire qui finit par lâcher la gâchette. Lorsqu'il s'écarte, retenant sa respiration, le corps de l'individu s'effondre lourdement devant lui. Pétrifié, Jihoo reste un moment immobile, le palpitant tonitruant pulsant contre ses tympans alors qu'il regarde le corps inerte au sol. — 젠장! Jure-t-il entre ses dents, glissant une main dans ses cheveux avant de finalement s'approcher du corps qui n'a pas bougé. Est-ce qu'il est conscient ? Est-ce qu'il est encore vivant ? Prudent, le pied de Jihoo vient légèrement secouer le corps du voleur qui ne semble pourtant pas réagir, silencieux. Après quelques secondes de conflit interne, il finit par se pencher en avant pour l'attraper par les aisselles et le traîner au centre de la pièce. La lampe torche, tombée au sol durant l'attaque, éclaire suffisamment la pièce pour qu'il n'ait pas besoin d'allumer la lumière. Enfin, non sans mal, il retourne le colosse. Une exclamation surprise s'échappe de ses lèvres alors qu'il découvre les traits du cambrioleur, coréen comme lui. Celui-ci fait jeune, bien plus jeune que lui, et ça éveille aussitôt un sentiment de culpabilité chez le vétérinaire qui s'imagine le pire. — 내 말 들려요? Il pose naturellement la question en coréen, troublé par la découverte de ses origines. Il pose le tazer au sol pour libérer sa main. Deux doigts viennent se poser au niveau de la carotide, approchant par la même occasion son visage du sien, tête penchée sur le côté afin de s'assurer qu'il respire. Il peut sentir les pulsations anormalement rapides sous la pulpe de ses doigts, et un souffle irrégulier lui chatouiller l'oreille. Mais un souffle quand même. Il ferme brièvement les yeux, soulagé de l'entendre respirer, puis se redresse légèrement pour le regarder. Son regard croise celui éveillé du voleur, et son cœur fait un bond dans sa poitrine. — 당신은... 기분은 좀 어때요?
젠장 (djén-djang) = Merde !
내 말 들려요? (nhae-mal-deul-ryeo-yo) = vous m'entendez ?
당신은... 기분은 좀 어때요? (dang-shin-eun... gi-bon-eun cheom eo-ddhae-yo) = vous...comment vous sentez-vous ?
Affalé sur le sol, la bouche gobant presque la poussière, le cambrioleur improvisé se sentait bien ridicule de s'être ainsi fait avoir. Pourquoi n’avait-il pas simplement tendu l’oreille, guettant le claquement d’une portière ou le grincement d’une poignée de porte ? L’euphorie du moment lui avait fait baisser sa garde, l'espace d'un instant, le laissant s'estimer tout-puissant, impossible à attraper.
S’il pouvait aisément laisser l’appréhension prendre place, se croyant fait comme un rat, l’homme ne pouvait s’empêcher de se sentir émoustillé par la tournure des événements, impatient de découvrir par quelle pirouette il allait bien pouvoir s’en sortir cette fois-ci. Offrant sa meilleure performance d’acting dans ce rôle du voleur assommé, l’ancien boxeur se laissait totalement faire, telle une poupée désarticulée. Son assaillant, bien qu’il soufflait en le déplaçant, ne semblait pas éprouver tant de difficulté à le mouvoir, ce qui forçait sa méfiance, pourtant loin de se douter de ce passé au sein de l’armée.
En sentant ce pied qui le secouait, les insultes fusèrent dans son esprit.
En entendant l’inconnu s’exprimer en coréen, Mingi fut tenté de lever les yeux au ciel, lassé que l’on puisse croire qu’il comprenne à cause de ses traits. Tout le révulsait dans cette langue, de sa prononciation à sa grammaire, comme s’il associait cette culture et ses origines aux lâches qui l’avaient abandonné trente ans plus tôt. S’il n'en saisissait pas un seul mot, il devinait néanmoins le ton inquiet de l’employé, témoignant de la pureté de ses intentions, malgré la violence de ses actes. La panique dans son intonation laissait transpercer son manque d’assurance face à une telle situation : il n’était donc pas un habitué des cambriolages, seulement un citoyen ayant voulu jouer le héros, ce qui arrangeait bien l’addict. Malgré ses yeux clos, Mingi sentit la silhouette s’approcher et se pencher pour vérifier sa respiration, lui arrachant presque une réaction attendrie. Qu’il était mignon à prendre son pouls pour se rassurer, était-ce de l'inquiétude ?
“Hey, susurra le grand brun en se décidant enfin à rouvrir les paupières, conscient que sa mascarade ne pouvait plus durer bien longtemps avant que les forces de l’ordre ne soient appelées. Gwaenchanh-a, ajouta-t-il d'un coréen écorché qu'il n'avait obtenu qu'en zieutant quelques séries pleines de clichés. Tout va mieux maintenant que t'es là."
Sourire charmeur sur les babines, le voleur agissait sans prendre en compte la dangerosité de la situation, ravi de découvrir, couché sur lui, le vétérinaire de la photographie. Celui qu’il avait dans le radar depuis quelque temps, découvert au détour d’une nuit de travail, alors que ce dernier fermait boutique tardivement, occupé à nourrir les chats errants du quartier. Quelle délicieuse coïncidence que ce soit toi qui tentes de m’arrêter, pensa Mingi en plongeant son regard plein de défi dans celui de sa victime, espérant le déconcerter par ce réveil inattendu.
“Adorable, commenta-t-il en se faisant repousser, sans s’attendre à ce que l’ancien militaire enchaîne par un violent coup de tête. Putain de merde ! S’exclama-t-il en sentant l’arête de son nez craquer, déjà sensibilisée par les combats.”
Une grimace s’empara de son visage avant qu’il ne se mette rapidement à éclater de rire, familier de cette douleur, tant son faciès avait été tuméfié par le passé.
“Bah alors monsieur le véto, on sait pas gérer les gros chiens ?”
La confusion régnant, Mingi en profita pour tendre la main et récupérer le taser abandonné sur le sol, afin de le glisser furtivement dans le cou du vétérinaire pour l'activer. L’homme s'effondra, les yeux écarquillés de stupeur et le grand brun, satisfait, en profita pour inverser la tendance, se retrouvant désormais à califourchon. Il profita de sa courte victoire pour jouer avec l’appareil entre ses mains, observant les traits de l’employé, prisonnier de son propre corps. Il était réellement mignon, totalement son type, du genre à se prendre au sérieux malgré un visage de jeune premier, de quoi lui rappeler son compagnon et ses grands airs.
“Faut pas se mettre en danger pour si peu, tu sais, lui conseilla-t-il en lui donnant quelques gifles pour qu’il se remette de l’électrocution, sachant pertinemment qu’après cette décharge, l’homme aurait bien du mal à lui répondre.
En épongeant son nez du pan de sa manche, Mingi se redressa, abandonnant l'employé sur le sol, comme s’il ne représentait plus un danger, afin de sautiller dans la pièce pour finir de réveiller son corps. Son sac et ses provisions l’attendaient tout près, mais fidèle à lui-même, il décida de s’attarder, sa curiosité prenant le dessus sur la raison.
Son cœur s'arrête brièvement de battre en croisant les yeux grands ouverts de la victime, braqués sur lui. Il en oublie un instant que ladite “victime” s’amusait à le dérober un peu plus tôt, le fait depuis des semaines d’ailleurs, encore ébranlé par sa propre audace et la peur tangible d’avoir été trop loin. Quelle idée lui a pris d'utiliser ce tazer en premier lieu ? Il essaye de se convaincre que c'était nécessaire, mais au vu du voleur désarmé, il réalise à quel point ça aurait très bien pu mal se terminer. Surtout en tant que ressortissant étranger. Ce dernier prend la parole, et au début, Jihoo ne sait pas si c’est la décharge qu’il a reçu qui rend son coréen si bancal, ou s’il a mal supposé dès le départ, trompé par les traits communs. Il obtient rapidement sa réponse lorsque ce dernier poursuit dans un américain impeccable, bien que la phrase en elle-même le laisse plutôt perplexe. Ses sourcils se froncent tandis que l’autre sourit à pleine dent. Est-ce que finalement l'électrochoc le rendrait confus au point de croire qu’ils se connaissent déjà ? — Vous êtes sûr que…, s'inquiète-t-il dans un anglais hésitant, l’accent prononcé trahissant ses racines. Il ne terminera pas sa phrase, soudain rendu muet par le choc. Les yeux écarquillés, paumes plaquées au sol, il réalise, non sans horreur, que ses lèvres sont désormais collées à celles de l'impudent. Jihoo se fige, le cœur tambourinant, trop abasourdi pour réagir les premières secondes. C’est quand il tente de se relever, entrouvrant légèrement les lèvres pour exhaler un souffle tremblant, que la langue de l'inconnu en profite pour envahir sa bouche, prolongeant le baiser volé, et ça suffit pour lui faire l’effet d’un coup de poing. Posant une main sur son torse pour prendre appui, s'extirpant de son emprise, il réagit au quart de tour, agrippant l’homme pour lui asséner un coup de tête. Les joues rosies, une main couvrant sa bouche, choqué par la tournure improbable, il n’éprouve cependant aucun remords face à ses actions alors que ce dernier ne fait qu'éclater de rire, comme s’il y avait matière à rigoler de leur situation. — Vous êtes fou. Cette fois, aucun doute là-dessus, contemplant l’énergumène ensanglanté et hilare avec totale incompréhension. Il va pour se redresser, préférant mettre le plus de distance entre eux et appeler les autorités, mais ses réflexes doivent se faire lents car il ne perçoit même pas le mouvement, seulement l’électrochoc. Le corps soudain pris d’assaut par une tension électrique qui le secoue et lui coupe momentanément le souffle, il s’effondre sur le dos, le coeur cognant et les yeux exorbités. Les muscles violemment contractés, il ne peut que regarder impuissant, à son tour, le voleur prendre l’avantage et se positionner au-dessus de lui, appréciant bien plus que lui ce retournement de situation. Furieux contre lui-même d’avoir prêter si peu d’attention au danger, Jihoo ne peut que grogner entre ses dents crispés, lançant un regard noir au jeune qui se gausse de son état, et gifle désagréablement ses joues. — Me... touchez pas... qu'il articule péniblement, s'efforçant à reprendre le contrôle de son corps engourdis. Heureusement le malfrat s'écarte, et il se satisfait de ne pas l'avoir loupé, regrettant simplement de ne pas y avoir été plus fort. Lentement, après une bonne minute à se remettre du choc électrique, Jihoo parvient à reprendre contrôle de ses mouvements, se redressant dans une position assise tout en essuyant du revers les quelques gouttes qu'il a senti tomber sur son visage un peu plus tôt. Il ne quitte pas du regard le voleur, qui curieusement n'a pas profité que le vétérinaire soit à terre pour prendre la fuite avec son précieux butin. Son regard glisse sur le sac derrière lui avant de revenir sur le brun, qui lui semble content de simplement le regarder curieusement, sourire au coin. Jihoo peut sentir ses joues s'enflammer en repensant à ce qu'il est advenu et chasse rapidement les images de sa tête. Les lèvres pincées, il vient s'aider de la table métallique au milieu de la pièce pour se relever, les jambes légèrement flageolantes et le souffle court. Il ne doit pas paraitre bien menaçant ainsi, surtout face au molosse bien plus costaud et grand que lui. Mais Jihoo n'a jamais manqué de courage, et ne compte pas le laisser repartir gratuitement avec une partie de leur réserve. Il ignore totalement ses questions, peu enclin à taper la discussion avec le voleur insolent. Inspirant une bouffée d'air, il finit par prendre la parole. — Je ne peux pas vous laisser repartir avec ce sac, qu’il affirme avec plus d’assurance qu’il n'en possède, lorgnant un bref instant le taser hors de portée avant de planter à nouveau ses yeux dans les siens, déterminé. — Si vous partez, je promets de ne pas vous dénoncer à la police, mais uniquement si vous ne revenez plus jamais ici. Impossible de prédire l'homme qui se tient face à lui. Pour le moment, celui-ci a l'air de tout prendre à la rigolade, mais il ignore ce que la colère pourrait réveiller en lui, et quelque chose lui dit qu'il n'aimerait pas le savoir. — Vous êtes bien trop jeune pour croupir en prison, ne faites pas l'idiot. Jihoo s'écarte de la table, la respiration légèrement rapide alors qu'il le contourne lentement, espérant pouvoir mettre la main sur le sac de kétamine sans que le voleur n'agisse. Sur ses gardes, il s'arrête à mi-chemin. — Est-ce que vous réalisez seulement les effets néfastes qu'a la kétamine sur l'humain ? Est-ce que ça vaut tant que ça le risque de perdre la vie ? Les overdoses sont fréquentes, et les arrêts respiratoires plus encore. Il ne sait pas pourquoi il prend la peine de raisonner un toxicomane, il sait que si l'homme est un consommateur régulier, peu importe ce qu'il lui dira, le manque le poussera toujours à en vouloir davantage. Qui sait ce qu'il fera après, dans d'autres cliniques ou pharmacie. Il se mord la lèvre, en proie à un conflit interne. Est-ce que quelqu'un s'est déjà soucié de tendre la main à cet homme pour l'aider ? Il sait déjà qu'il va le regretter, mais impossible pour lui de tourner le dos à la souffrance d'autrui. — Laissez moi vous aider.
Alors qu'il vérifiait l'état de ses narines, constatant que le sang continuait de goutter malgré ses tentatives, le jeune homme fit quelques pas dans l'officine, à la recherche d'un tissu qui pourrait l'aider à éponger le liquide. Penchant la tête en arrière, il vida quelques tiroirs sur le sol, sans prendre en compte que ses actions pourraient entraîner des conséquences, et notamment l'obligation pour le personnel de la clinique de nettoyer et ranger derrière lui.
"Putain, il y a même pas un foutu mouchoir, grommela-t-il en fouillant, conscient qu'il ne pouvait pas se résoudre à demander l'aide de l'employé, encore allongé au sol. Ah ! Enfin ! S'exclama-t-il en mettant la main sur une boîte de compresses, dont il logea négligemment deux morceaux dans son nez."
Satisfait, il prêta à nouveau attention à l'étranger qui semblait retrouver peu à peu ses moyens, peut-être même un peu plus rapidement qu'il ne l'aurait espéré puisqu'il tentait déjà de trouver un arrangement. Le regard alternant entre le sac de provisions et l'homme, Mingi étudia les options qui s'offraient à lui.
1. Foncer sur le sac sans réfléchir, ramener ce butin au penthouse et profiter d'avoir, une fois de plus, réussi à s'en sortir grâce à sa jugeote et son culot : satisfaisant, pratique mais plutôt ennuyeux.
2. Obéir au professionnel, abandonner la mission, rentrer bredouille au bercail, mais l'âme et la conscience tranquille : frustrant, pas économique,
3. Laisser le sac, rentrer dans le jeu du vétérinaire, remplacer la drogue par son attention : divertissant, amusant, J'AI ENVIE DE JOUER AVEC LUI.
"Vous êtes bien trop jeune pour croupir en prison, ne faites pas l'idiot."
Attendri par la prévenance dont faisait preuve l'inconnu à son égard, le trentenaire le laissa se positionner tel un grand-frère soudainement protecteur. Quel âge lui donnait-il donc pour jouer ce rôle de conseiller ? Cet air inquiet ne faisait qu'ajouter au faciès déjà attendrissant du médecin, le poussant à baisser totalement sa garde, déjà bien affaiblie. Avide d'attentions et de soins, l'ancien boxeur joua l'imbécile, appréciant que l'on s'occupe de sa petite personne, lui qui se sentait bien seul en cette soirée hivernale.
"Perdre la vie ? Répéta-t-il perplexe, s'ancrant chaque seconde un peu plus dans cette personnification d'un véritable benêt qui consommait sans saisir les tenants et les aboutissants de l'usage d'un tel produit. On m'a dit que c'était safe à petites doses, que ça allait m'aider à tenir..."
Les sourcils froncés, visiblement perturbé par la nouvelle, il interrogea l'homme du regard dans l'espoir d'en apprendre davantage sur les risques encourus. Pourtant, s'il y avait bien une addiction avec laquelle Mingi ne jouait pas : c'était bel et bien sa consommation. S'il s'autorisait à ignorer les protections lors de ses fréquents rapports sexuels ou qu'il ne prenait pas la peine de vérifier la composition des verres qu'on lui glissait entre les doigts, dès que cela concernait la kétamine, il devenait très sérieux. Conscient des risques de ce poison, il ne s'autorisait à l'utiliser qu'avec précaution, l'utilisant seulement pour se plonger dans une sorte d'état second lorsque les souvenirs et les fantômes du passé venaient hanter ses pensées et qu'il n'avait pas la présence de sa moitié pour les repousser.
"Laissez-moi vous aider."
Abandonnant son côté brut et ses rires inquiétants, le voleur se mua en un gamin paumé avant de faire quelques pas vers Jihoo, bien moins menaçant qu'auparavant. Et au prix de nombreux efforts, il laissa rouler quelques larmes convaincantes sur ses joues, espérant ainsi finir de persuader sa proie.
"Tu ferais vraiment ça ? Lança-t-il en se mettant à le tutoyer pour faciliter sa manipulation, espérant casser cette froideur qui s'était imposée entre malfrat et victime. Pour moi ?"
Prêt à tout dans l'espoir de passer quelques instants supplémentaires auprès du vétérinaire, il accepta que les rôles s'inversent, véritablement intrigué par cette main tendue. Il avait beau ne pas ressentir le besoin d'être guidé, ni aiguillé dans sa relation avec la drogue, l'apaisement que provoquait le coréen sur sa personne l'obsédait déjà. Sa froideur semblait apaiser son feu, alors Mingi décida de jouer de sa condition, d'exagéré sa souffrance pour attiser sa pitié.
"J'me sens tellement seul, avoua-t-il tout bas, taisant le luxe et le confort que laissait toujours Wooyoung à son départ pour s'assurer qu'il ne subisse pas trop intensément le manque. J'sais même pas où aller, vers qui me tourner. J'ai l'impression d'être un paria, un indésirable..."
Malgré ces précautions, Mingi traversait pourtant l'absence de son fiancé tel un gamin abandonné, véritable rappel à ses sombres origines. C'était à croire que ses comportements à risque n'étaient au final que de simples provocations, des colères d'enfant souhaitant attirer l'attention, dans l'espoir que son sauveur joue le rôle de l'infirmière ou de l'avocat le libérant de garde à vue pour lui prouver son amour.
À quelques pas seulement du vétérinaire, le jeune homme l'attira dans ses bras, imposant une étreinte au creux de laquelle il libéra encore quelques larmes, étonné lui-même par sa capacité à jouer l'esseulé.
"C'est vrai ? S'émerveilla-t-il face à la soudaine proposition du coréen, plein de bonté. J'peux vraiment crécher chez toi ce soir ? Le canapé m'ira très bien."
En essuyant ses larmes de crocodile dans son vêtement, Mingi dévoila son ventre et les restes de blessures provoqués par sa dernière altercation, bien conscient que cela ne ferait qu'ajouter du poids à ses lamentations. Puis, son chagrin terminé, il repéra rapidement les clés du véhicule qu'il n'avait pas entendu arriver un peu plus tôt, trousseau laissé sur le comptoir de l'accueil.
"Je t'attends dehors alors, arrangea-t-il en jetant ensuite un dernier coup d'œil vers son butin, abandonné sur le carrelage. Tu t'en chargeras ? Demanda-t-il innocemment. Je ne voudrais pas... J'ai peur que ça réveille mes démons."
Face au signe de tête de Jihoo, il quitta enfin le cabinet et grimpa dans l'habitacle du véhicule, allumant le chauffage le temps que le conducteur le rejoigne. En poussant un soupir de satisfaction, il s'empêcha de rire face à la tournure de cette soirée. Et dans le noir, à peine éclairé par les feux de croisement, son visage brilla d'une nouvelle lueur : celle de la victoire.
C’est à se demander si les jeunes d’aujourd’hui ont conscience des risques qu’ils encourent, ou s’ils réfléchissent ne serait-ce qu'un instant aux répercussions que peuvent avoir leurs actions. À croire qu’ils se sentent invincibles, persuadés que le pire n’arrive qu’aux autres. Le voleur qui lui fait face a l’air d’en faire partie, victime de cette société dissolue, n'ayant pas conscience du danger. Malgré l'agacement, Jihoo ne peut s’empêcher d'éprouver de la pitié pour cet homme, oubliant facilement qu'un peu plus tôt, ce même homme s’est permis des familiarités envers lui qui n'avaient rien d’innocents. — La kétamine n’est pas une drogue récréative inoffensive. Elle peut avoir un impact grave sur votre santé à court et long termes, trouble de dissociation, de mémoire ou lésions de la vessie, et j’en passe. Ça n’a rien de plaisant je vous assure, qu’il explique d'un ton grave et sérieux, espérant instaurer un peu de jugeote dans cette tête insouciante. Étrangement, ses paroles semblent faire effet, et surpris, il observe le masque confiant du voleur craquelé sous ses yeux, dévoilant une vulnérabilité touchante qui finit de convaincre le vétérinaire sur le bon fond du pseudo-délinquant. Intrigué malgré lui, Jihoo se pose énormément de questions à son sujet. Sur sa famille, son enfance, s’il a toujours vécu aux Etats-Unis. Sur ce qui a bien pu lui arriver pour finir par voler cette clinique. Le regard empathique et remplit d'inquiétudes, le quadragénaire est poussé par le besoin de s’impliquer, incapable de tourner le dos à la souffrance d'autrui. Il lui fait penser à un chien errant, farouche de prime abord, mais doté d’une gentillesse et d’un grand besoin d'affection. Un peu comme Hida. Plus il y pense, et plus la comparaison persiste et devient flagrante. L'homme s’avance, réduisant la distance. Jihoo reste toutefois sur ses gardes, se demandant quand même s’il ne s'agissait pas d’une tactique pour l'atteindre et fuir avec son butin. Mais il n’a plus jeté un seul coup d'œil au sac depuis, son regard larmoyant tourné vers lui. Ce qu’il entend provoque un pincement au cœur, son empathie bien trop forte pour être insensible. La mine contrariée, Jihoo ne sait pas quoi dire pour le convaincre qu’il n’est pas indésirable, qu’il a certainement de bons côtés, énormément de choses à offrir. Jihoo a connu une période dans sa vie où il se sentait effroyablement seul lui aussi, presque indésirable. Et si ce n'était pas pour une main tendue, qui sait ce qui lui serait arrivé. — Ne dites pas ça. Vous avez l’air d'être quelqu'un de bien. Vous traversez juste une mauvaise passe. Vous n'avez nulle part où aller ? Je peux vous héberger pour la nuit et on avisera ensemble de la suite… À peine sa proposition énoncée que le voleur réduit la distance pour l’étreindre, figeant le vétérinaire sur place. Le cœur battant, il a conscience avec quelle facilité ce dernier pourrait le broyer s'il le souhaitait, capable de ressentir toute la force au travers de ses bras musclés. — Heu oui, bien sûr. Il se racle la gorge, légèrement gêné, mettant à nouveau une distance respectueuse entre eux. Son regard échoue sur le ventre de l’asiatique alors que ce dernier soulève son t-shirt pour essuyer ses larmes, et ce qu’il y voit lui fend le cœur. De petits hématomes, ici et là, mais ses yeux se fixent sur l'ecchymose plus grosse, d’une couleur zinzolin recouvrant une bonne partie du flanc. Il garde ses questions pour lui, et n'aurait pas eu le temps de les formuler de toute façon car déjà l'homme se faufile, récupérant les clés de voiture laissés sur le comptoir en lui laissant pour mission de ranger derrière lui. Un brin abasourdi, il le regarde partir sans mot dire, un peu choqué de la non-gêne de l'individu. Puis soudain une pensée le traverse et il panique. Le coeur cognant douloureusement, il court à la fenêtre pour l'observer se diriger vers sa jeep, craignant qu'il parte finalement avec le véhicule et qu'il se fasse avoir aussi bêtement. Mais Jihoo le voit s'installer côté passager, et durant les deux minutes où il l'observe, il ne fait pas mine de s'en aller. Quelque peu rassuré, il décide néanmoins de s'activer, et vient ramasser les détritus ensanglantés laissés par l'américain pour les jeter à la poubelle, rangeant les quelques objets éparpillés à leur place. Il ramasse le sac laissé à l'abandon, vérifie son contenu puis dépose les fioles dans la réserve. Une fois tout nettoyé et en ordre, Jihoo vient ranger le tazer là où il l'a trouvé, puis ferme à nouveau la clinique avant de rejoindre sa jeep où le garçon l'attend toujours sagement. Ça lui fait penser qu'il ignore toujours son identité. — Ta ceinture, ordonne-t-il avant d'attacher la sienne et de démarrer péniblement la voiture qui crachote avant d'obtempérer. Il quitte le parking, s'assurant qu'il n'y ait personne avant de s'engager sur la route, quand bien même qu'à cette heure, il n'y ait pas âme qui vive. — Au fait, c'est quoi ton nom ? Avec une infime hésitation, il ajoute. — Tu peux m'appeler Jihoo. Ça ne sert à rien de conserver l'honorifique dans de telles circonstances. Ses doigts autour du volant sont encore un peu engourdis de l'électrochoc, il replie et déplie distraitement ses phalanges pour les dégourdir. À sa réponse, il tourne un visage surpris. — Tes parents t'ont donné un prénom coréen mais tu ne le parles pas ? Le vétérinaire trouve ça bien dommage, quand bien même ils aient décidé de vivre dans un autre pays. — Tu as toujours vécu ici du coup ? demande-t-il curieusement, toujours intéressé de découvrir les différents parcours des personnes qu'il rencontre. Il quitte la route principale pour s'engager dans une petite allée de terre, s'enfonçant dans un couvert de bois. — Je te préviens, Hida n'aime pas les inconnus mais elle comprendra, n'aie pas peur, prévient-il en apercevant sa maisonnée en bout de chemin où l'attend probablement avec impatience sa chienne qui n'aime pas quand son maitre part sans elle. Une fois garé, il claque et ferme la voiture derrière lui, l'invitant à le suivre jusqu'à l'entrée. À la porte déjà le rottweiller grogne à la vue de Mingi, forçant Jihoo à embarquer un peu plus loin la femelle pour l'apaiser, lui ordonnant de s'assoir et la rassurant de quelques caresses. — Ne sois pas mal polie, c'est notre invité Hida. Seulement une fois certain qu'elle s'est apaisée, il s'en détache pour se diriger vers la cuisine et remplir son bol. — C'est bon t'en fais pas, elle ne te fera rien. Tu as soif ? Faim ? Si tu veux utiliser la salle de bain, tu peux. Il y a des serviettes propres.
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