famous and dumb at an early age. (eden)
Nuit écourtée d’un janvier brûlant. Ils ont dormi quelques heures, à peine. La soirée s’est étirée ; puis Charles l’a tiré du sommeil avant cinq heures. Les neurones alertes, le cerveau en ébullition, l’impatience chimique qui le ronge et qui attise son génie.
Comme avant ; elle a essayé de suivre les drames et les tragédies peuplant ses rêves.
Comme avant ; elle s’est demandée s’il allait survivre à cette journée.
Comme avant ; elle l’a aimé.
Comme avant ; elle l’a détesté.
Il n’a rien dit, Charles. Il n’a jamais eu besoin de rien dire. Tout a toujours été écrit dans le fond de ses prunelles, au bord de ces cils, dans ses regards fuyants. Du moins, Tabitha a toujours su lire les maux qu’il tentait de cacher au reste du monde.
Une petite semaine à ses côtés, et tout le monde penserait que le réalisateur lui faisait une fleur, de l’amener sous l'œil de sa caméra. Qu’elle était chanceuse, qu’elle était pistonnée, qu’elle avait ouvert l’espace entre ses jambes pour en arriver là. Une actrice d’un autre genre, qui n’avait rien à faire sur le devant de cette scène, qui n’avait pas le droit de transgresser les genres, qui ferait tâche, et couler beaucoup d’encre.
Peut-être.
En attendant, personne ne verrait à quel point il avait besoin d’elle, et ils le savaient tous les deux. Elle tairait ses secrets, détournerait l’attention, deviendrait le pilier, le miroir, l’étoile, l’esbroufe. Pour cette danse éphémère. Pour leurs années de galère. Le temps d’une respiration, une semaine pour l’aider ; au beau milieu de mois de tournage. Celui-ci tirait à sa fin, il lui avait tout expliqué - les scènes, l’histoire, sa place, sa vision.
Le personnage que Charles lui avait créé n’avait pas de nom, sur le script. Pas plus qu’il n’avait de lignes de dialogues. Une, deux, trois. Ne lui oblige rien, préfère la voir évoluer naturellement.
Charles, il la connaît par cœur. Sous toutes ses coutures, ses vergetures, ses cicatrices. Les lignes de son corps sculpté par l’effort, le reflet de la lumière sur ses courbes. La confiance est aveugle.
Six heures trente quand ils entrent dans le studio. Vingt ans à nouveau, un hangar pour refuge. Ô combien de soirées ont-ils vu défiler sous un toit identique ? Trop, sans doute. Bras dessus bras dessous, à tel point qu’on ne sait plus qui soutient l’autre, ne se lâchent que lorsque le génie agite ses bras de nouveau, glisse les doigts contre la toile invisible devant eux, détaille les plans qui prennent déjà forme dans ses prunelles. Pas de côté puis pas de deux, ils passent de décor en décor, Tabitha n’interjectant qu’assez peu.
Finissent devant la loge costumes, sept heures, les démons s’endorment un peu. Un responsable lui présente quelques tenues sélectionnées en amont, et leurs chemins se séparent. Ils se retrouveront bien assez vite, une heure, deux peut-être.
L’équipe est réduite. La danseuse passe entre les mains des maquilleurs, des coiffeurs, des assistants qui la traînent de poste en poste. On finit par l’abandonner auprès d’une silhouette vaguement familière. En attendant son heure, son tour. Curiosité qui ne tarde pas à la rattraper, faut dire qu’elle a l’habitude, Tab. De croiser des ombres, sans parvenir à trouver la lumière.
Dans une semaine, il n’aura plus d’importance. Aujourd’hui, il ne serait qu’un autre élément du décor, un figurant, une ombre, un reflet ;
la scène appartient à Sunny.
Las, l’homme ne s’empêchait pas d’afficher une moue boudeuse, visiblement loin d’être enchanté d’avoir été tiré du lit pour un projet aussi matinal. Véritable oiseau de nuit, il avait cru bon de se tourner vers la musique pour commencer sa carrière, imaginant plutôt les prestations nocturnes, sans prendre en compte les radios matinales, atrocement nécessaires pour le fonctionnement des titres. Peu à peu, c’était pourtant un autre art qui l’avait attiré, et pour lequel il était éveillé aujourd’hui : celui du cinéma. L’acting, corde supplémentaire à son arc de talents, nouvelle source de revenus, de popularité et de défis, semblait lui apporter la dose de divertissement nécessaire - de quoi chasser la monotonie et la solitude.
Un café dans la main, le second ou le dixième, il l’ignorait, en vérité, il révisait son texte, incapable d’avaler autre chose que ce liquide, aussi noir que son humeur et que son regard assassin. Il n’avait jamais été du genre à cacher ses émotions face au petit personnel, et même s’il commençait à percer, les mauvaises habitudes restaient fondamentalement installées, d’où l’utilité de son attaché de presse et de son avocate - véritable armée qui corrigeait ses mauvais pas, préservant la réputation de l’étoile montante.
“Vous en avez encore pour longtemps ? S’enquit-il envers l’habilleuse qui corrigeait les détails de sa tenue du jour, véritable magicienne aux doigts de fée.”
Il avait simplement été rappelé pour quelques scènes supplémentaires, ignorant les tenants et les aboutissants, ne faisant qu’émettre des suppositions : un manque de figurants, des répliques qui méritaient une amélioration ou encore, une émotion qui semblait trop superflue pour être conservée dans la version finale.
“C’est que ça devient difficile de rester ainsi, bougonna-t-il, impatient.”
Au détour d’un ricanement, il lâcha quelques insultes emplies de tendresse - au sein de sa propre caboche - à l'intention de son amant de la nuit dernière, qui ne l’avait vraiment pas ménagé. Les raisons de son incommodité ne pouvant être exprimées à l’oral, même s’il était loin d’avoir honte de sa sexualité, enchanté de troubler autant les dames que les hommes, versatile qui acceptait la soumission comme la domination, tant que l’on ne lui demandait pas d’exprimer des sentiments, il préféra se taire. C’était plutôt son manque de scrupules qui le poussait à rester silencieux, car la vipère réalisait qu’il n’avait vraiment, aucune limite. Cette nuit brûlante n’avait été qu’un prétexte, qu’une partie de jambes en l’air pour s’immiscer et dépouiller sa victime de ses textes, ses mélodies, pour les user à son avantage. Et même quelques heures après, alors qu’il venait de bloquer l’homme sur les réseaux, les remords n’apparaissaient toujours pas.
Le remue-ménage des coulisses lui apporta alors une nouvelle voisine d’essayage, qu’il accueillit, le sourcil arqué. Son faciès ne lui disait pas grand-chose, mais en détaillant sa silhouette dessinée, l'observant de haut en bas, sans se cacher, il fit le lien. Choix imposé par le réalisateur, cette arrivante n’était pas au goût de tous et certainement pas du sien, ne voyant en elle que vulgarité et incompétence.
“Le chanteur, compositeur, interprète, comédien et désormais acteur, confirma-t-il sans pour autant lever le nez de son téléphone portable, appuyant sur la différence entre leurs deux parcours. Eden Vander, pas encore certain d’être enchanté.”
Dans un soupir, il accepta de lui tendre la main pour la serrer, avec la désagréable sensation que son art se voyait souillé aux côtés de ce genre de personnage. Lui qui se battait depuis des années pour daigner percer - loin de se douter qu’il trouverait bientôt le succès escompté grâce à cette chanson volée - la simple idée que certains puissent user de leurs charmes pour réussir, le révoltait.
“Et toi, t’es la p… Celle qui fait du charme, corrigea-t-il d’une manière malicieuse, comme si sa langue avait réellement fourché, que cette attaque n’était pas soigneusement calculée. Tu lui as fait quoi à Charles, pour qu’il te trouve une place sur le tournage ? J’croyais que c’était quelqu’un de sérieux, pas du genre à se laisser convaincre par une petite gâterie, mais je l’ai peut-être mal jugé, déblatéra-t-il avec un petit sourire, ignorant tout de l’amitié entre le réalisateur et Tabitha.”
Elle devait se mettre dans l’ambiance. Même s’il était sept heures du matin et qu’il était presque tard pour ça. Les portes du Pandora avaient fermé, à cette heure. Mais aujourd’hui, elle n’y était pas. D’ailleurs, elle n’y était plus depuis quelques mois, au night club. Et si elle n’avait pas prévu quelque chose en particulier pour le projet de Charles, elle s’attendait à trouver l’inspiration sur scène. Sur le tempo de la musique qu’il lui choisirait.
Au pire, elle en avait certaines en tête, engravés dans son cerveau, de celles dont la mémoire musculaire suffirait à lui faire reprendre place sur scène. Or, ce n’était pas encore son heure. Pour le moment, on la conviait juste à rester dans un coin - déjà occupé. Un autre acteur qu’elle ne reconnaît que grâce aux moments partagés avec le réalisateur, et non parce qu’il était, comme il le lui signale … chanteur, compositeur, interprète, comédien et désormais acteur. Et, visiblement doté d’un égo qui ne parvenait pas tout à fait à être contenu. Magnifique.
Loin d’être agréable. Tabitha se serait bien gardée de poursuivre cette conversation, mais accepte néanmoins la main tendue en sa direction. Pour entendre se faire insulter. Prévisible. Au moins, lui la connaissait. Une victoire en soit.
Tabitha se moquait bien qu’il l’apprécie ou non, qu’il apprécie les travailleurs du sexe ou non. C’était son problème à lui. Elle était là pour le film, pour faire son taff, pour aider Charles. Alors, il n’y a vraiment que lorsque les insinuations menacent son ami qu’elle prête attention au wannabe.
Son attention est rapidement détournée par une costumière lui apportant un peignoir à enfiler. Partie du costume qu’elle trouvait intéressante, elle pourrait toujours s’en servir sous l'œil de la caméra, pratique pour se cacher, suggérer, se dévoiler. Elle s’exécute et remercie la femme, les talons déjà tournés pour continuer à habiller quelqu’un d’autre. Un autre assistant se pointe, annonce quinze minutes à patienter avant d’être conviés à rejoindre la scène.
Le peignoir ceint autour de sa taille, Tabitha pivote pour faire face au miroir. Elle commence à s’échauffer, sent son corps tirer à certains endroits. Déteste la sensation de se sentir observée, même si son voisin semblait absorbé par son téléphone.
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