La nuit ne fait que commencer ; w/Martin
« Tu me sauverais la vie, Martin. Littéralement ! »
Voilà les mots d’une mère désespérée, depuis le combiné du téléphone, que j’ai balancé à Martin plus tôt dans la soirée . Et pour cause : j’ai reçu un appel de la plus haute importance en fin de journée, concernant le travail. Un ancien collaborateur, qui m’a littéralement initié au métier de photographe au début de mon adolescence, est de passage à Oceanside et aimerait me voir avec des clients. C’est qu’on parle là d'un gros contrat, qui pourrait me faire empocher une sacrée somme d’argent, en échange de mon talent. Mais je le connais, ce collaborateur, cet ami de longue date ; il ne tarit pas d’éloges à mon sujet. Je peux donc dire sans l’ombre d’un doute que je sais ce que je fais, et je ne laisse jamais de place au hasard, ni aux imprévus. En ce qui concerne la photographie, en tout cas. Dans ma vie quotidienne, rien n’est moins sûr. C’est pour cela que l’imprévu frappe à ma porte pour me faire comprendre que NON, je n’aurai jamais le plein contrôle sur ce que j’entreprends. Ceci dit, je le garde bien à l’œil… ce foutu imprévu.
Et donc, Martin me vient en aide. Il débarque à la villa moins d’une heure plus tard. J’ai eu le temps de me préparer, d’enfiler une belle et longue robe rouge, un peu tape à l’œil, je le conçois mais que ne faisons-nous pas pour faire vendre son truc. Dans ce genre de métier, il faut savoir devenir un bon vendeur, être beau parleur tout comme le cliché du gars en costume cravate qui bosse dans une concession de voiture et qui vous ferait vendre n’importe quoi pour un prix plutôt élevé. Mais fort heureusement pour moi, je ne vends pas de la merde. Je suis sérieuse dans mon domaine et tous ceux qui me connaissent le savent ; je ne triche jamais. Arrivée dans le hall d’entrée, je n’ai pas le temps d’enfiler mes talons aiguilles que la sonnette retentit ! Ça, c’est mon ange du ciel qui m'honore de sa présence.
Je n’ai pas encore ouvert la porte que j’ai déjà le sourire suspendu à mes lèvres. Je lui ouvre la porte et soupire de soulagement.
— Viens, entre.
Le jeune homme passe la porte, referme derrière lui. Manël est au salon en train d’écouter une émission sur les gymnastes de haut niveau, de son âge à elle. Depuis quelque temps, voilà qu’elle s’intéresse à la gymnastique et semble vouloir que je l’inscrive à des cours. Pourquoi pas ? Si cela peut l’aider à canaliser sa colère. Parce que oui, ma jolie petite tête brune est très souvent en colère, sur la défensive, s’imagine que je ne comprends rien à ses malheurs. Pauvre petite puce, huit ans et déjà en pleine crise existentielle. Non mais en fait, depuis mon divorce avec Ismaël son père survenu il y a six mois, elle n’est plus pareil. Tout ce qu’elle aimerait, c’est que ses parents se remettent ensemble et que la famille qu’elle a toujours connue et idéalisée/idolâtrée redevienne ce qu’elle était. Mais hélas, c’est impossible. Sans amour, un couple n’a aucune chance de réussite. Je n’ai pas cherché à sauver mon mariage à l’époque, pourquoi j’essayerais aujourd’hui ?
Avant de m’en aller, j’enfile mes boucles d’oreilles que j’ai laissé traîner sur le comptoir de la cuisine et je dis à Martin qui s’apprête à rejoindre ma fille au salon :
— Oh, pas plus tard que 21 heures au lit, s’il te plait.
Martin connaît la maison comme sa poche, j’ai laissé le numéro et l’adresse du restaurant sur le frigo au cas où il se passerait quelque chose durant la soirée et qu’il n’est pas capable de me joindre sur mon cellulaire. Telle une mère excessivement protectrice, je lui donne les dernières directives/recommandations avant de mettre les voiles et de rejoindre mon groupe de messieurs pour une histoire de boulot !
Il est pratiquement minuit lorsque je me fais raccompagner par le chauffeur de mon collaborateur. La soirée a été très intéressante et je suis heureuse de dire que j’ai décroché ce fameux contrat qui ne pouvait pas attendre. Encore une bonne occasion pour boire une coupe de vin, histoire de fêter la nouvelle. Je passe la porte de la villa, je tique sur le fait que toutes les lumières soient encore allumées. Appuyant sur certains interrupteurs pour éteindre ce qui n’est pas utile, je rejoins la cuisine que je découvre… dans un état lamentable. Bols, ustensiles, plats, coquilles d’œufs, farine, etc. Partout, partout… Une bombe a explosé dans ma cuisine, c’est sûr. Aucune autre explication possible ne me vient à l’esprit. Serrant des dents en soupirant, je me concentre sur le bruit qui provient du salon. Et sur le canapé, Martin et Manël sont profondément endormis, l’un dans les bras de l’autre. Je ne peux que sourire face à toute cette tendresse. C’est que Manël l’adore, son baby-sitter ! Et moi aussi, je l’adore. Je l’adore vraiment beaucoup. (Surtout, n’allez pas lui dire, il risquerait de prendre en centimètres, le p’tit !) Et je ne dis pas ça parce que c’est le petit frère de ma meilleure amie. Martin est doué, il sait y faire avec ma princesse. J’attrape la télécommande, éteins la télévision et me penchant ensuite vers le jeune homme, je lui caresse le bras, en chuchotant :
— Coucou, je suis rentrée.
Martin n’est jamais contre rendre un service à quelqu’un, qu’il appartienne à son cercle proche ou pas. Il le fait toujours de manière désintéressée, parce qu’il en a envie, sans rien attendre en retour, et peut-être a-t-il quelques difficultés à dire non, ce qui expliquerait qu’il accepte (presque) toujours, sauf quand un impératif l’en empêche. Gigi, par exemple, n’est pas l’une de ces personnes à qui il peut dire non, bien au contraire ! D’autant plus qu’il adore sa fille, Manël, avec qui il se sent étonnamment proche. Il a toujours apprécié les enfants, Martin, peut-être parce qu’il a gardé une âme enfantine aussi. Face à l’appel paniqué de la jeune femme qui lui demandait s’il pouvait littéralement lui sauver la vie, il avait donc accepté sans l’ombre d’une hésitation, ayant suffisamment de temps devant lui. Il n’a rien prévu ce soir-là, même s’il sort régulièrement, et il sait qu’il ne manquera pas d’idées pour divertir la petite fille, sans parler du fait qu’il faudra probablement la mettre au lit assez tôt – s’il y arrive, parce que Manël, elle sait le prendre par les émotions pour le mener à la baguette. Il n’a probablement pas assez d’autorité avec elle et il le sait pertinemment, il essaie de travailler là-dessus, en vain. Quand il prend sa grosse voix avec la petite fille, même les mouches rigolent. Il débarque rapidement après l’appel de Gigi, le temps de se changer rapidement et de rassembler ses affaires, essayant de ne pas être à la bourre même si ça lui arrive souvent. Parce que Gigi compte sur lui, il ne peut pas se permettre de traînasser. Il sonne à la porte et Gigi lui ouvre rapidement, l’air absolument ravi de le voir. « Salut ! Wow… » qu’il ne peut s’empêcher de lâcher en la voyant dans sa longue robe rouge. C’est qu’il aurait presque oublié, Martin, qu’en plus d’être la meilleure amie de sa grande sœur et donc comme une grande sœur de substitution, elle est aussi une femme. Et une sacrée jolie femme, il ne peut pas le nier, lui qui est parfaitement sensible à la beauté féminine.
Il entre dans la grande maison et aperçoit rapidement la petite fille passionnée par une émission, il la salue distraitement mais sans la déranger, connaissant aussi son petit caractère. Au lieu de ça, il préfère attendre les dernières recommandations, puis Gigi s’éclipse pour se rendre à sa soirée. Les heures suivantes passent à vitesse grand V, Martin s’occupant de la petite avec une attention toute particulière, même s’il a l’impression que c’est plutôt elle qui s’occupe de lui, parfois, mais ils s’entendent à merveille. Ainsi, ils multiplient les jeux, avant de décider de se lancer dans la confection de cookies, parce que tous deux adorent les cookies. Ensuite, Martin perd un peu le fil ; Manël insiste pour regarder de nouveau la télévision et Martin n’approuve pas cette idée, parce qu’il est tard et qu’il n’a pas envie qu’elle passe trop de temps devant les écrans mais, comme d’habitude, il ploie face à sa détermination. Juste cinq minutes, le temps de se reposer un peu, assure-t-il. Et ensuite, au lit. Enfin, c’est ce qu’il croit. C’est finalement la voix mélodieuse de Gigi qui atteint ses oreilles, alors qu’il sent un contact sur son bras. Il sursaute et se redresse péniblement « Kesskiya ? » il n’a aucune idée d’où il se trouve, de l’heure qu’il est, il ne voit que le visage de Gigi au-dessus de lui et il a besoin de longues secondes pour comprendre. Manël dort tranquillement à côté. « Je… mince. Quelle heure il est ? » qu’il balbutie, encore un peu dans le brouillard. Ce qui est certain, c’est qu’il n’avait pas prévu d’être ainsi réveillé par la jeune femme. Il connaissait pourtant son job, il aurait dû mettre au lit la petite fille, ranger toute la cuisine et la rendre propre, avant de s’échouer dans le canapé, devant un film. Voilà comment les choses auraient dû se passer. De toute évidence, quelque chose a foiré au fil de la soirée.