count on me

Il aime taquiner Joan. Davantage depuis qu'elle est revenue à Oceanside et qu'elle se noie sous le travail. Il lui fait parfois quelques remarques sur le sujet mais en vérité, il n'est guère mieux. Le jour se lève à peine qu'il est déjà occupé à boire un café dans son bureau et à grignoter la première cochonnerie parmi toutes celles qu'il prendra de la journée. Il devrait se méfier mais il ne le fait. Probablement qu'il arrêtera cette hygiène de vie quand un contrôle de santé le rattrapera. En attendant, il ne compte pas les heures qu'il passe à travailler. Souvent, quand il se décide à partir, les rayons du soleil n'éclairent plus la ville. Les heures de bureaux sont passées longtemps, et la circulation est idéale pour tout moyen de transport même si lui ne se lasse pas de se déplacer en moto. Et pour parfaire à ce nombre d'heures non prises pour soi, son appartement est un autre exemple. Il a pris la première chose qui s'est présenté à lui quatre ans auparavant. Du provisoire pour n'importe qui. Pour lui, cela commence à devenir du moyen terme, et si on ne l'oblige pas à changer, certainement que cela se transformera en long terme. Un appartement bien trop petit, à peine fonctionnel. Sans le moindre attrait, et qu'il ne songe pas à décorer. Il n'y a que le strict minimum, et les babioles se révèlent bien futiles dans un tel lieu. Même sa penderie n'attire pas, elle est en toile, un peu branlante. Un jour, il rentrera pour constater qu'elle a rendu l'âme et qu'elle s'est écroulée, avec tout son contenu. Sa mère lui a fait quelques remarques, et lui a même proposé de payer la moitié de la maison qui lui revient. Il fait la sourde oreille, se contentant de peu et ne se préoccupant pas vraiment des choses matérielles. Il ne passe que trop peu d'heures chez lui pour s'inquiéter de ne pas vivre dans un cocon douillet. Cette habitude ne meurt pas, même si son style de vie a quelque peu changé. Il ne se déplace plus d'une ville à une autre. Sa charge de travail ne se réduit pas, car il continue, sans compter ses heures. Alors, quand il se moque un peu de sa demi-soeur, c'est l'hôpital qui se fout de la charité. S'ils se donnent rendez-vous au Maxdon, il s'écoule presque une heure avant qu'il ne se décide à quitter le poste de police. Il se rend sur le lieu, sans s'inquiéter d'un potentiel retard. Il se doute que Joan ne sera pas encore arrivée. A moins qu'un miracle ne se produise, et dans ce cas il lui présentera ses plus plates excuses, avant de surenchérir en la chambrant. Lui envoyer des messages régulièrement. La voir de temps en temps, tout comme voir sa mère et son beau-père, cela fait parti de ce nouvel équilibre qu'il se construit depuis qu'il est devenu Kalen. Équilibre parfois encore fragile, ce qu'il constate quand il passe une heure chez son psychologue. Depuis quatre ans, il ne rate pas un seul rendez-vous. Car tout comme sa famille, il a besoin de ces derniers pour s'autoriser à être bien. Moto garée à proximité de l'établissement. Ses gants sont mis dans son casque alors qu'il prend la direction du bar. Il n'est qu'un client parmi tant d'autres même si sous sa veste, il a toujours son arme de service et son badge. Il s'installe à une table, en attendant sa soeur, et quand une serveuse s'approche pour prendre sa commande, il la remercie mais répond qu'il va patienter, car il attend quelqu'un. Qui aime ou non se faire désirer.

Que faire en attendant une personne dans un bar. On peut commencer à boire, sans attendre. Lui ne le fait pas. Oeil averti parcourant la salle. Vieilles habitudes qui ne s'éloignent pas, préférant rester au chaud, et le guider. Les sorties sont repérées. Inutile car il quittera l'établissement de la même manière qu'il est entré. Regard glissant sur les différentes silhouettes, aussi bien celles du personnel que celles des clients. Il jauge sans même se rendre compte qu'il le fait, s'assurant qu'il n'y a pas de probabilité de dérapage. Une nouvelle fois, c'est certainement inutile, mais il est fait ainsi. Quand d'autres patientent le nez collé sur un écran de téléphone, lui observe son environnement. Le temps s'écoule de la même façon, alors quelle importance comment on patiente. Minutes s'écoulant, puis enfin cette silhouette familière qui apparaît. Sourire aux lèvres à sa vue. Joan. Première rencontre tumultueuse mais à présent, il ne s'imagine plus sa vie sans elle. Il se lève à son approche, la serre dans ses bras. - Je m'y attendais oui, et de toute façon cela ne fonctionne plus tes excuses pour le retard, j'ai l'habitude. Petite pique envoyée sans qu'elle n'en soit une. C'est plus fort que lui, il ne peut s'empêcher de la taquiner. Avec elle, il peut se permettre d'être direct, lui dire tout ce qui lui passe par la tête. Et même parler sérieusement. Quand il est venu à s'installer à Oceanside quatre ans auparavant, le coeur quelque peu meurtri, il s'est mis à l'appeler le soir, assez régulièrement. Besoin d'entendre sa voix, de réconfort au départ avant qu'il ne prenne goût à ces appels réguliers. Appels qui sont désormais espacés, remplacés par des messages, plus adéquat avec leur emploi du temps respectif. Il se remet sur sa chaise, et secoue la tête doucement en signe de négation. - Pas encore, je t'attendais. Et je me suis dit que si j'attaquais sans toi, les verres allaient s'accumuler sur la table d'ici ton arrivée. Sourire élargi sur les lèvres. C'est de bonne guerre. Il lève la main pour faire signe à un serveur qu'ils sont prêts à commander. Pour lui, ce sera un whisky, cela ne lui fera pas de mal après cette longue journée de travail. - Tu veux boire quoi ? demande-t-il en attendant l'arrivée du serveur. - J'hésite à te demander de faire une photo pour l'envoyer aux parents. Qu'ils voient qu'on ne fait pas que travailler enchaîne-t-il d'un ton amusé.

Des débuts difficiles entre eux. Joutes verbales, avec parfois un langage peu fleuri. Défense de territoire, ou plutôt protection de l'être le plus cher à leurs yeux. A savoir sa mère en ce qui le concerne, et son père pour Joan. Défense légitime quand on sait que chacun a été élevé dans une famille monoparentale. Protection féroce dès la première rencontre. Inquiétude chez leur parent respectif, crainte que l'un d'eux fasse capoter leur bonheur. Prise de positions, de mots. Et finalement, davantage d'inquiétudes pour une réalité beaucoup plus douce. Leurs parents sont heureux, chacun a accepté cette union. Quant à eux, il se confient autant qu'ils s'embêtent. Naissance de ce lien entre un frère et une soeur qui ne sont pas unis par le sang. Le sourire aux lèvres de Kalen à la mention des excuses qui ne sont plus sorties. A force de les entendre, il les connaît. Plus aucun intérêt à les lui répéter. Taquinerie de mise à peine la plus jeune est-elle arrivée. Pression du travail qui disparaît. Il n'est plus capitaine d'un district, juste un homme qui passe du temps en famille. Sérieux s'envolant pour étirer ses lèvres d'un sourire qui ne faiblit pas. - Plus maintenant, mais dans mes jeunes années, je descendais plus rapidement. Info ou intox ? balance-t-il d'un ton dont on ne sait pas s'il est sérieux ou non. Petit jeu, tout comme celui d'observer les gens et les lieux autour de lui. - Je pense que l'homme installé là-bas ne discute pas avec sa moitié officielle. Observe son doigt qui tapote sur la table. désigne-t-il d'un léger signe de tête pour indiquer à Joan la direction où regarder. - J'ai repéré d'autres choses, on va voir si tu les remarques. Pourquoi devrait-il tout indiquer à sa soeur alors que c'est plus amusant d'observer un minimum. Il lève les yeux vers le plafond à l'écoute de sa commande. Toujours la même chose. Et s'il semble s'en offusquer, il n'est guère mieux avec son whisky. Même s'il lui arrive de tester des cocktails de temps à autre. Il fait une remarque à laquelle il ne s'attend pas à ce qu'elle le prenne au mot. - Eh ! Un peu de respect ! Il se rapproche sans être pour autant vexé. Collant sa tête contre celle de la jeune femme, souriant à l'objectif, le temps de la photo. Preuve pour leurs parents qu'ils se détendent, ensemble. Sans être obnubilé par leur travail respectif. Possible qu'ils vont penser que c'est un leurre. Une brève pause avant que chacun reparte à son métier. Peut être qu'ils vont en profiter pour répondre sur leur groupe, leur sommant de venir à la maison, pour un repas en famille. Pourquoi pas après tout, il adore leur cuisine, et cela lui change des repas pris sur le pouce. Commande passée auprès du serveur, les voici de nouveau seuls et tranquilles. Le brun hausse légèrement les épaules. - Ce nouveau poste me plait même si ce n'est pas évident d'être à la tête d'un district. Il y a une commère du nom de Morris qui me raconte tout ce que j'ai besoin d'entendre sur tout le monde, et même trop. C'était un peu marrant au début, mais il est un peu pot de colle. Je pense que je vais faire quelques patrouilles, ça me manque un peu d'être toujours sur le terrain. Même si maman est heureuse de me savoir dans un bureau... On dirait un peu toi dans ton labo, enfermé dans un bocal et concentré. Et sinon, de ton côté, mais hors boulot ?  

Parfois, il regrette un peu les années passées sur la route, d’une ville à une autre, à la poursuite d’un fugitif avec son groupe spécial du bureau fédéral. Dormir rarement au même endroit, ne pas avoir le temps de se poser et être toujours alerte. Parfois il regrette cette vie, mais cela devient très rare. En comparaison, depuis qu’il s’est installé à son tour à Oceanside quatre années auparavant, il a gagné en stabilité. Il peut également voir sa mère plus régulièrement sans être obligé de se contenter d’appels passés entre deux missions. Elle n’a jamais aimé son ancien métier, il l’a toujours senti même si elle n’a jamais rien dit. Quand il a décidé de se reconvertir dans la police, encore une fois, elle n’a rien dit mais il a vu la grimace sur son visage. Elle n’aime pas l’idée qu’il risque sa vie. Pourtant, c’est ainsi qu’il s’épanouit. Dans ce métier, et au contact de ses proches. Dans ces instants passés en compagnie de sa famille. Dans ces petits jeux qui naissent entre Joan et lui. Elle qui est tout comme lui bien trop dans son travail. – Bien vu ! Mais cette période a été assez courte. La jeune femme est forte dans ces petits jeux. Elle devine bien. Elle observe également bien. À la remarque qu’elle fait sur la femme assise avec cet homme, il glousse. Ce n’est pas faux ce qu’elle dit. – Je t’embauche direct, abandonne le labo et viens avec moi au district 21. Tu seras notre petite rookie. Il secoue doucement la tête à cette vision, sachant qu’elle ne se réalisera jamais. Déjà car il ne pourra pas la prendre dans son district. Et ensuite, il tient encore à sa vie et ne désire pas avoir son beau-père sur son dos. Nul doute qu’il préfère savoir sa fille enfermée dans un laboratoire plutôt qu’à risquer sa vie dans les rues de la ville. D’ailleurs en songeant à lui, mais également à sa mère, les deux font une photo que la jeune femme envoie. Le téléphone de Kalen émet une légère vibration mais il ne le prend pas, sachant que c’est la photo. Les parents ne vont pas y croire. Eux dans un bar. À se détendre même si là, il parle de son boulot. Les vieilles habitudes ne s’en vont jamais très loin et reviennent au galop même s’il ne fait que répondre à Joan. Il aurait tout de même pu répondre qu’il n’abordera pas ce sujet, qu’ils ne se retrouvent pas pour parler travail. Ce qu’il ne fait pas. Il hausse les épaules. – Je peux aller patrouiller oui. Il faut juste que je mette un lieutenant en charge du poste durant mon absence mais je ne les connais pas encore bien tous. Autrement dit, il ne sait pas encore à qui il peut faire confiance ou non et ce, malgré toutes les informations que lui donnent Morris, et les opinions qu’il se fait au passage. Il attrape à son tour son verre qu’il fait tinter contre celui de sa sœur. Puis il le porte à ses lèvres pour boire une gorgée. – Je vais lui dire stop sous peu. Et tu n’as pas idée du côté Gossip qu’il peut y avoir. Et encore c’est mieux dans ce district que dans mon précédent. Le grand frère qu’il est l’interroge ensuite pour savoir ce qu’il y a de nouveau dans sa vie, évidemment en dehors du travail. Pas grand-chose. Voici qui le fait froncer les sourcils mais qui ne l’étonne pas non plus. Les opales qui se fixent sur Joan, cherchant à savoir si c’est la vérité ou si elle garde les mots en elle. C’est alors qu’un prénom retenti. Noela. Aussitôt son attention s’accroît. – Je me souviens oui. Il ne juge pas mais s’inquiète toutefois un peu pour Joan. – Elle était en visite à Oceanside quand tu l’as revue ? Demande-t-il cherchant à comprendre si c’est une coïncidence ou une rencontre préméditée. – Comment tu te sens par rapport à cette rencontre ? Il n’a pas les cartes en mains Kalen. Il va falloir que Joan lui en dise un peu plus pour qu’il se montre présent, tente d’être de bon conseil, ou juste pour l’écouter attentivement alors qu’elle se confie à lui.