lena ;; tomorrow
Elle hésite, pour la centième fois, à proposer à Lena de s’organiser différemment, de se retrouver plutôt chez elle, qu’elle n’ait pas à galérer avec la gestion des jumelles. Lula, elle sait ce que c’est que de devoir se déplacer avec un nouveau-né ; imagine sans mal que c’est pire encore quand il y en a deux — tout comme elle se souvient du besoin de quitter son domicile, de pouvoir sortir de ce quotidien.
Mais Lena n’est pas comme elle.
Alors peut-être qu’elle projette un peu trop, Lula, et qu’elle assume des choses fausses sur celle qui est devenue une amie au fil des années. Qu’elle essaie de la sauver d’un univers duquel il n’y aurait besoin de l’en tirer. Et puis, si Lena avait voulu rester dans le confort de sa maison, elle le lui aurait dit — c’est ce dont elle essaie de se convaincre alors qu’elle range une mèche de cheveux derrière son oreille en apercevant l’enseigne de la librairie tandis qu’elle remonte l’avenue. Et il est un peu tard, maintenant, pour venir perturber toute l’organisation, changer le programme à la dernière minute. Elle inspire, Lula, se force à ranger le téléphone dans son sac à main et ne plus y penser. Au pire, elle n’en a que pour une très courte course à la librairie, l’idée était d’aller se poser dans un café un peu plus loin ou dans un parc — selon les températures et la météo se prête assez bien à la seconde option, aujourd’hui — pas de flâner dans les magasins tout le temps où elles se verraient et si Lena veut rentrer rapidement, ça leur sera possible. Elle réalise alors qu’elle ne sait pas si Lena préfère faire garder ses petites ou les sortir — elles qui sont encore si petites, même pas un mois qu’elles sont nées.
Elle se gratte le cou pensivement lorsque son amie apparaît soudainement face à elle sans qu’elle ne l’ait vue arriver. Petit pas de recul par la surprise et elle laisse finalement un sourire étirer ses lèvres. « I was wondering if you’d come with the twins. / Je me demandais justement si tu allais venir avec les jumelles. » Sans savoir ce qu’elle aurait préféré, consciente de l’attention permanente que demandent les chérubins — et si elle a éduqué son fils, elle ne peut pas prétendre être beaucoup plus à l’aise avec les bébés qu’à l’époque, Lula. « Does it bother you if we go inside real quick? I’m looking for a book and I know they have it here. / Ca ne te dérange pas si on fait un saut à l’intérieur ? Je cherche un livre et je sais qu’ils l’ont, ici. » C’est pour le boulot, qu’elle se retient de préciser parce que ça ne l’est qu’en partie — elle voulait déjà le feuilleter avant de réaliser que ça pourrait être un bon outil de travail sur lequel se reposer et à mettre dans les mains des patientes de l’association. « So, do you get any sleep? And recover a bit? / T’arrives à te reposer un peu ? Et à te remettre ? » Sans être le premier, l’accouchement reste quelque chose de fatiguant — de son point de vue, en tout cas.
Ses doigts courent sur les différentes couvertures avant qu’elle ne trouve le rayon qui l’intéresse et que ses yeux parcourent les titres en quête du bon.
Elle avait beaucoup de mal à laisser ses enfants sans sa surveillance. Bien entendu, elle avait une confiance aveugle envers son mari, mais elle avait toujours été une mère poule et elle l'assumait totalement la chose. Aujourd'hui, elle avait eu beaucoup de mal à n'accepter que quitter la maison sans elles, les trois. Néanmoins, elle savait sa famille entre bonnes mains, puisque Tyler était à la maison avec elles. Une de ses amies de longue date lui avait donné rendez-vous pour un café, le temps de reprendre contact. Les deux femmes partageaient une histoire commune et parfois, la brune avait l'impression que Lula était la seule personne qui comprenait ce qu'elle ressentait par moment, ce qu'elle vivait à l'intérieur d'elle. Elle avait embrassé ses enfants trop longtemps, beaucoup trop longtemps. Une paire de shorts en jeans et un t-shirt de groupe de musique, enfin une ancienne tenue qui lui refaisait. Heureuse de pouvoir entrer de nouveau dans les vêtements qu'elle portait avant que sa grossesse ne soit trop avancée et qu'elle perde sa silhouette de guêpe. Lula lui avait donné rendez-vous dans un café pas trop loin d'une librairie. Étant un peu à l'avance, elle savait qu'elle trouverait son amie probablement devant, en train de se demander si elle devait y entrer. - I have to learn to leave my daughters without me. Sometimes... Not too often. Répondit-elle automatiquement tandis que Lula lui posait la question pour ses jumelles. Une partie d'elle aurait aimé traîner les nouveaux nés avec elle, mais elle se doutait bien que le temps de qualité avec son amie se serait transformé en attention constante envers les deux petites filles. - I knew you would ask. We can come in, no problem. Ensemble, les deux brunes entrent dans la librairie. Depuis toujours, elle adorait l'odeur des livres neufs. Elle se demandait encore comment les gens faisaient pour s'acheter une liseuse électronique et ne pas profiter de la texture d'un livre ou encore, la texture du papier épais sous les doigts. À sa question, elle se contenta simplement de glisser les mains dans les poches arrière de son short, laissant un mince rire s'échapper de ses lèvres. - As soon as one gets started, so does the other! It's not easy Lu, I admit.. I sleep about three hours a night but I refuse to leave them alone, yet.. Elle tendit le bras en direction de son amie, venant l'interrompre dans ses recherches pour attirer son attention. - But you. How are you doing ? Elle savait que Lula traversait des moments difficiles parfois. Dernièrement, elles n'avaient pas eu beaucoup de temps ensemble, venant faire un perdre un peu les dernières nouvelles. - I'm happy, I'll finally be able to have my first coffee in ages! I struggled with caffeine during pregnancy! I'm glad it won't come with heartburn this time.
Aucune poussette en vue — pas d’enfant, alors. Lula, elle ne s’en réjouit pas ; pas plus qu’elle ne s’en lamente. La neutralité reste le mot d’ordre quand il est question d’enfant. Elle ne les repousse pas, Lula, ne les tiendra pas à bout de bras si l’un lui est glissé dans les bras, ne grimacera pas de dégoût si on le lui en présente un. Mais les souvenirs de la dualité qui s’est formée en elle à la découverte de sa grossesse lui restent en tête, l’empêchent de détendre totalement la tension de ses épaules. Elle apprécie la présence d’enfant mais ne parvient pas à perdre ce mal-être quand elle y est confrontée. Ils lui rappellent ce qu’elle a dû abandonner, le sentiment de dégoût, la culpabilisation. Ils lui rappellent tout ce qu’elle n’a plus, tout ce qu’elle n’a pas eu le loisir d’avoir. Ils lui rappellent le choix qui lui a été pris, les sacrifices qu’elle n’a pas choisi de faire. Et ce, malgré cette tendresse qu’elle peut leur porter, la véritable curiosité de savoir comment ça se passe pour les autres mamans, le partage d’anecdotes sur lesquelles il est possible de glousser ou de s’amuser — elle essaie de ne garder que le bon, Lula, de la présence d’Ezra dans sa vie, mais n’y parvient pas toujours.
Ou maladroitement.
« Going little by little it’s a good thing. You know what they say, one step after the another. » Nul besoin de se brusquer ou de vouloir flamber les étapes — profiter pour soi, même quand on est une mère, reste essentiel. Lula, elle en a conscience, elle qui avait besoin de journées loin de son fils, de semaine où elle pouvait ne pas à s’en approcher plus que de raison le temps de se redécouvrir. Pas de norme dans ce domaine-là non plus. Pas de jugement, surtout, de sa part, à Lula. Elle profite de l’interlude pour désigner la boutique derrière elles et ne masque pas son soulagement quand Lena accepte de l’accompagner à l’intérieur. Elle pousse la porte la première avant de s’y glisser, les pas craquant sur le sol en bois avant de la diriger dans le rayon approprié. « I can only imagine. I had trouble sleeping an entire night and I only had one so with two… You’re my new hero, really. They’re still very young, I get why you wouldn’t want to leave them just yet. Especially at night time. » Moins de scrupule de son côté — mais quand même. Les journées étaient plus évidentes que les nuits où elle se surprenait à veiller au-dessus du berceau par moment, à tendre une main tremblante devant son visage pour s’assurer qu’il respirait encore. Elle relève un livre à hauteur de son visage avant d’être interrompue dans son geste, la tête qui se tourne automatiquement vers Lena, deux traits d’inquiétude sur son visage avant qu’elle ne se détente à la question. « I’m good. The center is doing great which is a relief if I’m being honest. I’ve come to realized how much I’ve missed being able to express myself physically, you know? » Elle ne parlera pas de danse, pas entièrement — pas complètement. Toujours à mots détournés. Il s’agit de mouvements, il s’agit du corps, il s’agit d’orchestrer une succession de mouvements mais pas de danse. Jamais à voix haute, en tout cas. « Ezra is being himself even if I don’t really know what that means. Going out, coming home late. Part of me thought his teenage years would end with him being eighteen but that’s not how it works. Sometimes I miss the little boy he used to be. » Le petit garçon, pas le nouveau-né ; non, c’est l’enfant de trois à huit ans qui lui manque, à Lula. Celui déjà en mesure de s’exprimer, de marcher, celui qui venait se blottir contre elle, qui lui répétait qu’il l’aimait, celui qui posait des questions auxquelles elle n’avait pas de réponse. Celui qui l’obligeait à se poser pour le temps d’un jeu, qui lui racontait avec détails ses journées à l’école, son rêve de la nuit passée. Celui qu’elle pouvait encore porter dans ses bras. La nostalgie lui prend la gorge et elle repose le livre finalement pour en attraper un autre, celui qu’elle cherche, semble-t-il. « But hey, they have to grow up one day, » qu’elle relativise malgré elle. Et puis le rire qui éclate, discret mais bien là. Le rouge qui teinte ses joues de joie. « Ah yes, and you can eat sushi again too! » La longue liste d’aliments proscrits durant la grossesse lui revenant en tête. « Speaking of coffee, I’ve found what I came in for, so let’s pay and get you a delicious coffee. » Elle mène le duo à la caisse, billet échangé, livre glissé dans son sac à main et elle tient la porte ouverte à Lena, la laisse passer devant avant qu’elles ne s’installent dans un coffee shop juste à côté. « Are you still on maternity leave? » Une pensée pour la clinique récemment ouverte — les discussions régulièrement tournées vers le sujet, à l’époque où ce n’était qu’un projet.
À travers les années, la maternité avait pris une tournure complètement différente dans le cœur de la brune. Adolescente, elle avait frôlé la chose de peu. Un accident, si vraiment c'est comme ça qu'elle pouvait le décrire, quelque chose de beau qui s'était mis sur le chemin de son petit ami de l'époque et ce même bonheur qui lui avait été retiré, de force. Sans même qu'elle ne puisse en dire un seul mot. Plus tard, elle avait eu de nouveaux droits à ce bonheur et cette fois, elle l'avait accepté. Ce n'était tout de même pas le sentir parfait dans le myocarde, sachant qu'elle ne pouvait le vivre avec l'homme qu'elle aimait, le même concerné que quelques années auparavant. Elle aurait aimé. Elle aura voulu partager la vie du blond hélas, l'époque n'était toujours pas la bonne, il faut croire. Elle avait préféré prendre la fuite, s'occupant ainsi de sa première fille seule, sans son père biologique. À ce jour, la maternité avait un goût plus doux. Elle avait fait la paix avec la chose, pouvant finalement vivre pleinement l'aventure et surtout, avec l'amour de sa vie à ses côtés. Néanmoins, elle savait que son amie Lula ne vivait pas nécessairement la même chose qu'elle, d'où la raison pourquoi elle avait préférée venir seule. - I'm lucky to have Tyler with me, also. He takes care of his daughters very well ... maybe even better than me. One of the two, Emma, is slightly smaller. Nothing alarming but I tend to be very protective of her. When she is in her father's arms, she automatically calms down. I'm almost jealous. Elle soupire légèrement. - I'm not a hero, just a mom doing her best. Elle admire le courage de son amie. Ce centre, elle en aurait eu bien besoin dans son adolescence. Elle aurait eu besoin de ses voix encourageantes, celle à qui elle aurait pu se confier. Au lieu de ça, elle avait perdu confiance en l'homme qu'elle aurait dû, son paternel. Il l'avait mis face à un mur sans même prend le temps de connaître les sentiments de sa fille. Non, il avait décidé pour elle, venant traumatisée sa vie pour toujours. - I admire your work Lula. Une pointe de tristesse se dessine dans son coeur en entendant les mots de la belle. Elle le sait Lena, elle le sait la souffrance qu'éprouve son amie à ne pas pouvoir exprimer son ressenti, ne pas pouvoir se défouler. - A day will come, don't worry. Étrangement, à ses mots, elle peut sentir son coeur se froisser. Elle est mère de deux nouveau-nées, ce n'est pas d'ici demain qu'elles deviendront adolescentes, ni sa plus vieille fille, Anya. Cependant, à entendre parler son amie, ce bonheur pouvait rapidement s'effacer, disparaître. Le temps passait définitivement trop vite. - I know they will grow but if I could know a magic recipe to keep them kids forever, I would. Elles prennent rapidement le chemin du café, situé tout près. Évidemment, le goût de la caféine lui avait manqué dans les derniers mois. Elle n'utilisait pas la boisson chaude pour se réveiller, ni comme façon d'être plus énergique. C'est simplement le goût qu'elle aimait et le réconfort que la chaleur de la boisson faisait. Elle s'était habituée à se réveiller le matin avec l'odeur qui envahissait la maison. Puis, la tasse qui l'attendait pour commencer la journée. Elle avait eu beaucoup de mal à couper sa routine préférée, mais aujourd'hui, rien ne la rendait plus heureuse que de retrouver le tout. - Thanks for the coffee. By the way ! What was the book you were looking for ? Une gorgée sur le bout des lèvres, elle peut déjà ressentir la joie qui s'éprend de son corps. - Yes, I have a year ahead of me! I should return to work next September. I know I just opened the clinic but.. Part of me wants to change careers. Pour quelque chose de moins stressant, quelque chose qui lui permettrait de rentrer à la maison le soir, retrouver sa famille. Avec le poste qu'elle avait avant l'accouchement, elle devait rester jusqu'à pas d'heures et se lever avant le soleil. Aujourd'hui, elle ne trouvait pas la chose très envisageable avec trois enfants..