I guess everybody heard... You left me.
Bien qu’il adore se produire sur de grosses scènes, parce que cela rendait l’échange avec le public plus réel et plus puissant, comme un coup de poing en pleine gueule, il aimait aussi parfois revenir à de petites salles intimistes. L’échange était plus doux, plus intime. Il n’y avait pas besoin de grandes démonstrations, ni de forcer la voix. Bien souvent c’était les paroles qui prenaient le plus de corps. Les spectateurs se montraient plus à l’écoute des inflexions et de l’émotion qui y était mise. Des sensations différentes, sans chichis, décorum, danseurs… Pas de Louise non plus, ce qui l’inquiétait un peu et faisait grimper sa culpabilité. Il s’était cru plus alerte devant ce genre de choses après l’enfance qu’il avait connue mais il était passé complètement à côté des agissements d’Hank envers son amie. Il avait le sentiment d’avoir failli, encore une fois. Comme si quelque chose chez lui était brisé, car quels que soient ses efforts il se retrouvait toujours comme un couillon à ne pas savoir quoi dire ou faire. et il perdait les choses. Les gens.
La salle était coquette, avec des fers accrochés un peu partout et des portraits d’artistes. Une ambiance feutrée, sans néons criards, juste des guirlandes parsemées sur les murs et le plafond comme des lucioles. Un simple tabouret et un micro sur la scène. Rien que lui et sa musique. Il fit une entrée timide sur le plancher, les conversations absorbant l’attention du public. Il aimait ça, il y avait comme un défi à devoir s’approprier l’attention de tous sans pour autant rompre le brouhaha chaleureux qui l’habitait. Il glissa une cuisse sur le tabouret, soutenant sa guitare ainsi et gratta les premières notes d’une chanson qui n’était pas la sienne, mais qui était aimée de tous. Il s’attira ainsi la curiosité de quelques personnes, avec lesquelles il échangea un sourire complice alors qu’il entrait au cœur de la chanson. Le bonheur de se produire était aussi simple que de voir quelques hochements de tête et quelques personnes se dandiner sur leur siège, voir se lever pour danser pour les plus hardis. Il ne se montra pas difficile, laissant le public décider des titres suivants. Il voyait alors les visages rayonner d’émotions diverses rien qu’au pouvoir des mots. Il se sentait alors moins seul. Moins faillible aussi. En temps normal. Il accrochait des regards au hasard, et quelque chose d’unique passait entre eux, la reconnaissance de joies et de peurs partagées. Une chanson parlait toujours de l’un ou l’autre. Les rares autres n’étaient faites que pour suer.
Ce regard là… Il lui fit rater sa mesure. Son esprit se vida instantanément et ses doigts continuèrent de gratter machinalement les mêmes notes alors que son cerveau pédalait dans la bouillie. Une bouffée de chaleur le saisit, le tenant à la gorge et il dissimula une grimace, et sa panique derrière une bouteille d’eau. Personne ne sembla s’en formaliser, reprenant avec lui les paroles de la chanson pour le remettre en rythme. Quelques rires fusèrent et sa soif subite fût excusée. Mais il n’était plus dedans. Son corps jouait sans son accord, comme une rythmique bien huilée alors que son regard fuyait le point qui retenait toute son attention. Il finit par étrangler la chanson, pour en démarrer une nouvelle. Une de sa composition, rarement jouée bien qu’appréciée. La musique était le meilleur véhicule de la douleur.
La sienne était cruelle, vive et sans merci. Même en mettant des mots dessus, il n’était pas capable de la maîtriser ou de la comprendre. Ca faisait juste un mal de chien.
They say time heals, but how long does it take?
I love you more than when you walked away
You tell me not to call, what's a man like me to do?
Ca n’aidait pas, qu’elle soit toujours aussi jolie. Différente de la dernière fois où il l’avait vue, ce qui aussitôt amena un goût d’amertume en bouche. Il était pathétique, il n’avait fait que tourner en rond depuis qu’elle était partie, à se complaire dans sa tristesse alors qu’elle était devenue meilleure sans lieu. ca se sentait, se voyait dans sa posture. Elle avait recollé les morceaux alors qu’il était toujours en miettes.
Now that you're put back together
And the years have made you whole
I'll fake a smile
But I'm still broke
Say time heals, but how long does it take?
I love you more than when you walked away
You tell me not to call, but what's a man like me to do?
I guess the fire burns the hottest where it's blue
Baby, that fire's still burnin' for you
“Une bonne soirée à tous… Merci pour votre attention..” Il souffla avant de se lever et de se frayer un chemin dans la foule comme s’il avait le feu au cul, saisissant au passage une bouteille de bière laissée au coin d’une table. De l’air, il avait besoin d’air, et vite. Il poussa la porte avec un soupir de satisfaction alors que ses poumons se remplissaient à nouveau, portant le goulot à ses lèvres comme si sa vie en dépendait, avant de reprendre sa route vers son vieux truck.
Elle était arrivée pas plus tard que ce matin. Elle avait vu sur instagram qu’il donnait un concert ce soir-là. Et elle n’avait plus pu rester si loin de lui. Comme si tout son être s’était soudainement réveillé, débattu pour retrouver le chemin de la maison. Et sa maison c’était lui. Elle l’avait compris durant tout ce temps. Elle l’avait toujours su au fond. Alors elle s’était enfin décidée à rentrer. Elle avait débarqué à la colocation sans prévenir qui que ce soit. Elle avait retrouvé sa Marylou, avait timidement posé cette question qui lui brûlait les lèvres « Et… comment il… enfin… ». Ça n’avait pas vraiment été une question mais elle n’avait pas eu besoin d’en dire plus, Marylou avait compris. Elle les connaissait. Et puis elle s’était dépêchée de se préparer, avait écrasé sa meilleure amie dans une étreinte un peu trop démonstrative et était partie à pied rejoindre celui dont elle n’avait pas pu oublier. Parce qu’au fond elle était revenue pour lui.
Ses yeux se fixent sur lui alors qu’elle se fraye un chemin parmi la foule. Elle ne regarde même pas le lieu, elle ne peut détacher son regard de lui, Sully, son Sully, même si elle n’a plus le droit de le penser sien. Pourtant elle ne peut s’empêcher de ressentir ce sentiment qui n’a jamais cessé de battre en elle quand il était dans les parages. Ce sentiment qu’elle n’a jamais retrouvé alors qu’elle était à des milliers de kilomètres de lui. Elle sent son cœur lui éclater la poitrine, littéralement, elle doit porter une main sur son sein pour s’assurer que tout n’a pas explosé, là, sous ses doigts. Son souffle est saccadé et elle a soudain trop chaud. Elle enlève sa longue veste noire et se faufile dans un coin du bar pour se reposer contre le mur qui pourtant semble trembler. Elle savait qu’elle allait morfler. Ça oui. Mais pas à ce point. Un sourire se forme sur ses lèvres alors qu’elle a l’impression qu’il n’a pas changé du tout. Son cœur le reconnaît et le réclame. Elle a envie de fondre sur cette scène et de ne plus jamais partir. Pourtant ses pas restent ancrés au sol et elle serre sa veste contre elle comme si sa vie en dépendait. Elle ne peut détacher son regard de lui. Pas même quand il pose le sien enfin sur elle. Son monde s’arrête alors et elle a l’impression d’exister enfin. D’être enfin rentrée à la maison. Et ce sentiment est le meilleur de tous. Elle est enfin elle. Ce voyage lui a permis de se trouver elle, mais elle n’était jamais arrivée à la fin, parce que c’était lui sa fin. Et maintenant qu’elle savait qui elle était, elle était enfin rentrée là où elle savait qu’elle voulait finir sa vie. À ses côtés.
Il détourne le regard, se perd dans sa chanson, boit, énormément, et elle s’en veut. Elle s’en veut de revenir comme ça alors qu’il fait ce pour quoi il est doué. Elle a l’impression de lui enlever ce pouvoir, ce talent qu’il possède indéniablement. Elle se sent soudainement stupide d’être revenue comme ça pour leurs « retrouvailles ». Mais elle ne savait pas comment revenir pour qu’il veuille bien la voir. Elle ne savait plus sa vie après tout ce temps. Et puis elle avait eu ce besoin de le voir, de l’entendre. De le redécouvrir d’abord avant d’oser l’affronter. C’était peut-être égoïste mais elle restait Haley au fond. Sa Hales. Et elle avait besoin de le retrouver. Enfin. Après tout ce temps. Il commence une autre chanson et soudainement elle le reconnaît encore plus. Elle sait que cette chanson lui appartient. Que c’est ces mots qu’il fredonne. Et c’est comme si elle prenait une claque en pleine figure. Les paroles lui arrachent une larme qui reste coincée au coin de sa ridule. Elle retient son souffle à chaque mot. Ça la frappe de plein fouet. Elle respire à peine. Elle a gagné en confiance Haley, pourtant devant lui elle se sent démunie. Comment a-t-elle pu partir comme ça ?
Il se fraye un chemin dans la foule et elle reprend son souffle, avale difficilement sa salive comme si elle était restée en apnée le temps de la chanson. Son regard suit sa fuite et alors qu’il a poussé la porte du bar, elle s’élance à son tour, comme incapable de rester une minute de plus loin de lui. Elle bouscule la plupart des gens restés au milieu de sa route et pousse finalement la porte quelques secondes après lui. Ses yeux le cherchent instantanément et son cœur s’affole déjà dans sa poitrine de ne pas le trouver. Elle distingue une silhouette s’enfuir vers un vieux truck et elle le reconnaît aussitôt. Il n’a pas changé au fond. Elle s’élance à sa poursuite dans le noir et s’arrête alors qu’elle n’est qu’à quelques mètres de lui. « Sully… » Un murmure. Un silence. Elle a peur Hales. Elle est terrifiée de le perdre à nouveau. Pourtant elle ne peut s’empêcher d’avancer à nouveau. Tout doucement. Serrant à nouveau sa veste contre elle comme si elle pouvait se dérober à tout moment. « Je… tu. » Sa voix s’étrangle et elle ravale sa salive. C’était si facile avant de lui parler pourtant. Elle se retrouve à chercher ses mots. Elle qui pourtant a si confiance en elle maintenant. Mais il la désarme, comme il l’a toujours fait depuis leur première rencontre. Et puis ce palpitant qui ne cesse de lui arracher la poitrine à chaque battement. Tu m’as manqué. Les mots restent bloqués. Pardonne-moi d’être partie comme ça. Rien ne sort. « C’est moi. » Lâche-t-elle enfin comme si ça pouvait tout résoudre, tout effacer. « Hales » Rajoute-t-elle comme si elle avait peur qu’il fasse comme s’il ne la connaissait plus, comme si son apparence physique pouvait tout définir d’elle. Mais elle était bien plus.
I guess the fire burns the hottest where it’s blue
I tried to drown it out with noise
But there you whispered
In the silence, baby, is where I hear you scream
I tried to drown it out with noise
But there you whispered
In the silence, baby, is where I hear you scream