the extra mile. (moon moon)
Cinq heures. A peine. Elle pouvait le faire. Les supporter. Coincée entre Kir et Glaze, en priant pour que l'un des deux en profite pour pioncer. Sinon, sa coéquipière serait en pâmoison pour elle - à travers elle. Quant au Coach, il ferait de son mieux pour ne surtout pas regarder dans sa direction si jamais elle tentait de lui adresser la parole. Tenir une véritable chandelle n'aurait pas été pire.
La seule chose qui lui permet de relativiser sa situation reste le siège devant elle, attribué à Jungwoo … qu'elle a déjà “accidentellement” remué deux ou trois fois. Celui-ci était coincé entre Nyx et Ace - combo explosif, qui ne devait pas beaucoup lui sied.
Alors, quand le symbole qui oblige à être attaché s'éteint enfin, Sage compte lentement une minute exactement, avant de se détacher et de s'envoler, direction les toilettes.
Si elle pouvait laisser les tourtereaux roucouler (ou s'ignorer) pendant un moment, peut-être que le reste du vol serait plus agréable. Sage se plante simplement devant les toilettes, sans même chercher à y aller - offre à l'inconnu qui la suit d'y prendre place.
Debout, chat patient, son corps adossé à la cabine, la blonde explique avec un sourire son manège à l'hôtesse à ses côtés. Femme complice, qui a sans doute vu pire au cours de ses excursions.
Une autre silhouette qui s'arrête derrière elle pour faire la queue des toilettes, qu'elle laisse également passer. Un homme qui lui laisse un commentaire sur la victoire des Chiefs, dont elle arbore le maillot. Celui-ci émane de brefs relents de sueur et de bière. Elle réplique avec la même énergie feutrée,
Orlando, cité mirage pour terminus. Palais de fées et repaire de monstres, peuplade de souris et terrain de jeu pour leurs prochains jours. Première pour elle, presque plus excitée à l'idée de se retrouver sur les terres du futur GTA que pour l'enjeu auquel ils se rendent - attendu depuis des mois, préparé depuis près d'une année.
Puisqu'elle surveille le reste de son équipe du coin de l'œil - sans discrétion aucune, car il n'y a pas franchement moyen de se dérober aux regards devant les toilettes - elle observe le leader se relever, puis s'approcher, après avoir brièvement espéré qu'il avait oublié quelque chose dans le compartiment au-dessus de sa tête.
Fuck. Pas moyen de l'ignorer ici. Pas moyen de s’entre-tuer, non plus.
Le supporter de foot sort des toilettes à peu près au moment où Jungwoo arrive à sa hauteur.
Quatre mots piano, record de ces dernières semaines. Ils étaient supposés coopérer d'ici quarante-huit heures.
Coincé entre ses deux coéquipiers les plus surexcités par le voyage, l’homme soupira en baissant un masque de nuit sur ses yeux, regrettant amèrement de ne pas avoir exigé des billets en classe business pour plus de tranquillité. Son casque sur les oreilles et un chewing-gum dans la bouche, il tentait de se détendre en écoutant une playlist mêlant des bruits d’averses et des crépitements de cheminées tandis que le dossier de son fauteuil subissait déjà quelques assauts.
“Putain, grommela-t-il sans pour autant porter des accusations, laissant le bénéfice du doute, bien trop préoccupé par la dangerosité du voyage.”
Malgré ses nombreux allers-retours entre les USA et la Corée du Sud, le leader ne semblait toujours pas à l’aise dans un tel appareil. S’il était pourtant confiant en toute situation, généralement gêné par bien peu de choses ou encore, rarement apeuré, dans les airs, il ne restait plus grand-chose du coréen. Avec Andy qui se dandinait à sa gauche, Nyx qui sifflotait à sa droite, il peinait à se concentrer sur ses exercices de respiration et inévitablement, ses mains commencèrent à serrer les accoudoirs dans une prise qui réveilla sa vieille tendinite. Cette douleur, datant de ses premiers tournois, s’étendait vicieusement du poignet à la nuque, malgré les efforts du coach et des soignants entourant l’équipe pour l'apaiser.
D’un bond, Phantom se redressa, abandonnant son masque et son casque pour naviguer entre les fauteuils, bien obligé de courber le dos tant l’avion n’était pas adapté aux géants dans son genre. Un air faussement nonchalant, il fit mine d’avoir besoin de se dégourdir les jambes, qu’une envie pressante l’obligeait déjà à quitter son assise et rejoignit la blondinette devant les toilettes.
“Tu fais quoi planter là ? S’enquit-il en l’interrogeant du regard, les sourcils froncés.”
La porte s’ouvrit à ce moment-là et le supporter l’empêcha de poursuivre la conversation, homme auquel il n’offrit que son habituel faciès froid et fermé, jugeant quiconque lui passait sous le nez.
“T’as pas envie d'y aller après le type qui sentait la sueur, c’est ça ? Questionna-t-il face à l'étonnante politesse dont elle faisait preuve en lui laissant la place. T’inquiètes, il y a de la place pour deux.”
Un sourire s’étira sur ses lèvres alors qu’une idée germait dans son esprit. D’un geste vif, il attrapa sa coéquipière par les épaules pour la forcer à s’engouffrer dans l’espace exigu, à ses côtés, et repoussa la porte derrière eux.
“Tu sais, si tout ça, c’était juste une technique pour t’isoler avec moi, suffisait de m’en parler, plaisanta-t-il pour la titiller. Je sais qu’on ne dirait pas, mais j’suis plutôt docile comme type.”
Bien décidé à l’utiliser pour soulager sa propre anxiété, abandonnant ses bonnes résolutions et cette hache de guerre à peine enterrée, le leader usait de sa collaboratrice comme d’un jouet, une distraction, avide des réactions qui marquaient son petit minois à chaque fois qu’il la provoquait.
En s’installant sur la cuvette fermée, le grand brun inversa le rapport de supériorité, espérant que cette position, additionnée au ton de sa voix, beaucoup plus doux qu’à l’ordinaire, suffirait à rassurer Sage. Délicatement, il s’empara d’une de ses mains pour la poser sur son épaule, exigeant presque qu’elle se mette au travail.
“J’ai besoin de tes doigts de fée, expliqua-t-il, mielleux, en sachant pertinemment qu’elle avait déjà vu l’ostéopathe qui s’occupait des Renegades lui masser cette zone. J’allais pas demander aux deux incapables et encore moins aux deux tourtereaux.”
Forcément, c’est Jungwoo qui se lève. L’ancêtre qui déplace sa carcasse, le prédateur qui vient cueillir sa foutue proie. Sage l’observe s’approcher, posée contre la cabine. Aurait préféré n’importe qui d’autre - elle parle même joyeusement avec le premier venu, ou l’hôtesse à ses côtés qui s’affaire. Juste parce que l’eau a coulé sous les ponts, ne veut pas dire que les tensions se sont apaisées.
Lui la rendait nerveuse. Paradoxalement ; cela pouvait aussi l’aider à performer …
Sage tente de l’ignorer, en lui indiquant, malgré tout, qu’il pouvait aller aux toilettes à sa place. Elle n’était là que pour s’éloigner de ses voisins - Yam allait la détester de l’avoir abandonnée ainsi. Tant pis. N’écoute pas ce que son leader a de très intéressant - elle en est sûre - à lui raconter, et prie pour qu’il rejoigne rapidement les toilettes. Contemple un instant l’idée de lui prendre son siège ; préférait encore être coincée entre les garçons qu’entre les tourte-
Non.
Non.
Son sang ne fait qu’un tour, ses yeux veulent s’échapper de leurs orbites. Elle sait. Son corps sait. Non, non, non. Elle ne peut pas résister, Sage, la brindille, fucking twig, frêle danseuse qui n’a jamais tenu sur son socle, trimballée à gauche à droite - jusque-là, jamais dans les chiottes d’un 737. N’aurait jamais dû lui tourner le dos (ça n’aurait rien changé), n’aurait jamais dû le laisser s’approcher (ne pouvait pas l’éviter). Ses pieds trébuchent, et soudain, il n’y a plus que lui. Prenant l’intégralité de son champ de vision parce que son front est à deux centimètres de son menton à lui, parce qu’elle sent les contours de la paroi dans son dos. La blonde est partie en apnée, elle voit la porte se refermer - dernière vision avant de sombrer.
Son échine tremble quand il parle enfin - mensonges, mensonges, mensonges. La joueuse se contracte, ses bras se croisent, se serrent contre son cœur. Son regard glisse au sol, de ce qu’elle peut en entrevoir. Son pied à lui, son pied à elle, son autre pied à elle, son autre pied à lui. La totalité de la surface de ce vingt centimètres carrés est couverte, elle ne peut pas lui échapper.
Déjà à sa merci. Déjà terrifiée. Suffisamment naïve pour croire encore qu’elle pourrait gagner, même ainsi. Gagner, contre lui. Gagner quoi ?
Il n’y avait rien. Pas de bataille, pas d’affront. Deux instances en chiens de faïence.
Respire enfin quand le géant s’assoit sur la cuvette. Sage lui adresse son plus beau visage ; sa neutralité, sa resting bitch face innée, et un regard par dessous ses sourcils. Elle est sombre ; il est à vomir. Mais elle ne lui donnerait rien, pas même le contenu de son estomac, sans rien avoir en retour. Au moins ainsi, elle peut respirer, se remobiliser, se défendre ; alors elle ramasse ses armes et se prépare. Cela fait longtemps qu’elle se prépare ; il a déjà laissé glisser le masque. Respire, pourtant l’air reste encore coincé dans sa gorge quand elle suit son regard, quand elle suit sa main venir chercher la sienne.
Son corps cède à la danse.
Sage se déteste.
Mais elle le déteste encore plus.
Ses sourcils qui s’froncent face à sa demande. Il lui faut quelques secondes pour percuter, quelques autres pour accuser le contrecoup des insultes qu’il balance allègrement. Et elle est là, sa main posée sur son épaule. Dans la position la plus bizarre qui soit, dans un lieu inédit, et rien n’avait de sens.
Sous ses doigts se trouvait littéralement son point de pression. Penche la tête, un peu, avant d’enlever la main qui les reliait, de quelques centimètres.
Sage prend une longue inspiration, avant de porter son attention sur son épaule. Elle avait déjà vu l’osthéo faire. Tente donc de reproduire les mouvements.
Constatant que l’espace exigu mettait la jeune femme très mal à l’aise, le leader tenta de se montrer le plus raisonnable possible, s’empêchant de la provoquer davantage par ses habituelles petites piques. Plus il la côtoyait, et plus il commençait à comprendre ses difficultés et ses réactions excessives, et s’il avait trouvé cela ennuyant, presque frustrant les premiers temps, Jungwoo commençait à apprécier le petit côté brisé de sa coéquipière. Il l'associait désormais à une source de divertissement supplémentaire, se sachant capable de jouer de ces défaillances, de quoi lui faire oublier, parfois, ses propres démons.
Les bras croisés, Sage semblait faire rempart face à leur soudaine proximité, mais plutôt que d’y voir une véritable position de protection et le symbole qu’il devait garder ses distances, le coréen ne pouvait s’empêcher de laisser son regard dériver, remarquant que cette position mettait en valeur le buste de sa collègue. À eux deux, enfermés dans ces toilettes, on pouvait aisément croire qu’ils étaient ici pour une toute autre raison, que ce petit rendez-vous avait été organisé, et à cette pensée, un sourire narquois se dessina sur les lèvres du trentenaire, qui imaginait déjà les regards suspicieux des hôtesses à leur sortie.
C’était à se demander si la blonde ne tentait pas, elle aussi, d’améliorer leur relation tant elle se montrait étonnamment docile, n’ayant pas retiré la main qu’il lui avait imposé de poser sur son corps. Souhaitait-elle apaiser les tensions à l’approche de la compétition ? Ou était-elle, en réalité, satisfaite de le toucher ? À cette pensée, le géant s’empêcha de ricaner, conscient qu’il avait eu son petit succès par le passé. Pourtant, les femmes comme Mochi, les complexes et les compliqués, celles qui faisaient semblant de ne pas être intéressées, il s’en était toujours tenu éloignées - leur préférant, malgré lui, les tarés et les passionnées comme cette ancienne compagne qui lui avait littéralement pourri la vie.
“T’es encore là-dessus ? T’es vraiment une teigne, rétorqua-t-il dans un soupir en levant les yeux au ciel. C’est si important pour toi ? On t’a trop manqué de respect par le passé et maintenant, tu supportes plus le moindre affront ?”
Maladroitement, le grand brun s’efforçait d’en découvrir plus à son propos, creusant sans prendre de pincettes, brut et certainement malpoli, résultat d’une éducation stricte, peu encline à la réflexion, la communication, ni la tendresse.
La satisfaction s’empara de lui lorsqu’elle lui intima de retirer sa manche pour recevoir le massage bénéfique, alors le leader se redressa un instant, le temps de retirer complètement son polo, espérant troubler davantage sa colocataire à l’aide de son torse dessiné - corps qui n’était pourtant qu’une vision habituelle pour les habitants de la villa, accoutumé aux entraînements réguliers du coach et du leader, alternant soulevé de poids, travail du cardio et discussion autour de boissons protéinées et de repas non-caloriques. Ses mains délicates à la recherche du point sensible, Jungwoo tressauta en la sentant enfin passer sur le nœud qui le faisait tant souffrir, victime de décharges le long de son nerf enflammé.
“Si tu continues à me palper aussi bien, il y a moyen que je me mette à genoux, lança-t-il en jouant évidemment sur le sous-entendu, laissant filer quelques secondes avant de compléter sa phrase. Pour te présenter mes excuses.”
La blondinette faisant dériver la conversation sur le jeu vidéo qui leur permettait d’avoir une carrière, le coréen se laissa embarquer par la causette, ayant la sensation qu’ils discutaient réellement, qu’ils échangeaient enfin, pour la toute première fois. Impliqué, il fit preuve de réflexion avant de répondre, choisissant ses mots, éloignant sa vulgarité, sa misogynie et sa suffisance.
“Ton culot, détermina-t-il en poussant un soupir de satisfaction lorsqu’elle fit pression à un endroit tendu, signe qu’elle reproduisait étonnamment bien le boulot de l'ostéopathe. Ta lecture de jeu est excellente, ton aim s’améliore, mais t’es encore trop dans la retenue. T’es l’opposé d’Andy, exposa-t-il en grimaçant. Il doit apprendre de toi, et tu dois apprendre de lui.”
Soudain, l’appareil se mit à subir quelques secousses qui n’avaient pas été annoncées. Immédiatement, le géant plaqua sa main sur la paroi, tandis que l’autre s’accrochait à Sage dans un réflexe pour l’empêcher de basculer.
“Putain, j’vais vraiment crever ici, pesta Jungwoo entre ses dents, alors qu’il se crispait à nouveau, réalisant qu’il n’était pas simplement enfermé dans un cabinet en étonnante compagnie, mais bel et bien dans les airs.”
Sans le réaliser, il venait d'agripper sa coéquipière par la taille afin de l’asseoir sur ses genoux, usant d’elle comme l’on pouvait utiliser une peluche pour se rassurer. La mâchoire contractée, une goutte de transpiration le long de la tempe, l’homme peinait de plus en plus à camoufler son malaise et sa hâte d'atterrir.
Attaquer, ou fuir. Attaquer, ou fuir. Attaquer, ou fuir. Pas d’alternative possible. Elle ne laisserait pas ses membres se figer à nouveau, face à lui, elle ne laisserait pas l’inaction devenir sa solution, elle ne laisserait pas sa conscience à côté de son corps. Jungwoo, mystère enveloppé de brumes ; monstre tapi dans l’ombre.
Et même à cinq centimètres d’elle, il trouvait le moyen de se cacher, de cacher le serpent derrière les crochets, sa personne derrière le joueur. Sage ne se fiait plus à ses illusions, redoutait la moindre de ses paroles, le moindre de ses gestes. Après tout, ne venait-il pas de l’attirer dans un espace encore plus restreint que la laverie de leur villa ? Ne venait-il pas de lui servir ses mensonges en carton ? Sage s’accroche aux fils de ses mensonges, les tisse dans son esprit, reviendra les étudier plus tard. Pourtant, elle ne pouvait pas l’étouffer avec ; fallait encore qu’ils se rendent à la compétition et puissent se faire confiance.
Alors elle attend, de voir ce qu’il lui veut, se retrouve à poser les mains contre sa peau. Elle réclame ses excuses, comme une vieille rengaine presque oubliée. Une vieille requête qui n’avait toujours pas trouvé satisfaction.
Joute dont il se moque ; mais si ça peut l’énerver, ne serait-ce qu’un peu, alors Sage prendrait ça. L’ombre d’une victoire, l’ombre d’un ennui non dissimulé. Elle ne relèvera pas ses questions, préférant lui demander d’enlever sa manche.
En attendant de voir s’il retirerait l’intégralité de son t-shirt - ce qu’il fit presque aussitôt. Mmh. Il aurait beau jouer au mec mystérieux … il n’était pas si différent des autres. Sage se force à respirer. A se concentrer sur ce qu’il lui avait demandé. Attaquer, car la fuite semblait encore compliquée.
La blonde s’attèle à trouver la faille dans sa stature, le point qui fait mal, l’ouverture physique. Ensuite, elle s’attaquerait à la psychée. Centimètre par centimètre, pour réduire le géant en morceaux digestes.
Et si elle a beau le menacer en appuyant sur le point sensible, lui semble se satisfaire du massage. Taré. Moment de flottement quand il propose de se mettre à genoux. Plutôt rapide, comme demande pour se faire casser le bras. Contemple un instant cette image - revoit très bien son beau-père lui montrer comment faire, prendre le poignet, pousser, tirer sur le coude dans la direction opposée. Vitesse et précision.
… Ses excuses.
Sage lui adresse un regard torve, presque déçue de ne pas lui avoir déjà cassé le bras. Retiens-toi, qu’elle se répète alors qu’elle reprend son ouvrage. Rien ne la retenait. Elle pourrait partir.
Devrait partir. Pourtant, elle tente encore de faire un effort. Ne devait pas perdre de vue ce qui les attendait à l’atterrissage. Sage évoque Valorant, pour se concentrer et tenter de le forcer à faire de même. Et puis, elle pourrait toujours apprendre d’un élément de stratégie ; un commentaire qu’elle espérait constructif. Cela fonctionne. Ses méninges ne tardent pas à analyser l’avis extérieur qu’il lui donne. Son culot et sa retenue ? Elle aurait vraiment dû lui péter le bras, quelques instants plus tôt.
Alors ; sa retenue … malheureusement, il avait probablement raison. Après tout, elle exerçait un tel contrôle sur ses capacités lorsqu’elle était dans la rue, dans une voiture … il n’était pas impossible pour elle d’imaginer qu’elle se retenait de la même manière derrière l’écran. En revanche, elle ricane quand il évoque Andy.
Oh, Andy savait très bien lire en elle, et si elle se retenait dans certains scénarios, c’était bien car elle avait peur de partir en-dehors de leurs stratégies. Et à ce petit jeu-là, Andy excellait. En revanche, et pour la première fois sans doute, elle avait entendu plus de deux phrases de Jungwoo, qui ne lui avaient pas donné envie de l’étrangler. Merci Valorant.
Soubresaut qui interrompt le fil de ses pensées. L’embardée astrale décoche un sourire contre ses lèvres, ses griffes soudainement plantées dans le bras de son leader. Par réciprocité, lui aussi la retenait.
Attaque, ou fuis.
De sa nouvelle position, la porte appelle presque à être déverrouillée. Sage étouffait, ici. Alors, avant qu’il ne l’en empêche, la blonde déverrouille la porte et l’ouvre en grand, bloquant toute fermeture de la part du géant en y coinçant l’un de ses pieds.
Sans doute que les passagers étaient cloués à leurs sièges, s’il y avait encore des turbulences. Pourtant, Sage pépie, à l’attention de l’hôtesse qu’elle espère encore être dans les parages, même si elle était en dehors de sa vue limitée.
Sage attend quelques instants. Pas de réponse.
Tourne finalement son attention vers le Coréen avec appréhension.
La liste de ses excuses s’allongeait.
Le culot, la retenue. L'attaque, la fuite. La voleuse, le mendiant.
Face à son petit air pensif, le leader se félicita de ses commentaires pertinents, réalisant qu’il s’agissait bien du premier échange constructif qu’ils menaient, en dehors des entraînements avec le reste de l’équipe. Étonné qu’elle réagisse presque aussi bien, analysant ses mots tout en continuant de masser l’endroit douloureux, Jungwoo se laissa surprendre par les secousses, venant briser l’ambiance qui venait de s’installer. Dans une grimace, il se retrouva avec les griffes de la blondinette plantées dans sa peau, sans avouer que cette sensation ne faisait que l’aider, l’empêchant de céder davantage à la panique qui le menaçait.
“Si ton truc, c’est les délires sado-maso, c’est pas vraiment le moment, articula-t-il, cinglant, avant de la dévisager d'une manière condescendante.”
L’espace d’un instant, il croisa le regard de sa coéquipière, les yeux écarquillés, témoignage de son inconfort, à juste titre. Ainsi installés, ils avaient l’air bien maladroits, bien mal assortis, et le coréen, qui glissait d’ordinaire rapidement vers la séduction lorsque cela s’offrait à lui, resta étonnamment impassible.
Profitant de son trouble pour se libérer, la blondinette reprit contenance bien plus rapidement que son aîné, qui conservait, lui, les paumes contre les parois du petit cabinet, dans l’espoir que cela allait l’aider à se maintenir droit - loin de réaliser que les secousses avaient cessé depuis quelque temps déjà. Difficilement, il déglutit, encaissant les piques de sa colocataire, bien loin d’être préoccupée par son état.
“C’était un putain de réflexe Sage, articula-t-il, avant de prendre une longue inspiration. Même quand je te viens en aide, t’arrives à retourner la situation. T’es juste une casse-couilles, c'est dingue, gronda-t-il en se redressant pour se pencher au minuscule point d'eau, afin de se débarbouiller le visage.”
Légèrement vacillant, il grommela entre ses dents, regrettant d’être monté à bord d’un tel engin de malheur, plutôt adepte des longs périples en voiture - ceux où ses passagers finissaient par s’endormir pendant qu’il roulait, appréciant le paysage et le silence de l’habitacle. Dans ce genre de moments, le géant ne désirait qu’une seule chose : céder. Ses anciens démons n’étaient jamais bien loin, menaçants de prendre le dessus à tout instant, guettant ces faiblesses occasionnelles pour s'immiscer. Et depuis qu’il avait humé l’odeur de l’herbe sur son amant, désormais petit-ami, lors de son séjour à la montagne - tel un chien dont c’était le métier - Jungwoo en venait à se ronger les ongles pour ne pas craquer.
En la voyant déguerpir, il s’efforça de lui emboîter le pas, encore torse-nu. Dans l’allée, il s’affaira à remettre son vêtement, sous les regards interloqués du personnel et des Renegades, confus, qui assistaient à leur retour suspect. S’il n’était pas bien gêné par les questions qui devaient germer dans l’esprit de leurs coéquipiers, Jungwoo espérait que cette rapide marche de la honte soit une vengeance envers la blonde, qui n’avait pas daigné lui montrer un peu plus de sympathie. Docile, il accepta l’échange des places, presque arrangé de ne plus se retrouver entre les deux gamins bruyants de l’équipe.
“Décale d’un siège, proposa-t-il au coach, dans l’espoir de rapprocher les tourtereaux, incapable de supporter leurs regards furtifs plus longtemps. J’ai besoin du siège proche de l’allée, pour mes jambes, ouais, arrangea-t-il en utilisant son mètre quatre-vingt-dix pour justification.”
Une fois installé, le leader recommença ses exercices de respiration avec la plus grande discrétion, déjà bien assez contrarié d’avoir été surpris, vulnérable, par celle qui le haïssait si ouvertement. Et pour ultime petite vengeance, une fois apaisé, l’homme tenta quelques furtifs coups de pieds dans le siège de cette dernière, ponctuant le voyage les menant jusqu’à la victoire.