looking for a bit of blue sky (paitoon)
Il y a un tas de trucs qu'il ne faut pas faire dans la vie. Des choses évidentes comme jouer à la marelle sur l'autoroute, avoir un anaconda comme animal de compagnie, boire de l'eau de javel pour se soigner de la grippe. Certaines choses sont même tellement inscrites dans nos gênes qu'on y penserait même pas comme arrêter de respirer. Puis, il y a certaines choses plus subtiles, parfois même propre au tout à chacun. Des choses qui prêtent peut-être à interprétation, sur lesquelles on ne mettra jamais tout le monde d'accord. Comme porter des sandales avec des chaussettes, gruger la queue au Starbucks parce que t'es une mère célibataire qui a trois mômes et donc ton temps est automatiquement plus précieux que celui des autres ou tout simplement faire tomber la friandise d'un enfant qui t'a marché sur le pied et à qui tu veux apprendre les mots "je suis désolé".
Bref, il y a des choses à ne pas faire dans la vie. L'une d'entre elle étant probablement de mettre entre les mains d'un gars qui ne dort presque plus depuis un mois, un cloueur pneumatique de chantier. On peut penser ce qu'on veut des États-Unis et leur point de vue très libéral sur les armes et ce qu'on a le droit d'en faire ou non, mais la seule différence entre cette machine des enfers et un gun, c'est juste que l'utilisation première du cloueur c'est de construire des trucs. Puis que pour un meurtre, c'est probablement beaucoup moins pratique à transporter aussi. Faisable, certes, mais peu pratique.
Les travaux du shop touchent doucement à leur fin et le stress commence tout aussi doucement à s'installer. Callum espère pouvoir ouvrir dans un peu plus de deux mois, pour le jour de son anniversaire, et ce, malgré la liste des choses qu'il reste à faire qui semble s'allonger un peu plus à chaque fois qu'ils arrivent pourtant à en supprimer un élément. D'où l'utilisation toute récente d'un cloueur qui n'aura heureusement coûté la vie à personne, mais que Melvin aura eu la sagesse de confisquer avant que quelqu'un y laisse un doigt, une main, une rotule ou même un œil. On ne dirait pas comme ça, mais un accident est vite arrivé et après une énième planche explosée dans la précipitation de travailler vite et bien, Callum s'est vu congédié de son propre chantier. Jeté dehors comme un malotru, so rude ! Avec pour seule consigne de "chill the fuck out buddy !". Bref, de prendre quelques jours de repos, de dormir un peu et d'arrêter de réinterpréter le Grinch, en plus vulgaire, à chaque petite contrariété. Les chantiers, c'est pas fait pour les faibles. Ni ceux qui détestent Noël apparemment.
Après presque trois jours d'un déluge de flotte peu commun dans cette zone de la Californie, l'alerte rouge avait enfin été levée sur cet état qui venait tout juste de connaitre l'un des épisodes les plus dévastateurs de feu de forêt des ces 10 dernières années. Oceanside et ses environs, situés bien plus au Sud, avaient été épargnés du cataclysme. Mais pas de la flotte. Autant dire qu'au premier rayon de soleil, tout le monde s'était fait un plaisir de sortir de nouveau de chez soi.
Malgré tout, Callum ne croise pas grand monde sur son chemin. Il y a déjà quelques heures qu'il marche, il s'est éloigné des sentiers les plus fréquentés de Palomar Moutain et se saoulent enfin du calme de la nature en toute quiétude. C'est un chouette endroit pour se promener, à moins d'une heure d'Oceanside, il permet d'oublier la frénésie et le béton de ces villes qui bordent jalousement l'océan. C'est son go to lorsqu'il a besoin d'un changement d'air rapide. Et si on trouve un endroit suffisamment haut et dégagé, on pourrait presque deviner cet océan là-bas, au-delà de ses kilomètres de terres parfois brutes, parfois verdoyantes qui s'étendent à perte de vue. L'air est chaud et humide, mais il sent la nature fraichement détrempée. Peut-être est ce le contrecoup de ne voir à la télé que des hectares de forêt partir en fumée qui lui donne cette impression que le vert des sous-bois est d'un éclat qu'il n'avait jamais vu auparavant. Peut-être est-ce simplement la brume poisseuse de ses émotions en vrac qui se lève enfin, laissant son esprit plus dispo à profiter pleinement de ce qui l'entoure, loin de l’agitation de la vie. Peut-être que c'est ce ciel bleu à perte de vue qui se pare doucement des nuances d'une après-midi déjà bien avancée. En fin de soirée, le ciel devient rose et orange à Oceanside, une couleur qu'il n'avait jamais vue ailleurs. Certainement pas à Londres en tout cas.
Pas après pas, Callum s'éloigne un peu plus des chemins. Son sac à dos de 10 kilos sur le dos, il marche en bordure des bois parsemés ici et là, profitant de l'ombre qu'ils procurent. Il pense tout doucement à trouver un endroit sympa où se poser, possiblement près d'un petit point d'eau s'il pouvait avoir cette chance. Il n'y en a pas beaucoup dans les environs. Il arrive finalement, dans des endroits plus dégagés où la vue ne peut que te couper le souffle, aussi insensible puisses-tu être à la beauté des choses. Lui n'est pas insensible à ce genre de beauté, au contraire, incapable d'en détourner les yeux il en a presque les jambes qui flageolent. Pris à la gorge par de si vastes étendues que vous ne pouvez que vous sentir humble face à tant d'immensité. Un petit point insignifiant, qui un jour ne sera plus là pour s'exploser les mirettes des merveilles que cette planète continue d'offrir alors qu'on s'acharne à la traiter si mal. Comme à son habitude, il se laisse une demie seconde pour détester la race humaine et les dégâts qu'elle inflige à un tel petit miracle de la vie au nom du profit et puis il respire un grand coup et laisse tout ça derrière lui. Un jour, l'Humain et son grand H se seront fait latter la tronche et il n'y aura plus rien pour empêcher cette planète de vivre ses vieux jours en toute sérénité. Qu'est-ce qu'il donnerait pour voir ça.
À défaut d'un jour être le dernier mec sur Terre, il ouvre grand les yeux et tente de se recentrer, de revenir au moment présent. De revenir au bruit du vent dans les arbres et des cliquetis... d'un appareil photo ? Il ne l'avait pas remarqué en arrivant, mais il n'est pas tout seul à se gaver des paysages comme un affamé face à un buffet à volonté. Pas que ce soit particulièrement étonnant de croiser quelqu'un, il ne s'est pas encore éloigné suffisamment pour se la jouer ermite seul au monde. Ce qui est étonnant par contre, c'est qu'à y regarder de plus près, ce jeune homme qui se tient là avec son appareil photo, à deux pas d'une pente assez vertigineuse, lui parait familier.
Ce n'est que lorsqu'il se décide à reprendre son chemin, qui l'oblige à passer pas loin du dit jeune homme, que ça le percute. Il est plutôt physionomiste d'habitude, mais ce gars-là il ne l'a vu qu'une fois récemment et n'a que de biens vagues souvenirs du temps où ils n'étais tous les deux que des gamins. Il n'aurait jamais cru le recroiser un jour, encore moins comme ça par hasard. Il aurait possiblement préféré ne jamais le recroiser d'ailleurs, parce que c'est un tas de mauvais souvenirs qu'il se prend d'un coup dans la tronche. Il est tenté de passer son chemin sans un mot, mais ce gars a l'air plus concentré par ce qu'il voit dans son objectif que par ce qui l'entoure et en éternel anxieux, Callum s'inquiète de le voir faire un pas de trop et dévaler la pente comme la meule de fromage qui roule dans ce sport tout chelou de son pays natal. De drôles de coutumes ces Anglais, de drôles de coutumes. Alors il balance une petite remarque comme ça, sur le ton dont on use pour parler de la pluie et du beau temps, t'en fais ce que tu veux. « Tu devrais reculer un peu. Les sentiers sont parfois un peu friables avec le temps qu'on a eu ces derniers jours et un bon coup de vent et tu risques de dévaler la pente avant même d'avoir eu le temps de dire merde. T'iras pas très loin certes, mais pas certain que ton appareil photo apprécie le traitement... Et t'as une sacrée trotte pour retourner à la route, la faire avec une cheville foulée risque d'être compliqué. » A bon entendeur salut.
A peine la porte est fermée qu’il sent ses larmes affluer au coin de ses yeux. Ses traits se déforment sous la puissance de l’émotion qui le gagne. Il est mort. Il est vraiment mort. Il ne reviendra jamais. Ce vide est dévastateur. Ses phalanges serrent fermement le drap alors qu’il s’efforce de maitriser ses pleurs, encore une fois. Le sport lui avait permis de se plonger corps et âme dans autre chose, seulement sa blessure récente avait mis en branle toute cette façade qui le maintenait à l’équilibre. Son père lui avait demandé d’aller voir une psychologue. Elle avait mis un terme sur le mal qui le dévorait de l’intérieur, mais cela ne changeait rien à sa réalité. Il se sentait complètement démuni et vide. Sa joie de vie l’avait quitté. Il passait ses journées à jouer son rôle, à aller en cours, prétendre que la vie continuait. Du moins, quand les jours étaient bons. Quand il n’en pouvait plus, il devenait une loque, une personne coupée du monde, des siens et c’était frustrant, ça le tuait tout autant, mais en même temps, il ne pouvait plus. Il n’en pouvait plus. Il ignore le temps qui s’est écoulé depuis qu’elle est sortie de sa chambre, mais il finit par prendre conscience qu’il n’est plus seul, que son père vient de s’asseoir sur le matelas de son lit, que sa main vient créer un contact pour l’ancrer à la réalité. Un soupir de frustration s’échappe de ses lèvres alors qu’il vient supprimer ses larmes du bout de ses doigts. Il prend une forte inspiration alors qu’il se laisse cajoler par son père sans dire un mot. Il ne le force pas à communiquer. Il a compris qu’il faisait de son mieux pour ne pas lâcher, mais que certains jours, c’était trop dur. C’était une mauvaise journée. Demain, ça irait mieux. Il voulait le croire. « Tu ferais mieux d’aller te balader un peu avec ton appareil. Cela pourrait te faire du bien, Paitoon. » Son père lui indique en venant lui déposer son appareil photo devant lui de l’autre côté du lit. Son père a compris que la photo était un filtre derrière lequel il se cachait pour tenter de voir le monde, apprendre à se l’approprier de nouveau. L’idée soumise n’est pas mauvaise. Il est prompt à se laisser tenter, car il n’aime pas liée de rester là, sans être capable de voir le temps qui passe. Alors, il se redresse à nouveau sur son lit, les yeux bouffis par les larmes. Son père vient lui déposer un baiser sur la tempe. « Tu vas t’en sortir, champion. Sois patient. » Il lui murmure en lui offrant un sourire rassurant où il est possible de lire toute l’inquiétude qui le dévore. Il voudrait le croire, mais il n’en est pas si certain. « OK, je vais aller prendre l’air. » Il lâche dans un ton un peu amer. Un ton qui ne lui correspond pas du tout, mais qui ne peut être autrement. Du moins, il ne sait pas comment être autrement. Alors il se redresse pour attraper un jean, un T-shirt et sa genouillère pour se rendre dans la salle de bain où il s’enferme. Son père lui a retiré toutes ses affaires tranchantes. Il faut dire qu’il n’a pas eu tout à fait tort. Son dos vient retrouver le mur de la douche pour se poser, alors que l’eau chaude s’abat sur lui brutalement. Il ferme ses paupières, se sent déjà épuisé, mais il a conscience que ça ira mieux, une fois dehors.
C’est toujours le cas, quand il arrive à tromper sa léthargie même s’il est prompt à l’oublier parfois. Il ignore le temps qui s’est écoulé sous la douche, mais il finit par en sortir, tronquant sa serviette pour ses vêtements et sa genouillère. Il s’éclipse naturellement de sa chambre, simplement équipé de son appareil photo et de son sac à dos qui est normalement équipé de tout, au cas où. C’est son père qui s’en assure ces derniers temps. Paitoon lui le prend pour le rassurer, parce qu’il n’y touche pratiquement jamais.
C'est du domaine du pur réflexe, Paitoon se retourne en sursaut et Callum l'imite sans même s'en rendre compte. Presque aussi immédiatement, il grince des dents. Peut-être qu'il aurait dû s'annoncer, s'approcher doucement pour faire percevoir sa présence sans brusquerie. Ou peut-être qu'il aurait dû fermer sa gueule et passer son chemin comme il avait été tenté de le faire au moment même où il avait réalisé qui il venait de croiser. C'est pourtant pas faute d'être quelqu'un qui ne se mêle que rarement des affaires des autres, il aurait pu faire comme s'il n'avait croisé personne, ça n'aurait fait tâche dans aucune histoire. Et pas même Paitoon ne l'aurait su, vu qu'apparemment il n'avait eu aucune conscience de sa présence. Vu l'air hagard que ce dernier jette autour de lui avant de prendre conscience de son environnement immédiat, celui toujours bien présent derrière ce petit bout de vue qu'il tente de capturer d'une photo, et de reculer un peu, il n'avait apparemment pas conscience de grand chose d'autre d'ailleurs. Callum ne serait pas du genre à l'en blâmer, encore moins que, déjà là où il se tient, à 5 bon mètres du jeune homme, il peut repérer des cernes à vous faire pâlir de jalousie les chaines de montagnes de l’Himalaya.
Les couleurs qui s'évaporent soudainement du visage de Paitoon sont immanquables, plus que légèrement inquiétantes, et pour la deuxième fois en moins de 5 secondes, Callum se demande pourquoi il n'a pas passé son chemin comme tout être humain doté d'un minimum de bon sens. Et d'un tout petit peu d'instinct de conservation. Deux fois rien hein. Juste ce qu'il faut pour qu'il y ait un bout de cerveau qui s'active en hurlant: "Souhaites-tu réellement entrer en interaction non-obligatoire avec le mec de ton frère
Paitoon le remercie d'une voix qu'il aurait si facilement loupé s'il n'avait pas été à l'affut du moindre signe annonciateur d'une crise imminente et le voilà tiraillé encore un peu plus entre l'envie de se barrer en courant et l'envie d'obliger l'autre homme à s'asseoir de peur qu'il ait les jambes qui flanchent sous son poids plume. Paitoon le regarde comme s'il avait vu un fantôme et c'est presque ridicule le temps que Callum met à se rendre compte que, d'une certaine manière, c'est peut-être un peu le cas. Ethan et lui s'était toujours beaucoup ressemblé, plus que Callum n'avait jamais pu ressembler à qui que ce soit d'autre dans sa famille et il avait eu la malchance de se rendre compte, à peine quelques mois plus tôt, que c'était toujours le cas.
Callum sert les dents, ne se laisse pas le temps d'être submergé par ce flot de souvenirs puants, il observe le jeune homme face à lui avec un air presque imperturbable. Il est plutôt fort pour ça, mettre de la distance, compartimenter. Néanmoins, il renonce à l'idée de tourner les talons et de laisser ce dernier gérer cette apparition tout seul. C'est un peu cruel et puis de toute façon, s'il était déjà légèrement préoccupé à l'idée que Paitoon finisse par déraper et se planter la tronche dans une pente de presque rien du tout, il est désormais bel et bien inquiet en le voyant pâle comme un linge au point qu'il tournerait de l'oeil dans les secondes à venir que personne n'en serait outrageusement surpris. Un soupir lui échappe alors qu'il se défait tant bien que mal de l'énorme sac à dos qu'il a sur le dos et le pose non loin de là, à l'ombre d'un arbre. Lorsqu'il s'approche enfin un peu plus de Paitoon, il le fait avec douceur et précaution comme on approcherait d'un chiot effrayé. Il aurait bien essayé d'y ajouter un léger sourire rassurant, mais ça c'est au-dessus de ses forces là tout de suite. « Écoute, je peux m'en aller si tu veux, mais si tu pouvais au moins t'asseoir. T'as l'air à deux doigts de faire une syncope et c'est pas vraiment le meilleur des endroits pour ça. » Bon, il y a encore du réseau là où ils sont, mais s'il y a une descente sur la ville à faire en urgence avec quelqu'un d'inconscient c'est en hélico et au prix d'une ambulance aux States, je vous laisse imaginer l'appel à un hélico... Puis bon, il ne lui souhaite aucun mal au gaillard, quand bien même il ne s'attendait pas à lui tomber dessus comme ça, là. En vrai il ne s'attendait à rien. Ils n'avaient plus grand chose pour les lier tous les deux, aujourd'hui plus que jamais, mais il faut croire que vivre dans la même ville était suffisant.
D'un pas lent, Callum retourne à son sac et s'assied sur l'herbe juste à coté, gardant Paitoon dans sa vision périphérique pour s'assurer qu'il n'allait pas réellement faire un malaise. Il farfouille quelques instants et en sort une gourde et une petite boite de cookies maison qu'il tend nonchalamment à Paitoon comme pour l'inviter à se servir. « Tu devrais peut-être boire un coup et manger un truc... » Pas qu'il se sente en position de lui donner le moindre ordre, ni qu'il ait dans l'idée de lui imposer sa présence plus qu'il n'était nécessaire, mais quand même. « Seriously man, assieds-toi deux secondes s'il te plait, dès que t'as repris un peu des couleurs je te laisse tranquille, promis. »
(tenue). Perdu dans l’objet de sa contemplation, Paitoon n’a absolument pas pris en compte son environnement. Son attention ne parvient qu’à se focaliser que sur ce paysage qui lui arrache un émerveillement et une sensation d’allégresse qui lui offre le sentiment d’être vivant de nouveau. Il est prompt à se noyer dans cette sensation, car elle est lumineuse, bien différente de celle qui le dévore ces derniers mois. Il s’émerveille de la nature, de ce qu’elle a à offrir sans concession. Une petite parenthèse lumineuse dans son univers devenu si sombre et insécurisant. Le retour à la réalité est brutal. L’apparition de Callum dans son champ de vision est si soudaine qu’il en perd ses moyens. Ses émotions deviennent ombrageuses. Il se sent complètement démuni face à ce tsunami qui l’envahit et lui retourne les tripes. L’intensité de son regard le perturbe. Pourtant, ce dernier ne doit pas être si différent à d’habitude. A moins qu’il sache que c’est sa prise de distance qui a fait sombrer totalement Ethan au point qu’il en perde la vie. Paitoon est tellement rongé par cette culpabilité et cette douleur d’avoir perdu cet homme qui représentait tant de choses à ses yeux, que son esprit malade ne lit que ça qu’au travers des regards des autres. Il a tenté tant bien que mal de masquer ce dégout qu’il éprouve envers lui-même, mais celui a fini par le rattraper. Il se sent amoindri, fébrile, agité. Il tente de masquer ses tremblements, de reprendre contenance, mais tout s’embrouille dans son esprit. Un sentiment de panique commence à l’envahir sans crier garde. Pourtant Callum ne lui a jamais fait de mal. Il a le souvenir qu’il était même un grand frère sympa avant le divorce de ses parents. Il s’intime à respirer. Inspirer, expirer dans un rythme que lui a apprit à prendre sa psychologue. Sa respiration qui s’est emballée se calme de nouveau alors qu’il sent son sang battre dans ses tempes sous le coup de l’émotion qui le bouscule. Callum devient une ombre dans son environnement. C’est sa voix qui l’ancre de nouveau, l’amène à reposer son regard sur lui. Il perçoit son inquiétude et sa sollicitude. Il ne considère pas la mériter, mais il lui en est reconnaissant. Ses phalanges se serrent plus étroitement les unes aux autres. Seule ancre qui permet à son esprit de s’ancrer à l’instant présent. Callum interprète son silence comme l’expression d’un rejet, mais ce n’est pas ça. Il aimerait lui dire, mais les mots se mélangent et ne parviennent pas à franchir ses lèvres. Il a conscience que son apparence ne doit pas être à son avantage. Il a conscience que son organisme roule au ralenti. Chaque mouvement est une lutte pour prouver qu’il existe encore. Seulement, il ne parvient pas à se relever. Il est désœuvré, perdu dans le méandre de ses émotions qui sont si confuses. Son inaction pousse Callum à s’éloigner, à retrouver son sac à dos auprès duquel il s’assit. Paitoon demeure statique, incapable de faire le tri dans tous les stimuli qui l’assaillent. Encore une fois, c’est la voix de Callum qui l’ancre de nouveau au présent. Sa demande trouve un écho en lui, pousse son échine à se mouvoir dans un mouvement lent et légèrement hésitant. Il vient le retrouver, prendre place à l’endroit où le regard de ce dernier semble l’inviter à s’asseoir. Il suit le mouvement de ces mains qui l’offre une gourde et une boite de cookies. Son regard fébrile vient chercher le regard de Callum. Ce regard qui lui rappelle le sien. Pourtant, il est vrai que leur physionomie se rapproche, mais Paitoon a parfaitement conscience que leur ressemblance s’arrête là. Il déglutit en venant se pincer les lèvres. Il prend une bonne inspiration pour tenter de faire le tri dans ses pensées. Il ne veut pas qu’il interprète mal son comportement. Il lui est reconnaissant, même si aujourd’hui, il a du mal à l’exprimer. Il finit par se saisir de la gourde qui lui est tendu. Ses mains tremblantes viennent en ouvrir le bouchon alors qu’il vient boire une gorgée. Elle est douloureuse comme tout autre geste. Il l’observe avec attention, se concentrant sur elle. « Tu me… déranges pas, Callum. » Il murmure dans une voix enrouée, car elle n’a plus l’habitude d’être utilisée. « Merci pour tout. » Il ajoute en montrant l’endroit qu’il vient de quitter, ainsi que la gourde qu’il est déjà prompt à lui rendre. Son regard se perd dans le paysage. « J’ai juste… été surpris de te… trouver là. » Un murmure alors qu’il vient glisser son bras derrière sa nuque afin de camoufler son visage. Il s’efforce d’inspirer profondément pour ne pas laisser ses sanglots éclater, car il sent qu’ils sont là, mais il ne veut pas se donner en spectacle. « Désolé… » Il murmure dans une voix étriquée par l’émotion. Il a conscience de ne pas se montrer sous son meilleur jour et Callum n’a pas besoin de le voir craquer devant lui. Alors, il se contrôle autant que possible, afin de l’apaiser, de lui faire comprendre que ça va aller, même s’il n’est sûr de rien et lui permettre de reprendre sa route s’il le souhaite. Après tout, il ne lui doit rien, mais a l’obligeance de s’inquiéter pour lui. Ce qui prouve une bonté de cœur qui ne le laisse pas indifférent et qui l’incite à lui montrer qu’il ne doit pas s’inquiéter pour lui, même si tout semble prouver le contraire.
Il y a tout un tas de petits talents du quotidien que tu ne peux pas apprendre dans les livres. Et c'est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit de petites choses qui régissent notre façon d’interagir avec le monde qui nous entoure, gens connus et moins connus inclus. Des petites choses gravées dans nos personnalités individuelles, elles-même souvent le fruit de nos vécus individuels.
Dans ces petits miracles de l'humanité, il y a l'empathie. Quelque chose dont on est pas tous dotés de la même façon et qui peut parfois créer des situations un chouilla nébuleuses. Il a, dans certaines sphères, un petit consensus sur le fait qu'il existe 3 sortes d'empathie et qu'on est pas tous au même niveau sur les trois. Un truc que des années de thérapie et beaucoup de moments gênants auront appris à Callum, c'est qu'en terme d'empathie cognitive: il excelle ! Parfois même lorsqu'il a très peu d'informations sur la personne en face. Quand il s'agit de comprendre intellectuellement la multiplicité des points de vue, des vécus, qu'il s'agit de comprendre les motivations et les besoins d'autrui, il y a du monde. C'est 100% de cerveau utilisé, champion ! Mais lorsqu'il s'agit de créer un lien et une implication émotionnelle avec ces mêmes personnes, on a pas envie de dire qu'il y a plus personne, mais on est pas loin. Callum c'est pas le gars qui va se mettre à pleurer parce que quelqu'un d'autre pleure, pas le gars qui va ressentir ta peine, ton stress ou ta joie comme si c'était la sienne. Il va comprendre pourquoi tu pleurs, il va compatir avec ta souffrance, mais il y aura toujours un ravin énorme entre ce que tu ressens et ce qu'il ressent en réponse. C'est bien souvent ce qui le fait passer pour quelqu'un de froid ou de distant, de peu impliqué. C'est pas qu'il s'en fout ou que ça ne lui fait rien, c'est juste que face à de l'émotionnelle venant d'autrui, sa réponse viscérale est bien souvent rationnelle. Il y a des gens à qui ça plait, parce qu'il sera toujours là pour relativiser et plein d'idées pour aider. Puis il y a des gens qui lui diront gaiment d'aller se faire foutre parce qu'ils ne sont pas là pour s'entendre dire ce qu'ils pourraient faire pour que ça aille mieux. Au final, Callum est bien souvent celui qui se contentera de te demander si tu veux un câlin et qui t'en fera un si la réponse est positive, parce qu'il ne sait bien souvent pas quoi faire d'autre. En bref, il fait un excellent médiateur, un excellent confident, mais une assez mauvaise source de réconfort verbal et émotionnel. C'est un exercice parfois périlleux de rationaliser les émotions des autres, ça te fait bien souvent passer pour un connard qui tente d'invalider ce que l'autre ressent.
Nous voilà donc face à un problème et pas des moindres. Parce qu'il ne faut pas être un génie de l'empathie, t'as même pas besoin d'avoir les trois, pour voir que Paitoon ne va pas bien. Et en même temps, qui aurait eu l'aplomb d'en être étonné? Mais il n'est certainement pas assez proche du gaillard pour lui faire un câlin et mis à part disparaitre, il n'est pas bien sûr qu'il y ait quoi que ce soit qu'il puisse dire pour l'aider. C'est d'autant plus compliqué que beaucoup s'attendraient à ce que les deux hommes soient dans des états forts similaires vu que touchés par le même drame, mais Callum n'est jamais vraiment passé par la peine. Ou en tout cas il a réussi à s'en convaincre et se sent un peu con de voir Paitoon trembler comme une feuille alors que lui, tout au plus il est désolé de l'avoir fait redescendre sur terre un peu brutalement de sa simple présence. Il aimerait avoir quelque chose à lui montrer pour lui faire sentir qu'il n'est pas tout seul dans cet abysse de souffrance, perdu et brisé. Sauf que ça serait un peu faux, et malheureusement Callum ne sait pas vraiment mentir.
Lorsque Paitoon lui dit qu'il ne le dérange pas, Callum retient de justesse un haussement de sourcil des plus sarcastiques que t'aurais écrit "euh t'es sûr? Parce que tout est gênant dans cette situation." sur sa tronche que ça n'aurait pas été plus clair. Déjà parce que c'est pas réellement un connard et parce qu'avant même qu'il n'ait eu le temps de prendre le contrôle de ses expressions faciales, ses sourcils se froncent dans cette moue qui lui est si caractéristique qu'on le reconnait plus facilement lorsqu'il fronce des sourcils que lorsqu'il sourit. Paitoon le remercie et Callum ne comprend pas trop de quoi. De lui avoir pourrit sa journée ? De rester là, impuissant alors qu'il semble s'effondrer sur lui-même ? C'est une drôle de chose, les politesses. Paitoon lui avoue dans un murmure qu'il est juste surpris de le voir là et il y a une demie seconde où Callum se dit que peut-être c'est la bonne occasion de placer un peu d'humour et tenter d'alléger un peu la situation, mais il n'a même pas le temps de penser à une répartie que Paitoon se tortille et tente ainsi de cacher son visage et là Callum comprend que l'humour c'est mort. Sans mauvais jeu de mots.
Il est déjà pas bon pour réconforter des gens en peine, imagines le truc si ces gens se mettaient soudainement à pleurer... Awkward ! Akward, mais pas lâche. Il s'est fourré dans cette situation comme un grand, il n'est désormais pas question de fuir. Il n'en a jamais vraiment été question de toute façon. Il ne sait ni quoi dire, ni quoi faire, mais il se retrouve face à quelqu'un qui de toute évidence essaye de faire bonne figure alors qu'il est a deux doigts craquer. « Par pitié, t'excuse pas de ressentir ce que tu ressens. Encore moins auprès de moi. » Dit-il, toujours les sourcils froncés et sur un ton un peu plus sec qu'il n'aurait aimé le faire. Ça l'énerve ces gens qui pensent qu'ils dérangent parce qu'ils ressentent. Bravo mon chat, tu es humain, pourquoi t'es désolé ? C'est bien d'être humain. Il essaye de réduire le froncement de ses sourcils pour ne pas que Paitoon se sente attaqué, mais c'est pas une franche réussite et Callum soupir légèrement de sa propre inadéquation.
Il y a quelque chose d'autre qu'il a appris en thérapie, c'est que, parfois, avoir le courage de se montrer vulnérable est une bonne façon de dire à l'autre qu'il a le droit de l'être également et ce en toute sécurité. Alors plutôt que d'essayer d'interpréter Paitoon, de réagir aux émotions qui semblent vouloir déborder par tous les pores de sa peau, mais qui ne lui appartiennent pas, il réfléchi à ces émotions à lui. À celles qu'il pourrait mettre sur la table pour faire comprendre à Paitoon qu'il n'a pas besoin de se cacher, qu'il n'a pas avoir honte, ni à avoir peur. Et c'est pas simple, parce que lorsqu'il s'agit d'Ethan, tout à été foutu un peu en vrac dans un coin et personne n'y passe jamais pour faire le ménage. « Je suis rancunier. C'est un truc que j'aime pas chez moi. Pour tout te dire, c'est même peut-être bien le défaut qui me débecte le plus chez moi, parce que mes premières réactions sont souvent d'être gratuitement cruel. Je me soigne, enfin j'essaye en tout cas, mais pour le moment c'est comme ça, je suis rancunier. J'ai beau prendre l'histoire dans tous les sens, dans tout ce bordel, ce qui me donne envie de chialer c'est pas d'avoir perdu un frère, c'est d'avoir perdu l'objet de ma colère. Aussi injustifiée puisse-t-elle être, lorsque Ethan était encore là, j'avais une raison d'être en colère contre lui et cette raison à disparu. Mais la colère est toujours là et il y a des jours où elle culmine à un point où je ne sais plus quoi en faire et ça ne fait que me mettre encore plus en colère. Je n'aurai pas le culot de prétendre vivre la même chose que toi, mais je n'aurais pas non plus l'arrogance de te juger pour ce que tu ressens, quelles que soient ces émotions. Qu'on le veuille ou non, ces émotions elles sont là et faut faire avec. » Sa voix qui au début est très contrôlée, peut-être même trop, devient dure et froide lorsque le mot "frère" franchit ses lèvres pour la première fois et, arrivé à la première mention du nom d'Ethan, il est difficile d'ignorer que là où Paitoon se noie, lui bouillonne. Il arrive malgré tout à la fin de son petit monologue sur un ton bien plus doux, presque las. Là où le froncement de ses sourcils lui donne un air un peu irrité, sa voix vient adoucir le message autant que possible. « T'as pas à t'excuser, c'est là, c'est comme ça et ça changera pas juste parce que t'aimerais bien ou parce que tu penses que j'aimerais bien. C'est pas le cas. Si t'as besoin de pleurer un bon coup, fais le, personne ne peux te dire que t'en as pas le droit ou que tu ne le mérites pas. Moi je le ferai pas en tout cas. » Ajoute-t-il de cette voix puante d'honnêteté parfois un peu autoritaire qui lui est caractéristique alors qu'il regarde Paitoon sans la moindre malice ou once de jugement. « Je n'ai pas la moindre idée de ce que je pourrais dire ou faire pour t'aider dans tout ce bordel, mais s'il y a quelque chose, tu peux me le dire, même si cette chose c'est de m'en aller. Si c'est quoi que ce soit d'autre, je te promets pas que j'en sois capable, mais je peux essayer. » C'est le minimum syndical chez Callum, au moins essayer.
(tenue). Par pitié, t’excuse pas de ressentir ce que tu ressens. Encore moins auprès de moi. Un ton sec, mais nullement agressif. Des paroles qui légitiment ce qu’il ressent, sans chercher à l’en brimer, mais qui l’attestent comme une réalité dont il ne peut pas se soustraire. C’est idiot, mais aucun de ses proches ne lui a formulé cela ouvertement comme Callum le fait. Cette prise de conscience lui arrache un sanglot. Il est à deux doigts de fondre de nouveau en larmes, mais il est tellement las d’être dans cet état. Cela le bouffe de l’intérieur et le laisse vide de toute émotion, apathique à tout ce qu’il entoure. Il puise à cet instant toute l’énergie qui lui reste pour rester ancré dans le présent, ne pas se couper de ce moment en compagnie du frère de celui qui est la cause de sa détresse. Du moins sa disparition. Il s’efforce de respirer profondément, de supprimer du bout de ses doigts ces larmes qui menacent de couler et dont certaines semblent avoir décidées de continuer leurs routes malgré lui. Il renifle naturellement pour tenter de garder ses émotions sous contrôle. Ce n’est pas parce qu’il a le droit qu’il se doit de le faire. Il ne supporte plus cet état de fébrilité dans lequel il se trouve. C’est con, mais ça le tue à petit feu. Il a pleinement conscience et en même temps, c’est trop dur de lutter. C’est épuisant et il a le sentiment qu’il n’a plus d’énergie, plus d’envie surtout de le faire. Un engrenage nocif, dont il a conscience, car même si cela lui en coute, il continue de quitter sa chambre pour se rendre chez la psychologue, poser par des mots ce qu’il ressent, mais jamais trop longtemps, car le raz de marrée de pensées confuses le submergent et il devient incapable d’aligner deux mots. Il aimerait parvenir à mettre le doigt sur ce qu’il ressent réellement, pouvoir en définir réellement la cause, mais semble encore bien incapable de le faire. La voix de Callum l’arrache de nouveau de ce flux d’émotion intense. Il l’ancre de nouveau au présent en se livrant. Paitoon vient poser son regard luisant de larmes muettes sur lui, l’écoutant silencieusement. Il a cette aisance à pouvoir parler ouvertement de ses émotions. C’est quelque chose de sain, qu’il lui envie. Cela met en évidence une capacité à se comprendre et à s’accepter. Les paroles émisses sont lourdes de sens, elles devraient le révolter, mais il n’en est rien, car Paitoon n’a jamais été dans le jugement. Il a toujours accepté les âmes telles qu’elles sont, même si de son côté, il a essuyé quelques disconvenus et rejets pour ses différences. Indirectement ils souffrent du même mal, même si leur passif avec Ethan les conduit à suivre des chemins bien différents sur le plan émotionnel. Il lui assure indirectement son soutien, prêt à le soutenir ou à l’aider à aller mieux s’il lui donne des moyens de le faire.
Le silence s’installe naturellement à la fin de cette tirade. Leurs prunelles sont plongées l’une dans l’autre. Il lui offre un léger sourire. Un moyen de lui montrer sa reconnaissance même si celui-ci n’atteint pas ses yeux. « C’est gentil… » Finit-il par murmurer dans un sourire contrit alors qu’il s’efforce d’inspirer profondément. « Je sais que pour l’instant personne me juge, que j’ai la chance d’être entouré par une famille aimante qui veut que mon bien être. » Il ajoute dans une voix légèrement lointaine. Oui, il sait tout cela. « Mais c’est moi qui me juge. Je déteste être dans cet état. J’ai l’impression d’être… » mort à l’intérieur Il ne le dit pas, mais le spectre laisse envisager le message tu alors qu’il reporte son attention sur le paysage sous leurs yeux. « Tout me coute une énergie monstre. C’est comme si je luttais contre mon corps et mon esprit sans arme. » Il soupire en se massant la nuque. « Le pire dans tout ça, c’est que je ne suis même pas certain de savoir pourquoi je m’effondre de la sorte. J’ignore si je suis triste pour lui, pour moi ou si je suis en colère contre lui ou moi. Je crains d’être tout ça à la fois et plus encore, mais je me sens vide perpétuellement. J’ai tenu grâce au tennis, mais je me suis blessé et c’est comme si une force m’entrainait dans des abysses, je coule inexorablement... » Un soupir s’échappe de ses lèvres. « Je me dis que ça va aller mieux, mais chaque jour devient plus pénible que le précédent. Il n’y a que la marche et la photo qui me font du bien… » Mais même pour cela, je m’affaiblis. Cela me coute une énergie folle. Il murmure. « Je crois que ça fait deux mois que j’ai pas autant parlé à quelqu’un. » Il lui avoue simplement en venant reporter son attention sur lui. « Je me dis que je dois être patient, mais j’ai peur de ne pas être assez fort. » A cet instant, il ne prend pas conscience de ces mots et de leurs portées, du sens qu’elles révèlent. Il essaye juste de s’ouvrir à lui, comme lui vient de le faire. Il se sent assez en sécurité pour le faire, quand bien même il connait peu Callum en réalité, mais il se laisse porter par cette intuition qui lui permet de s’ancrer un peu plus à l’instant présent, alors qu’il ne fait que le fuir depuis des mois.
Un silence un peu pesant s'installe sur les deux jeunes gens lorsque la voix de Callum s'éteint pour laisser à Paitoon l'occasion d'emmagasiner ce qui vient d'être dit et de reprendre un peu le contrôle sur ses émotions en vrac. Même si le contrôle ne semble être qu'un retour en pilote automatique, comme lassé, épuisé de ressentir. Callum sait ce que c'est, cette fatigue qui vous ronge jusqu'à l'os, qui flirt allègrement entre le torrent d'émotions en pagaille et le vide, cette impression qu'à trop ressentir on en finit à ne plus rien ressentir du tout. Une seconde à vif, celle d'après anesthésié. Il sait qu'avec les bons outils, c'est un état qui finit par passer, mais il sait aussi qu'il n'y a rien qu'il puisse vraiment dire à Paitoon pour que ce lui-ci le croit. Au fond du trou, il arrive un jour où il fait tellement noir qu'on oublie que la lumière, même si on ne l'a plus vue depuis longtemps, elle existe toujours.
Le jeune anglais occupe ses mains nerveusement en arrachant de petites touffe d'herbe devant lui, évitant de fixer trop souvent son homologue. Probablement par envie de lui donner un semblant d'intimité si celui-ci venait à craquer pour de bon. Pas qu'il y ait quoi que ce soit de honteux aux larmes, mais elles sont parfois plus facile à verser et font parfois plus de bien quand personne ne nous regarde. Finalement, Paitoon accroche son regard et lui adresse un léger sourire. Certes ce dernier ne monte pas jusqu'à ces yeux, mais c'est toujours ça et Callum tente tant bien que mal de lui rendre un léger sourire en retour, ne serait-ce que par simple automatisme. Lorsque Paitoon lui assure d'une voix lointaine qu'il se sait entouré de personnes ne lui voulant que du bien et près à l'épauler dans cette épreuve, un petit bout de Callum est rassuré, mais un bout juste un peu plus gros est caressé par une petite touche d'aigreur qui sort de sa bouche malgré lui. « Au moins t'as déjà ça, c'est pas tout le monde qui a cette chance... » Il le murmure amèrement plus pour lui-même, mais dans le silence qui les entoure, il se doute que Paitoon l'a probablement entendu. Ça lui importe peu. Même s'il sait que ce n'est probablement pas la chose la plus délicate à dire à quelqu'un qui souffre, mais faire des délicatesses n'a jamais été son fort à Callum. Pratiquer la langue de bois ne l'intéresse pas, encore moins si celle-ci l'oblige à nier ce que lui ressent et qui est tout aussi valide que ce qui que ce soit d'autre ressent. Et là tout de suite il est en colère, il est en colère contre son père, encore et toujours. il est en colère contre Ethan, peut-être même est-il en colère contre Paitoon, juste un peu. Puis, même s'il le nie farouchement depuis des mois, il est en colère contre lui-même. En colère contre lui-même car il sait que cette colère elle découle d'un sentiment de culpabilité qui le fume complètement. C'est un drôle de sentiment la culpabilité. Un coeur qui se sent fautif, là où un esprit sait qu'il n'en est rien. Ethan et lui avait beau avoir coupé les ponts depuis des années maintenant, ça restait son petit frère et une partie de lui se demandera toujours s'il y avait quoi que ce soit qu'il aurait pu faire, qu'il aurait du faire, pour éviter ce drame. Et c'est ça le plus dur lorsqu'on perd quelqu'un dans de telles circonstances, c'est que cette interrogation fera probablement partie de nous toute notre vie. Paitoon a une famille aimante sur laquelle compter, Ethan ne pouvait compter sur personne, pas même sur ce père qu'il avait passé sa vie à idolâtrer.
Lorsque Paitoon reprend la parole, les yeux rivés sur le paysage face à eux, Callum l'écoute sans broncher et hoche distraitement de la tête de temps en temps. Cette fois, ce que dit Paitoon résonne personnellement en lui, il met des mots sur son état qui ne peuvent que rappeler à Callum l'état dans lequel il a passé plus d'un an lui aussi lorsqu'il était ado. Des souvenirs de semaines passées à ne pas parvenir à sortir du lit, affaibli aussi bien physiquement que mentalement. Des jours où il n'aurait rien préféré que de dormir 100 ans, assez pour que tout aille mieux à son réveil. L'idée même de devoir sortir de sa chambre lui donnait parfois envie de hurler, se voir dans un miroir lui donnait envie de tout casser dans un rayon de 10 kilomètres à la ronde. Et lorsque l'ouragan était passé, il ne restait plus qu'une coquille vide qui retournait se coucher. Se lever était une petite victoire quotidienne, avaler quoi que ce soit lui demandait bien souvent de passer sa journée avec la nausée, interagir avec des gens qui allaient bien lui demandait des efforts tellement considérable qu'il le faisait parfois pas de la semaine. Se sentant ensuite encore plus mal de délaisser ceux qui comptaient pour lui et pour qui il comptait en retour, d'être un poids mort dans leurs vies. S'entourer de gens qui n'allaient pas bien n'aidait pas non plus et au bout du compte, il ne finissait que plus enfermé dans sa solitude. Paitoon lui dit que seul la marche et la photographie l'aide et ça le rassure de savoir qu'il y a au moins ça, qu'il a quelque chose qui le sort de chez lui, même si ça lui coûte probablement beaucoup d'énergie. « Alors ne fait plus que ça, le peu d'énergie que tu as, mets le uniquement là-dedans. Puis c'est mal si la photographie continue à te faire du bien, ça veut dire que t'es encore capable de voir de la beauté quelque part.» Déclare-t-il comme si c'était simple bien qu'il soit plus au courant que quiconque que ce n'est jamais si simple. « T'sais il y a ce truc que les gens font quand ils parlent de dépression, ils te demandent de focaliser toute ton énergie sur 'aller mieux'. C'est du chipotage de vocabulaire peut-être, mais ce n'est pas vraiment viable quand on est dans cet état. Ce qui est viable, c'est 'aller bien'. Juste un peu tous les jours. Ça sert à rien de viser la lumière au bout du tunnel si tu ne sais pas mettre un pied devant l'autre. Fais un truc qui te fait du bien aujourd'hui, sans chercher à savoir ce que tu feras demain. Juste fais le, même si t'as pas envie, surtout si t'as pas envie. » Aller mieux, ça vient avec le temps, ça vient avec l'habitude. Quand la vie t'a mis en miette, aller mieux c'est reprendre les bases et c'est se reposer sur rien d'autre que de la discipline pure et dure, parce que ton cerveau ne t'aidera pas. Au contraire, il n'y a que la bête discipline qui lui fera comprendre le message. Il n'y a qu'en ne lui demandant plus son avis, qu'il finira par se recentrer sur des trucs qui pourront réellement aider. Beaucoup on une confiance aveugle en leur cerveau, le croyant capable de tout gérer sans qu'il ait a y mettre du sien, ne se doutant une seule seconde qu'ils se font plus souvent tromper par leurs cerveaux que par leurs émotions. D'un murmure, Paitoon lui confie qu'il n'a pas eu le courage de parler autant à qui que ce soit d'autre depuis bien longtemps et Callum hoche de la tête avec un petit pincement de lèvres compréhensif. Ça aussi, il sait ce que c'est. « Ouais... au delà de l'énergie que ça demande, c'est compliqué de parler à des gens qui veulent des réponses que t'as pas toi-même. Tu vas voir quelqu'un quand même ? » Dans un pays où la santé mentale est encore un sujet parfois mal connu et le recours à la thérapie considéré comme une hérésie preuve de faiblesse, Callum n'en est que plus inflexible sur le besoin de normaliser cet accès à une aide saine et compétente. Bien qu'il ait déjà pas mal d'année de thérapie derrière lui, Callum sait qu'il n'est pas compétent dans un domaine aussi pointu, mais si ça peut donner une impulsion à Paitoon, alors c'est toujours ça de pris. « Je ne suis pas certain d'être la personne la mieux placée pour ça, mais si t'as besoin de parler, n'hésite pas à venir me trouver. »
Aller mieux, c'est aller bien deux minutes aujourd'hui et quatre demain. Et pour la suite, qui vivra verra. Et c'est un peu là peut-être que ça pèche parce que la dernière phrase de Paitoon fait une fois plus froncer des sourcils au jeune anglais dont le sang ne fait qu'un tour face aux implications qui se tapissent vilainement derrière les dernières paroles du jeune homme face à lui qu'il toise soudainement d'un regard dur. Il n'est pas adepte des grandes délicatesses et ce n'est pas maintenant qu'il va s'y mettre. Il sait que le petit rire jaune qui sort malgré lui de ses lèvres n'est probablement pas la réaction la plus adaptée à ce que vient de dire Paitoon, mais encore une fois, c'est plus fort que lui. « Pas assez fort ? Et c'est quoi tes options alors tu crois ? »