Beach Baby (( Cleo ))
Il y avait la brise marine qui venait balayer quelques mèches rebelles de sa tresse, le goût du sel qu’elle pouvait presque sentir sur ses lèvres, la douce chaleur du soleil encore timide en ce mois de mars sur sa peau laiteuse. Puis il y avait Cleo qui l’attendait au bout du chemin et Nari qui la salua de loin d’un geste de la main, les yeux plissés de rire. Elle se réjouissait de passer un moment tranquille au bord des vagues, avec pour compagnie ce petit bout de jeune femme qui la laissait toujours sur ses gardes. Avec Cleo, on ne savait jamais à quoi s’attendre et Nari ne comptait plus les fois où elle s’était retrouvée dans des situations cocasses à cause de ses fantaisies. Elle ne le remarquait peut-être pas, mais Cleo pouvait faire preuve d’une grande insouciance, et bien qu’elle ne l’avouerait jamais, Nari admirait cette légèreté, celle qu'elle avait aujourd’hui perdue.
"J’espère que tu ne m’as pas trop attendu." Le sac en osier qu’elle portait sur son épaule commençant à peser lourd, elle observa rapidement la plage à la recherche d’espace disponible. La saison estivale n’étant pas encore arrivée, le flux de touriste n’était pas si étouffant qu’à l’accoutumé. Elle pointa du doigt un coin, un peu au hasard. "On s’assoit là-bas ? Ça me paraît bien. J’ai oublié de prendre le parasol, mais j’ai des chapeaux et de la crème solaire !" Elle sortit les dits objets pour les fourrer de force dans les mains de Cleo. Prévoyante, elle avait la fâcheuse tendance à être trop maternante, à faire des fixettes sur des broutilles. Elle n’y pouvait rien, oubliait que les autres n’étaient pas comme sa mère, qu’elle pouvait les laisser prendre soin d’eux-mêmes. Cela dit, il était aussi vrai que Nari exprimait son affection au travers de ces actes de service. Il suffisait qu’elle trouve l’équilibre, ce n'était pourtant pas si compliqué.
Alors qu’elle disposait du mieux qu’elle pouvait une grande couverture sur le sol, époussetant les grains de sables venues se coller au tissu, elle eut la curieuse impression que son acolyte ne pouvait tenir en place, une énergie nerveuse exultant de tous ses pores. Un petit bout de temps qu’elles se connaissaient maintenant, Nari pouvait affirmer sans hésitation que Cleo avait quelque chose qui la préoccupait. Depuis leur rencontre en convention elles ne s’étaient pas perdue de vue, avaient au contraire cultiver un lien difficilement descriptible. Comme une évidence, Cleo était devenue pour elle ce qui se rapprochait le plus d’une petite sœur, une cadette à l’état d’esprit autant irritant que brillant. "Tu me caches quelque chose toi", qu’elle l’accusa, suspicieuse.
Habituée à ses frasques, elle continua, sans trop s’inquiéter, de la mise en place de leur casse-croûte. Nari avait ramené ses fameux sablés à la fleur d’oranger, et était même allée jusqu’à confectionner sa limonade maison pour l’occasion. "Bon vas-y crache le morceau, tu ne m’as pas proposé ce pique-nique pour qu’on parle du beau temps, si ?" Nari était désireuse d’en savoir plus, persuadée que les prochaines paroles de Cleo allaient être d’un grand divertissement.
Adossé à sa petite coccinelle rouge, un bob surmontant sa tête, Cleo attendait tranquillement que son ami arrive, yeux fermés et visage tourné vers le ciel pour profiter de la douce brûlure du soleil qu’accompagnait l’agréable brise de ce début de printemps caressant ses joues. Une petite dizaine de minutes plus tard environ, le bruit de pas trottinant sur le chemin caillouteux se firent enfin entendre. Tournant la tête, elle se réjouit d’apercevoir à quelques mètres d’elle la silhouette de Nari approchant. D’un rire enjoué, elle la salua à son tour d’une grande vague de la main puis se pencha pour prendre son tote bag en crochet remplie de son essentiel de plage. Elle qui était d’habitude du genre à prévoir toujours beaucoup trop, plus de ce qu’elle avait besoin, pour sortir et voyager ; elle préférait paradoxalement prendre le minimum nécessaire quand elle se rendait à la plage. Sûrement, était-ce parce qu’elle ne voulait pas se prendre la tête, aimant surtout se rendre au bord de l’océan pour se reposer, se détendre et flâner plutôt que de s’amuser à jouer dans les vagues ou s’essayer au beach-volley.
Lorsque Nari fut enfin à ses côtés, elle enroula un bras autour d’elle pour une rapide étreinte en guise de salutation. “Ne t’inquiète pas, je suis arrivé il n’y a pas très longtemps, puis j’avais le soleil et les oiseaux pour me tenir compagnie en attendant.” Ses lèvres s’étirèrent en un sourire sincère. “Merci d’être venue.” Suivant des yeux l’endroit que la jeune femme lui pointait du doigt, elle hocha promptement la tête. Elle était peu difficile à contenter pour ce genre de chose, du moment qu’elle avait assez d’espace pour ne pas se sentir trop proche des autres, à l’abri du monde qui commençait à peupler la plage. “ Ça me semble parfait !” Elle ne put s’empêcher de rouler des yeux en la voyant sortir chapeaux et crème solaire, mais ne dit rien pour autant lorsqu’elle les lui donna, les rangeant dans son sac avec un reniflement amusé. Cleo était habitué à son petit côté maman poule depuis le temps, et à sa manie de toujours s’assurer que les autres ne manquent de rien. Elle avait beau comprendre que c’était sa manière de montrer son affection, il y a malgré tout des moments où la jeune femme aurait voulu pouvoir apaiser l’air soucieux qu’arborait souvent son ami, la rassurer et lui faire comprendre qu’elle faisait assez - était assez - pour les autres.
Après avoir parcouru le sable chaud bras dessus - bras dessous jusqu’au petit endroit situé à l’écart de la foule, elles se mirent aussitôt à la tâche et disposèrent soigneusement leurs affaires pour leur pique-nique. Concentré sur sa tâche, Cleo essayait de s’occuper l’esprit du mieux qu’elle pouvait, voulant retarder le moment où les mille pensées et doutes qui la harcelaient depuis quelques jours deviendraient trop inconfortable à supporter. Que Nari se rende ainsi compte que quelque chose n’allait pas chez elle n’était pas étonnant en sois. Depuis qu’elles s’étaient rencontré, une confiance sans faille et une compréhension naturelle s’était formé entre les deux jeunes femmes. Cleo savait très bien qu’en cas de problème ou d’incertitude, elle trouverait toujours auprès d’elle des mots rassurants et des conseils bienveillants. “Je t’en prie, toi et moi savons très bien que je n’arriverais jamais à te cacher quelque chose, la preuve. Alors pourquoi prendrais-je même la peine d’essayer ?” Lui répondit-elle d’un ton léger avant d’ajouter : “Tiens, c’est tes sablés à la fleur d'oranger que t'as fait là ? Dis donc tu me gâtes pour aujourd’hui.” Si son compliment était sincère - Nari était un vrai cordon bleu - sa tentative de changement de sujet pour essayer de reculer la conversation fatidique était évidente. C’était bête en sois, parce qu’elle l’avait appelé en grande partie pour avoir son aide et profiter d’un bout de sa sagesse en plus d’en profiter pour passer un petit moment avec elle - chose se faisant plus rare ces temps-ci entre ses études et le propre travail prenant de Nari. Elle avait beau savoir que parler la soulagerait d’un poids une partie d’elle avait pour autant un peu peur en repensant à ce qu’elle avait appris, de ressentir à nouveau l’amertume et la colère qui l’avait parcourue. Mais visiblement, Nari n’allait pas la laisser s’en tirer plus longtemps et comme ça et était bien décidé à lui tirer les vers du nez puisqu’elle l’exhorta à tout lui raconter. S’asseyant alors sur le drap avec un souffle vaincu, Cleo ramena ses jambes vers sa poitrine et posa une joue sur ses genoux avant d’adressé un regard légèrement fatigué à ce qui ressemblait dans sa vie à ce qu’il y avait d’aussi proche qu’une grande sœur. (ironique quand le problème qu’elle allait lui confier concernait justement sa demi-sœur ). “Je ne sais pas si tu t’en rappelles, mais j’ai dû mentionner une ou deux fois que j’avais une sœur : Robyn.” Elle n’en parlait pas souvent aux autres Cleo, ne voulant pas s’embêter d'expliquer constamment pourquoi elle ne l’avait jamais rencontré (chose qu’elle ne savait pas elle-même à vrai dire) et préférant rester évasive sur sa vie privée de façon générale. “Et bien il y a quelque temps, j’ai surpris mon père au téléphone avec son propre père, et je te la fais courte pour commencer, mais grosso modo : après avoir écouté de quoi ils parlaient, j’ai appris que ma demi-sœur était en ville depuis un certain temps et que mon père était au courant.” Elle prit un grand souffle. “ Et je pense que je veux aller la rencontrer même si mon père est contre….Mais je voulais ton avis avant." Parce que je me sens trahi et complètement perdu maintenant, qu’elle n’avait pas dit, mais qu’elle pensait très fortement.
"Comme si tu n’étais pas une petite cachottière la plupart du temps." Elle ponctua sa réponse d’un roulement des yeux bien dramatique. Ce n’étais pas que Cleo lui mentait ou lui cachait des choses délibérément. Puis même si elle le faisait de temps en temps, elle restait une adulte en droit de garder son jardin secret. Nari était bien la première à garder ses tracas pour elle et elle ne critiquerait sûrement pas Cleo pour faire de même. La jeune fille ne parlait cependant pas vraiment de sa vie privée, du moins jamais en détails. Si ses humeurs étaient évidentes pour Nari - qui avait appris à lire ses émotions dans son regard ou par la courbure de son sourire - ses états d’âmes restaient des plus troubles. Aujourd’hui par exemple, elle comprenait bien que Cleo était troublée, mais par quoi, telle était la question.
L’enthousiasme de Cleo pour ses sablés effaça temporairement l’inquiétude naissant au creux de sa poitrine à l’attente de ses explications. "Toujours. Il faut bien nourrir le ventre sur pattes que tu es." Elle l’enjoignit d’un geste de la main à se servir, rassurée de voir que ce qu’elle allait lui raconter n’était pas assez grave pour contrarier son appétit - du moins, lui semblait il. Sauf que les mots qu’elle entendit par la suite la prirent pour autant par surprise."Robyn ? Ça ne me dit pas grand-chose." Qu’elle répondit, évasive. Quel mensonge, elle se souvenait bien l’avoir entendu ce prénom. Les confessions de Cleo sur sa famille étaient trop rares pour qu’elle ne les écoute pas avec attention. Elle avait seulement mis l’information dans un coin, entassée sous d’autres informations et préoccupation plus importantes. Cette femme, Robyn, restait pour Nari une totale inconnue. L’unique chose qu’elle connaissait à son propos était son lien de parenté avec Cleo. Elles étaient demi-sœurs. Voilà, c’était tout. Voulait-elle en savoir plus ? Pas vraiment.
Elle ne comprenait pas trop pourquoi, mais le sujet de conversation la mettait mal à l’aise et elle espérait pouvoir le changer rapidement. Évidemment, Cleo en avait prévu autrement, faisant part de ses intentions. "Mon avis ?" Nari tenta de cacher son mécontentement. Un mécontentement déplacé, qui ne s’expliquait pas par le bon sens. Elle aurait plutôt dû ressentir de la fierté : Cleo tenait son opinion en estime et attendait ses conseils avant de s’engager dans des démarches qui pourraient (et allaient certainement) modifier les fondations de sa vie familiale. D’ailleurs, en tant que fille unique, elle doutait être bonne conseillère ; elle appréhendait le concept de “famille” sous le prisme de son expérience personnelle durant laquelle elle avait adopté le rôle de mère pour celle qui l’avait mis au monde au lieu d’agir comme son enfant.
"T’es sûr que ce n'est pas plutôt mon approbation que tu cherches ?". C’était une question sincère, dont elle attendait une réponse tout aussi sincère. Parce qu’elle allait lui répondre Nari et elle voulait s’assurer avant de ce qu’espérait vraiment Cleo de sa part. Oui, la laideur de son déplaisir risquait de pourrir son jugement, mais elle se forcerait à être neutre, car c’était ce que ferait une vraie grande sœur (même si ce n'était pas de sang) non ? Tiens, elle comprenait maintenant. La jalousie, voilà ce qui chamboulait Nari.