@cleo kaplan
The Conflict of The Mind ( Robyn )
C’était le cœur fatigué, mais malgré tout plein d’espoir que Cleo franchit les portes du district 18 de la police d’Oceanside. L’ombre de la dernière chance qui se profilait à chacun de ses pas, la patience qui commençait sérieusement à flancher et pourtant Cleo qui continuait de croiser les doigts. Cette fois-ci serait la bonne. Elle le savait. Il le fallait. Parce qu’elle n’avait pas essuyé refus sur refus et regards désolés à chaque commissariat qu’elle avait visité pour qu’on lui dise encore une fois qu’aucune Robyn Kaplan n’y travaillait. Ce poste de police était le dernier de la ville qu’elle n’avait pas encore testé, ce qui voulait donc dire que sa demi-sœur devait forcément s’y trouver. Sauf que maintenant qu'elle était si prêt du but, Cleo se trouvait à son propre étonnement, plus nerveuse qu'autre chose, alors même qu'elle trépignait d'impatience à peine quelques minutes auparavant. Presque deux ans, apparemment, que Robyn s’était installée à Oceanside. Presque deux ans aussi que son cher père lui avait caché l'information et la pilule qui ne passait toujours pas pour Cleo, elle qui avait attendu ce genre d’annonce des années durant. Il savait pertinemment qu’elle voulait la rencontrer, cette sœur sur laquelle elle n’avait jamais eu l’occasion de poser une silhouette, un visage ou même une voix. Et elle se doutait bien que ce fût précisément pour cette raison qu’il ne lui avait rien dit; mauvais sang qu’il ruminait envers son aîné rendu évidant dans sa façon d’en parler. Se dire qu’il avait fallu attendre une simple erreur d'inattention durant un appel pour savoir ce qu’elle n’aurait jamais appris de la bouche de son père ne laissait qu'un sentiment amer de déception l'empoisonner. Alors pour s’apaiser, elle avait laissé son âme vengeresse prendre le relais et avait décidé de s’adonner aux cachotteries elle aussi. Qu’il le veuille ou non, elle allait rencontrer cette autre, cette femme pour laquelle son cœur et son esprit avaient toujours gardé une petite place au cas où. Rencontre dont elle faisait le secret pour l’assurance de ne pas être entravé par leur père et la certitude que les choses, dans un premier temps, se déroulent en ses termes. Quand Cleo voulait quelque chose après tout, elle s’obstinait à l’obtenir. Hormis que lui collait maintenant à la peau le sentiment inconfortable du doute. Et si les informations n’étaient plus d’actualité ? Ou pour une raison ou une autre complètement erronées même ? Pensées intrusives qu’elle se força à passer sous silence, Cleo, finalement, s’avança jusqu’à l’accueil où plusieurs officiers étaient en train de discuter, redressant ses épaules dans une posture se voulant déterminée.
Lorsqu’ils la remarquèrent, l’un des officiers la salua, sourire polie et rassurant aux lèvres que Cleo lui rendit. À ses côtés, se trouvait une officière d'apparence assez froide mais dont le charisme décontenança instantanément la jeune femme. Sous ses vêtements, elle pouvait distinguer quelques tatouages ornant sa peau brune, rajoutant - bien que ce soit complètement cliché - à son aspect dur à cuire. Aussi dans son regard semblait transparaître une sorte d’assurance naturelle qui poussa pour une raison quelconque Cleo à se tourner dans sa direction, malgré qu'elle en soit quelque peu intimidé. “Hello..umm I’m sorry to interrup you but… does Inspector Robyn Kaplan work here by any chance ?” qu'elle les aborda sans attendre qu’on lui ait demandé la raison de sa venue. Inspecteur pas moins. L’admiration enfla de nouveau dans sa poitrine au rappel du statut qu’avait sa demi-sœur dans la police. Seule miette d’information grappillée en surprenant l’appel téléphonique entre son père et le grand-père Kaplan. Détail en sois presque anodin mais auquel elle s’était raccrochée plus que de raison. Première anecdote sur sa soeur d'une liste qu'elle espérait rallonger bientôt, si la vie voulait bien lui accorder cette chance qu'elle touchait du bout du doigt, d'enfin pouvoir faire sa connaissance.
« so? how gross on a scale of 1 to 10? » kaplan et mendoza viennent à peine de passer l'entrée lorsque cette question tombe, en provenance du clown à la réception. « 8. » « i'll go for 6. » l'inspectrice se tourne instinctivement vers son coéquipier, perplexe. « huh? just a lil 6? » compréhensible après tout. l’est plus âgé qu’elle, a dû en voir des vertes et des sacrément pas mûres depuis le temps qu’il est dans le métier. l’inspecteur mendoza se gratte la barbe, des officiers viennent et vont derrière eux – ça grouille toujours au district. « 6,5 if you prefer. » un semblant de rictus sur le visage de robyn. en toute franchise, elle aurait bien donné un bon 10 à la scène qu’ils avaient découvert un peu plus tôt. tout en sachant pertinemment qu’il y avait pire et il y aurait pire. instant d’accalmie avant de retrouver leur département et faire travailler leurs méninges pour cette fin de journée. elle en profite pour checker son portable tandis que les deux hommes discutent. l’officier – dont le nom lui échappe – déterminé à en savoir plus sur la scène de crime, cette nouvelle enquête qui leur avait été attribués. le nez planté sur son samsung, occupée à envoyer un texto à son mec. ne semble pas écouter les deux hommes, a néanmoins les oreilles qui sifflent à la minute d'après.
« she threw up.
— no way?
— huh?
— yeah, believe me.
— guys... »
robyn croit rêver; les pupilles subitement décrochées de son écran, elle range même son portable dans la poche intérieure de son blazer. les dévisage à tour de rôle, sont apparemment morts de rire. oh yea that's sooooo funny. assurément dépitée, se demande si elle ne fait pas face à deux adolescents prépubères que de véritables adultes, pères de famille de ce qu'elle sait. « it's no big deal. » hausse ses épaules, nonchalante. ouais, elle a eu la gerbe et puis ? pas la seule à s’être retrouvée dans ce moment de vulnérabilité, il y avait bien un bleu qui s’était barré en courant vers l’extérieur avant qu’elle l'imite à son tour. « i mean, you didn't have your nose right in the middle of the thing, YOU. » air renfrogné sur ses traits, l’index pointé en direction de mendoza, qui secoue la tête. elle s'était même pointée à l'adresse avant son arrivée à lui. elle qui cherche seulement à trouver une excuse à son estomac ébranlé au milieu de cet appartement ressemblant plus à un trou à rat qu’autre chose. une lueur d’intérêt semble alors traverser le regard de l’officier. « wait… what thing? » toujours à grailler des informations, lui, et sans jamais réussir à les obtenir. robyn pince son pouce et son index entre eux, pantomime l’action de verrouiller ses lèvres. saura que dalle, pas ses oignons. puis, l'est déjà occupé à sauter sur le téléphone lorsque celui se met à sonner. « time to work now, c'mon ma'am puke. » ses yeux roulent brièvement avant de lui faire un geste du chef, indiquant qu’elle allait arriver. mendoza tire sa révérence en s’engouffrant dans le couloir, l'officier fait signe à robyn après avoir raccroché. « can you stay here for 2 sec? i gotta take a piss. » « where's the second guy? » demande-t-elle en s'avançant vers lui, finit par le rejoindre à ses côtés. a l'habitude d'en voir toujours au moins deux pour l'accueil. « mitch is on break. » « well if your organization sucks, that's not my problem. » pas comme si elle n'avait pas son propre job à gérer plutôt que de se la jouer wannabe secrétaire. l’officier aux cheveux grisonnants soupire, le regard se perd bien vite ailleurs, et salue une petite nana qui s’est rapprochée. robyn pose successivement ses yeux sur elle, mutique, les pensées dissipées quand son estomac se met à geindre. forcément, depuis que son ventre est vide. l’idée même de chourrer le restant de sandwich que l'officier nguyen – vient de lire son badge – a abandonné sur le rebord du bureau. pourtant, elle ne se permet pas, retrouve le visage de la jeune femme. devrait plutôt se casser de là, seulement si l'inconnue n'arrêtait pas de la fixer. semble troublée (peut-être mal à l'aise ?) dans sa posture et bientôt dans son langage. les sourcils froncés face à ses dires, la coïncidence d'être exactement celle que la jeune recherchait. « bingo, young lady! » s'exclame nguyen à côté d'elle. « i'm robyn kaplan, hi. » fait l'inverse, se présente avant de saluer. se demande bien aussi ce qu'elle lui veut mais il ne lui faut pas longtemps pour avoir une petite idée derrière la tête. robyn se dégage de l'accueil pour venir à la hauteur de la jeune inconnue, s'avère être un brin plus grande qu'elle. l'accoutumance à ce que le monde entier la dépasse de toute façon. « are you here for the lynch case? » tout témoignage ou toute piste serait bonne à prendre sur cette affaire à peine ouverte. and first of all: where the fuck is lynch? robyn a dix lieues de savoir ce qui l'attendait réellement.
Cleo s’était souvent dit que le destin avait une fâcheuse tendance à la surprendre. Après des années à voir sa vie bouleversée par l’inattendu, elle ne devrait même plus s’étonner de rien par ailleurs. Pourtant, sa naïveté était restée intacte à travers les épreuves et son instinct voilé, autant par protection que par entêtement ( parce qu’un jour, peut-être les choses se dérouleraient comme elle l’espérait.) Naturellement donc, les lèvres de Cleo, qui s’étaient étirées de joie au “bingo !” légèrement enjoué du policier, se figèrent aussitôt la seconde suivante, tandis que la jeune femme à qui elle s’était adressée en premier lieu répondit à son tour à sa question. Une simple phrase. Banale présentation accompagnée d’une banale salutation. Et avec ces mots pourtant, le monde de Cleo qui changeait d’axe. “I’m Robyn Kaplan. Hi.”
Ce n’était certainement pas de cette manière qu’elle avait imaginé rencontrer sa demi-sœur, et était-elle désormais confrontée à ce visage sur lequel elle avait tant rêvé de poser ses yeux. Prise de court, elle ne sut pas comment réagir à la nouvelle Cleo, et resta sur le moment pantoise, la bouche soudain sèche, les mains tremblantes et le cœur battant à tout rompre. Il doit y avoir une erreur, fut sa première pensée. Parce que ça ne pouvait pas être si simple que ça. Puis, une fois la réalité intégrée dans son esprit :Elle ne me ressemble pas, fut sa seconde réflexion. Mis à part leur couleur de peau différente, elle ne partageait pas non plus les mêmes traits du visage. Là où Cleo était tout en douceur et rondeur juvénile, Robyn avait des pommettes sculptées et un regard acéré. Puis, lorsque cette dernière s’approcha à son niveau, elle nota - presque avec amusement - qu’elle se trouvait aussi être de quelques centimètres plus grande que son aîné. Mais à y regarder de plus près, elle pouvait le voir quelque part, l’appartenance à la famille Kaplan. Dans la douce arche de leurs sourcils par exemple, ou encore dans les nuances brunes de leur iris.
Puis soudain sa contemplation pris fin, tandis que Robyn lui demanda si elle était ici pour l’affaire Lynch. La réalité qui reprit ses droits et Cleo qui se sentit soudain de trop dans l’endroit. Parce que bien sûr, elle non plus elle n’avait jamais vu son visage ( il était logique de présumer que son père avait sans aucun doute rechigné à partager une photo d’elle s’il était en froid avec Robyn ) et si loin de se douter qu’elle avait devant elle sa demi-sœur, elle l’avait pris pour témoin d’une enquête. D’une voix rauque, elle réussit finalement à sortir de son mutisme pour lui répondre. “No…I’m not here for that…Sorry?” ll y avait tant de mots, de phrases, qu’elle s’était préparée à dire Cleo quand dans de nombreuses nuits elle avait troqué le sommeil pour des cogitations à n’en finir sur cette première rencontre. Une chose était sûre, ces balbutiements n’avaient jamais fait partie de sa liste. “I wanted to talked to you about…a family matter." Ses yeux, qui n’arrivaient plus à soutenir le regard de l’inspectrice se portèrent sur le bout de ses baskets blanches tandis qu’elle se mordait la langue pour s’empêcher d’en dire plus. A sister matter, aurait-elle voulu dire. Sauf qu’elle se trouvait sur le lieu de travail de sa demi-sœur, devant ses collègues de surcroît et qu’elle ne voulait pas que ce premier échange soit rendu publique. Elle savait très bien en se rendant au commissariat que ça n’allait être ni le moment ni le lieu pour une discussion qu’elle voulait plus intimiste. Un regard en coin qu’elle glissa pas si subtilement envers l’autre officier, espérant lui faire comprendre qu’elle voulait parler avec la jeune femme en privé puis Cleo qui, se sentant malgré tout obligé de se justifier, dans un chuchotement destiné aux oreilles de Robyn seulement rajouta : “I’m Cleo.” Un rire nerveux s’échappa d’elle avant qu’elle ne pût préciser : “Cleo Kaplan…your half-sister.” Présentation qui sonnait presque comme des aveux de sa part alors qu’elle se libérait enfin du stress qui avait pesé sur ses épaules en arrivant sur les lieux. “I’m so happy to finally meet you ! ” Et elle espérait bien que le sentiment était partagé...
observe les traits de l'inconnue face à elle, se transforment peu à peu, passent de l'enthousiasme à la confusion. pas la première fois que l'inspectrice kaplan assiste à ce genre de réaction à la suite de son introduction. ne sait pas d'où la gamine a entendu son blaze, la vérité étant qu’une fois sur deux les gens s'attendent à rencontrer un homme. quelle idée aussi de lui avoir foutu un prénom mixte pour porter à confusion – mais elle trouverait quand même le moyen de se plaindre si elle se prénommait priscilla. une fois sur dix les gens s'attendent à rencontrer une personne blanche, aussi. la légende dit qu'on a déjà trouvé robyn trop blanche lors d'une descente dans le quartier afro-américain bayview à san francisco. bref, un tout autre sujet. et la concernée s'en carre le cul, pour faire dans la finesse, qu'elle corresponde ou non aux attentes des autres. puis bon, elle ne veut pas secouer la jeune femme mais elle n’a pas que ça à faire. « so? » pour appuyer sur sa question qu’elle vient de lui poser. l’affaire lynch, elle est là pour ça, n’est-ce pas ? la faire réagir, peut-être. robyn met ses mains sur ses hanches, patiente, pas sa meilleure qualité, mais ça finit par payer. un dégueulis de bégaiements pour lui répondre qu’elle n’était pas là pour l’enquête en cours.
ah.
dommage.
ne voit pas comment elle peut l’assister alors. et encore moins maintenant. family matter, huh ? les bras qui pendent désormais de chaque côté, les sourcils froncés. « what? » de quelle famille parle-t-elle ? une autre affaire ? veut bien lui sortir les noms un à un s’il faut. ou bien veut-elle parler d’elle ? souhaite se confesser sur un truc ? un secret de famille ? un lourd secret de famille ? ne sait pas comment elle peut l’aider, robyn, n’est pas mauvaise oreille pour autant ; fait partie de son travail, après tout, écouter. au-delà, d’enquêter et d’interroger. sans limites, pourrait écouter tout et n’importe quoi sans être choquée. travailler plus de dix ans dans la police l’a clairement désensibilisée. le regard fuyant, le malaise évident que même robyn parvient à ressentir. capte l’œillade à son collègue derrière, suit le mouvement. ok got it. l’inconnue veut de la privacy, certainement compliqué à trouver à l’entrée du commissariat. kaplan se décale sur le côté pour l’inviter à se déporter, éviter de rester en plein milieu. aurait pu lui proposer de se poser dans bureau au calme mais finalement faut croire qu’elle a repris du poil de la bête. se présente dans un murmure. cleo, ok. cleo comment ? un rire maladroit lui échappe, semble beaucoup plus vivante que robyn lorsqu’elle lui annonce la suite. error 404 not found. les yeux écarquillés, croit avoir mal entendu. demi-sœur. comment ça, demi-sœur ? « what did you just say? » l’est pas sourde pourtant, la scanne subitement de la tête aux pieds. elle se fiche d’elle, n’est-ce pas ? elle, qui a l’air pourtant si contente de la rencontrer. ça n'a pas de sens.
déconcertée par son enthousiasme, forcément faussé. va quand même pas croire aussi facilement les mots d’une petite blanche qu’elle n’a jamais vue de sa vie, n’est-ce pas ? robyn se retient de ne pas l'envoyer chier violemment. cette soi-disante cleo a déverrouillé la mauvaise porte, celle que robyn s'efforce de laisser close derrière elle. pan de sa vie dont elle n'aime pas parler et encore moins avec une inconnue. girl, stay calm and professional. un soupir. n’a pas non plus envie de subir ce sujet entourée de regards curieux et oreilles intéressées. d’un geste de la tête, l’invite à la suivre à l’extérieur du bâtiment. s’éloigne de l’entrée, ont désormais un joli panorama sur le parking et les bennes à ordures. « i have no siblings. » commence-t-elle par préciser, le timbre de voix qui déchante instantanément. ne peut imaginer ni sa mère ni son père avoir eu d’autres mioches après elle, vu les cas sociaux qu’ils étaient – ou sont encore, probablement. prunelles suspicieuses braquées sur la jeune femme, si elle n’a pas l’air de plaisanter, l’a vraisemblablement fait une erreur. à la recherche d’une sœur perdue et a décroché le mauvais numéro. parce qu'elles ne peuvent clairement pas partager le même sang. et parce que robyn ne veut pas le concevoir, non plus. « i bet i'm not the only kaplan in town. you obviously screwed up. » nouveau soupir même si bon, en soit, ce n’est pas dramatique de se planter. ça arrive à tout le monde. ne doit pas être la seule avec ce patronyme en californie (maintenant elles sont deux) à la consonance juive ukrainienne ou même russe, comme si ça avait une importance. « and for your info, my parents are black. » termine-t-elle par dire comme pour boucler cette discussion qui n'a pas lieu d'être. ne se gêne pas pour mentir sur ce détail-là, appuyer sur le fait qu’elles n'ont rien en commun, même physiquement. on a dû lui donner la mauvaise adresse... elle peut voir elle-même qu'elles ne se ressemblent pas. kaplan est censée rejoindre mendoza et bosser sur leur nouvelle affaire, pas brasser du vent sur cette histoire improbable de famille. se voit déjà raconter à leif plus tard, ce malentendu sans queue ni tête; a young lady actually thought we were half sisters, can you believe it? n'importe quoi. son portable se met à sonner et elle coupe l'appel aussitôt, une chose à la fois. « so are we done here? » lui laisse la possibilité de s'exprimer une dernière fois avant qu'elle ne retourne à ses occupations.
Elle avait pensé qu’enfin avouer la raison de sa venue allait faire disparaître comme par magie sa nervosité, lui permettre de dialoguer enfin avec Robyn et que leur rencontre se passe comme sur des roulettes. Parce qu’elle avait toujours pensé que les choses se passeraient à merveilles, n’avait jamais envisagé rencontrer des obstacles sur sa route une fois qu’elle aurait trouvé sa demi-sœur. Son inquiétude avait surtout été liée à l’idée de plonger dans l’inconnu, de paraître maladroite ou de ne plus savoir quoi dire après s’être présenté. Elle s’était aussi préparée à voir de la surprise ou du choc sur son visage, après tout venait-elle à l’improviste. Mais voir ses sourcils se froncer - sûrement de confusion - avait été suffisant pour que son cœur devienne aussi agiter qu’un tambour, frôlant même la tachycardie tandis que les yeux de l’inspectrice s’écarquillaient. “What did you just say?” que cette dernière lui dit tout en la scannant rapidement du regard et Cleo qui ne sut désormais plus quoi dire (pas sûr de savoir si c’était rhétorique ou si elle ne l’avait vraiment pas comprise), se retrouvant les bras ballants avec un sourire toujours figé sur son visage. Quand l’inspectrice laissa échapper un souffle, son exaltation précédente se dégonfla aussi vite qu’elle était montée et Cleo sentit malgré elle que l’atmosphère commençait à radicalement changer. Ne pipant mot, elle suivit alors Robyn à l’extérieur, feignant de ne pas ressentir la tension grandissante entre elles - heureuse au moins d’avoir encore plus d’intimité qu’auparavant. C’était peut-être naïf de sa part, mais la jeune femme avait au fond toujours pensé qu’une fois la rencontre arrivée, elle serait accueillie avec des yeux s’illuminant à son nom, un grand sourire et peut-être même un peu d’émotion. Elle avait pensé que malgré sa venue inattendue et une fois la surprise passée, elle recevrait un “Enchanté de te rencontrer aussi” en retour. Ainsi, rien ne l’avait préparé au prochain mot de sa demi-sœur, résonnant dans l’air et l’atteignant avec brutalité si bien qu’elle se retrouva à reculer imperceptiblement. Comment ça, elle n’avait pas de frère et sœur ? Maintenant, elle le savait, quelque chose clochait certainement. N’était-elle pas contente de la voir ? Ou pire…se pouvait-il qu’elle ne soit pas au courant pour elle ? Elle secoua intérieurement la tête à cette idée. Non, c’était impossible. Il devait s’agir d’un malentendu. Son père lui avait forcément parlé d’elle, il n’y avait pas de doutes possibles. Mais alors pourquoi disait-elle cela ?Ainsi une dernière autre possibilité se dessinait : elle ne voulait tout simplement pas la connaître. Une chose était sûre : aucune de ces deux options n’étaient ce qu’elle avait envisagé en pensant à cette rencontre.
Les membres engourdis et l’esprit confus, Cleo l’écouta expliquer qu’elle n’était sûrement pas la seule à porter le nom Kaplan en ville, et qu’elle s’était tout simplement trompée. La jeune femme avait presque l’impression de se faire gronder, de lui avoir fait perdre son temps. Sauf qu’elle ne pouvait pas imaginer qu’il s’agisse d’une erreur de sa part. Il ne pouvait pas non plus s’agir d’une coïncidence. Bien que le nom Kaplan ne soit pas si rare, la chance pour elle de tomber sur une personne qui en plus d’avoir le même patronyme porte aussi le prénom Robyn et soit inspectrice à Oceanside - si elle avait bien compris ce que son père avait dit - était tout de même assez faible. Elle ne pouvait honnêtement pas s’être trompée. Et pourtant, le doute s’immisça tout de même lorsqu’elle lui assura que ses parents étaient noirs. Un doute léger, mais quand même présent, ses certitudes précédentes ébranlées par la finalité avec laquelle Robyn avait parlé. Effectivement, elles n’avaient pas la même couleur de peau, ce qui pour être honnête avait surpris Cleo, elle qui pour une raison étrange s’attendait à ce qu’elles deux se ressemblent beaucoup alors même qu’elle savait être de loin plus similaire à sa mère que son père. Mais ce n’était pas parce qu’elles ne se ressemblaient pas - malgré quelques détails expliquant une familiarité que la jeune femme avait quelque part cherché à voir - qu’elles ne pouvaient pas être demi-sœur. Sauf qu’il ne s’agissait même plus de savoir si oui ou non elles avaient un air de famille et plutôt de savoir qu’elles n’avaient effectivement pas les mêmes parents ou pour être exact pas le même père. “I guess what you say means you’re right then….” Les joues cramoisies de mortification et ses mains tenant les pans de sa jupe dans une poigne serrée pour s’empêcher de trembler, la jeune femme ajouta pour autant “But…I don’t think we’re done here.” Elle fit une pause, le souffle saccadé, puis repris d’une voix plus assurée. “I mean... you’re exactly the person I was looking for. A-And I really don’t think there is another Robyn Kaplan in town also being an Inspector. To be honest I know that’s not the case because I searched in all the police station of Oceanside.” Une détermination sans faille avait finalement réussi à éclipser la pointe d’hésitation ressentie quelques secondes plus tôt, lui permettant du même coup d’ignorer un instant la bulle de peine qui se formait en elle à l’idée qu’elle ne puisse jamais faire partie de la vie de sa demi-sœur ( que cela soit à cause d’un malentendu ou d’un rejet qu’elle refusait d’imaginer. ) “Please, tell me honestly, eye to eye : Is your father called Nicholas Kaplan?" Évoquer son père - leur père comme elle en était intiment convaincue - était son dernier recours. Si tout s’était déroulé comme elle l’aurait voulu, son nom n’aurait sûrement pas été cité si tôt, Cleo étant consciente de leur mésentente existante, elle n’aurait pas voulu mettre les pieds dans le plat quand elle voulait juste pouvoir connaître sa sœur en premier lieu. Malheureusement, c’était précisément à cause de ça qu’elle l’avait prononcé, cherchant à voir si ce nom allait ou non provoquer quelque chose en elle, ne serait qu’une expression ou un regard différent. Tout ça pour en avoir le cœur net et avoir la preuve que la femme qui se tenait devant elle - déjà préoccupée par autre chose alors que Cleo avait l’impression de vivre l’une des conversations les plus importantes de sa vie - était bien sa demi-sœur comme elle le pensait.
l'impression d'être entrée dans une toute autre dimension ou de vivre en plein rêve – en plein cauchemar à ce stade. ne comprend rien à ce qu'il lui arrive, robyn. s'était levée d'un plutôt bon pied ce matin, aux aurores, la journée continuant son cours. des hauts et des bas. à choisir, la trentenaire préférerait même retourner sur cette scène de crime, quitte à revivre un haut-le-coeur plutôt que de vivre cette situation sans queue ni tête et grotesque. droite dans ses bottes et à l'air frais, l'inspectrice kaplan reste le plus calme et professionnelle possible. faire déchanter l'inconnue qui semblait ô si heureuse de rencontrer sa soeur, demi-soeur, whatever. lui faire comprendre que c'est impossible qu'elles puissent partager ne serait-ce qu'une once du même adn, en énumérant tous les points possibles. même ceux teintés de mensonge. à l'extérieur pour éviter tous les regards, robyn ne lui laisse aucunement la chance de s'exprimer. déclare même, qu'elles en ont fini.
sauf
que
non.
« but…i don’t think we’re done here. » les yeux roulent à l'entente de ces paroles et un soupir s'échappe de ses lèvres. ses mains se calent sur ses hanches, tournée vers elle, prête à écouter les nouvelles fantaisies de cette cleo kaplan. plus l'air aussi assurée qu'avant depuis que robyn lui a coupé l'herbe sous le pied. les joues rosées et ses doigts qu'elle ne sait plus où mettre. l'inspectrice qui n'aide en rien à la mettre en bonne condition, après un énième soupir. et finalement, contre toute attente, elle semble reprendre du poil de la bête. au travers de ses mots, la trentenaire décèle une énergie soudaine, une détermination comme elle ne connait que trop bien. fucking pain in the ass. comme un air de déjà-vu, n'est-ce pas ? rechercher partout une seule et même personne, sans se laisser abattre. témérité increvable. mais c'est que d'un seul coup, miss cleo lui semble un peu psycho sur les bords. percute réellement le sens de ses mots. damn she really wanted to find me. pas comme si beaucoup de personnes la cherchaient dans la ville. pas comme si elle avait une quelconque importance dans cette ville et sur cette planète. une meuf lambda qui ne demande rien de plus qu'on lui fiche la paix. mais ça ne lui fait ni chaud, ni froid (elle croit). ne bouge pas d'un pouce, continue d'écouter la fin, elle espère, de ce qu'elle a à lui raconter — à l'instar d'arguments pour la convaincre qu'elles sont bel et bien demi-soeurs. that's fucking hilarious. mais ce qui suit n'est plus hilarant du tout.
non,
c'est
bien
pire.
les sourcils froncés à la question, peine à dire quoique ce soit à l'entente de ce prénom de malheur. ce blaze qui lui donne mal au ventre. non, envie de lui lâcher à la gueule. non, elle ne connaît pas de nicholas kaplan à la con. et pour la première fois, elle examine la théorie, que cleo et elle soient supposément des soeurs. ça fait mal. et elle ne peut pas gérer ça maintenant et ici. peut-être parce qu'elle ne veut tout simplement pas avoir à faire à ça. complètement mutique, à fixer la jeune femme. à chercher sans vraiment le vouloir des similitudes physiques. non. les poings sont désormais serrés contre ses cuisses. n'arrive pas à confirmer car bingo, nicholas kaplan est bien son père. robyn pourrait encore prétendre que ce sont des conneries, qu'elle n'est pas celle qu'elle recherche, mais il est trop tard. son langage corporel a parlé pour elle. dans son silence, un oui évident. « you know what? » le timbre est différent, dur mais fatigué. n'a pas envie de subir le passé et le présent de son père. « tell nick to go fuck himself. » et richard, le grand-père mériterait le même sort. forcément qu'il avait cafté à son fils l'emplacement de robyn, sinon qui d'autre ? elle qui pensait que les deux hommes ne se parlaient plus. gonflée, dégoutée et elle se sent même trahie au plus au point. et cleo dans tout ça ? robyn tentée de lui dire d'aller se faire foutre aussi, mais elle se retient de justesse. se souvient de son enthousiasme désolant au début de leur rencontre. en fin de compte, ce n'est pas totalement de sa faute. elle qui pensait être accueillie comme le messie. elle n'y peut rien si son père, leur père lui a raconté des salades. comme il aime en raconter depuis le début. si (d'après elle) il lui a promis qu'elle serait aussitôt acceptée par sa soeur aînée. « and i don't want to see you again. » parce qu'elle n'a quand même pas envie de croiser de nouveau sa route, cette soeur qu'elle n'a jamais désirée ni même demandée. et sur ses mots, robyn tourne les talons pour retourner à l'intérieur du commissariat. se noyer dans sa nouvelle enquête pour faire taire ses pensées et les souvenirs d'enfance qu'elle aurait préféré oublier.
De toutes les manières dont elle avait imaginé cette première rencontre, maladroite, joyeuse, pleines d'émotions ou bien même un mélange des trois; Cleo avait fait l’erreur naïve de ne pas penser à l’éventualité du rejet pur et simple.
Parler de leur père. Prononcer son nom. Ça avait été son dernier recours. Sa tentative de la dernière chance, en sachant très bien que c’était au risque d’assombrir l’humeur de sa (supposée) demi-sœur dont les rapports avec le paternel, elle avait ouï dire, n’était apparemment pas au beau fixe. Mais rien ne se déroulait selon ses plans et Cleo voulait seulement être certaine d’avoir devant elle la Robyn Kaplan qu’elle recherchait.
Sa question n’obtint sur le moment qu’un long silence comme réponse, accompagné de sourcils froncés avec dureté. La confirmation qu’elle attendait se lisait sur le visage de l’inspectrice. Un oui sous-entendu qu’elle accueilli d’abord avec satisfaction. Sauf que cette petite victoire avait un goût amer lorsqu’elle prit conscience que sa demi-sœur n’avait donc certainement jamais eue vent de son existence, ce qui ne collait pas très bien au récit de son père. Il avait toujours dit qu’elle n’avait jamais voulu se rapprocher de sa mère et elle à cause de la relation conflictuelle qu’ils entretenaient. Depuis Cleo n’avait honnêtement jamais cherché à en savoir bien plus pour être honnête et s’était simplement dit que le moment venu, une fois plus grande et le temps passé, Robyn serait contente de la rencontrer.
Qu’est-ce qu’elle pouvait être crédule parfois, elle-même devait l’avouer. Mais elle ne vivait chaque jour qu’avec le poids réconfortant de ses espoirs dans le cœur Cleo; une branche à laquelle se raccrocher quand tout s’écroulait parfois autour d’elle. “Tell Nick he can go fuck himself”. Elle écarquilla les yeux face à son hostilité. Plus aucun doute possible, père et fille ne s’entendaient donc réellement pas. Sidéré, Cleo n’eut pas le courage de lui dire qu’il ne savait en réalité rien de ses recherches pour la retrouver. Commençait à bouillonner en elle une colère qu’elle ne s’était pas préparé à ressentir. Pour qui se prenait-elle donc à insulter son père. Leur père. “I beg your pardon ?” Sa voix voulu clair et assurée ne sortit qu’en un grincement aigu qui la fit elle-même grimacer. Croisant les bras devant elle, comme une armure ; Cleo essaya de reprendre contenance. Sa joie qui s’était fanée au fur et à mesure de l’échange n’était maintenant plus que souvenir, remplacé par un mélange de frustration et d’immense déception. “And I don’t want to see you again.” Elle reçut les mots avec un sursaut, reculant comme s’ils l’avaient physiquement atteint. De quel droit se permettait-elle de lui parler de cette façon ? Elle était simplement venue la rencontrer. Lui parler.
Sans lui laisser le temps de répondre, de même comprendre ce qu’il se passait ; Robyn tournait déjà les talons, s’éloignant d’elle comme si elle était la peste - du moins était-ce l’impression que cela lui faisait. Et elle aurait voulu lui courir après Cleo, pour la suivre et l’ennuyer jusqu’à ce qu’elle cède. Mais ses pieds restaient fixés au sol, maintenu par ses émotions et ses doutes, comme des poids morts à ses chevilles. “Hey ! Stay !” Qu’elle lui cria alors au loin, dans une dernière tentative désespérée. “Please !...I just want to talk…” Sa voix s’amenuisa à mesure que l’émotion lui nouait la gorge. Mais il était de toute façon trop tard. Elle était déjà hors de vue.
La piqûre du rejet la frappa avec force, creusant un trou dans son cœur et faisant enfler ses paupières de larmes qu’elle s’efforça de ne pas laisser tomber. Ce n’était pas la première fois qu’on lui faisait comprendre qu’elle n’était pas la bienvenue. Pas désiré ni recherché. Mais elle n'avais jamais pensé qu’elle recevrait ce traitement de sa demi-sœur retrouvé.
L’ego en miette et l’âme blessée, Cleo rebroussa chemin. Elle avait l’impression d’avoir perdu une sœur aussi vite qu’elle en avait gagné une en la rencontrant enfin. Mais ce que Robyn ne savait pas, c’est que la jeune femme ne comptait certainement pas en rester là. Parce qu'après tous les efforts qu’elle avait fait pour la trouver, Cleo n'allait pas la laisser glisser entre ces doigts. Parce qu’elle voulait se donner, non, leur donner une chance quelque part. De se parler et de se connaître. Pourquoi pas de réussir à se comprendre aussi, vu à quel point leur communication n’était pas partie du bon pied. Les poings serrés, elle élaborait donc déjà son prochain plan dont la première étape était la suivante : rentrer chez elle, se rouler en boule sous un plaid et pleurer un bon coup ; peut-être que ça l’aiderait à y voir plus clair.