blue monday (irene)
Y a des journées où rien ne va. Où le réveil sonne sans que tu l'entendes, où tu ne sais pas quoi mettre, te trouvant dégueulasse constamment devant le miroir, au point d'en pleurer, où tu ne trouves plus tes clefs au moment de sortir, où t'as envie de foutre ton poing dans le mur. Tu le ferais à coup sûr Ellie, si t'étais pas si fragile, si tu n'avais pas constamment peur de la souffrance. T'as dormi, à peine, te ressassant sans arrêt ce que tu pourrais dire aujourd'hui, toutes les situations qui pourraient se dérouler. Analysant chaque probabilité, ce que tu pourrais dire pour faire bonne impression. Tu n'es plus une enfant, tu n'es plus celle qui court sur la plage, à jouer à action ou vérité, avec tes potes. T'es plus la gosse qui se planque dans la cabane à lire des livres imagés. T'as retardé l'échéance que trop longtemps. Et la consécration te laisse un gout amer. La colère quand tes parents t'ont applaudi, heureux d'avoir réussi à faire de toi le parfait pantin. Un enfant sur trois qui a été sur le droit chemin, au fond, c'est pas si mal. Bravo. En serrant la main du directeur de l'université, tu as insulté secrètement Steve et Eddie. Jalouse de leur courage, là où toi tu as failli. Laissant derrière toi tes rêves de grandeur, ton envie de voyage, d'ailleurs. Laissant derrière toi tes toiles et tes pinceaux. Gentille fille, gentille. T'es devenue ce que tu détestais, ce dont tu te moquais avec tes frères. La parfaite nana avec son tailleur, grenouille de bénitier, qui se mariera avec un ami de papa, qui ne verra pas le temps passer, qui aura que trop vite des rides, qui se fanera avant de se rendre compte que tu as raté le coche. Tu te maudis d'avoir mis des talons, t'as déjà mal, tu marches en canard. Plus que quelques mètres avant de passer la porte. Mets toi dans ton rôle, le premier acte commence. Tu te diriges vers ton bureau, les doigts tremblants. Premier dossier que tu prends réellement en main, pas un grand délit évidemment, vol de voiture, toi du côté de la plaignante. Rien de bien compliqué, et puis qu'est-ce qui pourrait t'arriver quand on porte un nom aussi prestigieux que Buckett ? Tu le sais que papa chéri tombera sur celui qui mettra une miette sur ton passage. Bien née, rien de pire selon toi, pauvre idiote qui a jamais manqué de rien, qui pleure pour rien, larmes de crocodiles exaspérantes. Ton bureau est parfaitement rangé, comme il se doit. Une photo de tes parents, une photo de tes amis pas loin, une plante pour te rappeler de sortir prendre l'aur de temps en temps. Et en ouvrant ton tiroir, tu te rends compte que ton cher dossier n'est plus là. Tu es pourtant sûre de l'avoir rangé quelque part, pas loin. Alors tu te retrouves là, cherchant dans tes armoires, essayant de ne pas trop t'abaisser pour qu'on ne voit pas sous ta jupe. Dix minutes et les sueurs froides qui commencent. Tu ne l'as pas repris chez toi, ça tu en es sûre. Et tu l'as vois, là en face de toi, à son bureau, concentrée sur son ordinateur. La secrétaire, Irene, peut-être qu'elle se souvient de quelque chose, qu'elle l'a vu trainer et qu'elle l'a rangé quelque part pour t'aider. Ta sauveuse, t'en es sûre Ellie. Alors tu te rapproches d'elle avec un grand sourire. Tu l'as apprécié tout de suite cette fille avec son air angélique, sa gentillesse débordante. Vous êtes arrivées presque en même temps, un peu plus jeune que toi. Dans le même bain, deux femmes dans ce monde de requin, un soutien pour toi, t'en doutes pas. Salut Irene, tu vas bien ? essayant de ne pas montrer que tu stresses, que ta voix tremble, que le son sort à peine de ta gorge serrée. Est-ce que tu aurais vu le dossier Cowper ? Je le cherche partout, j'étais pourtant sûre de l'avoir mis dans mon tiroir tu regardes l'horloge, les aiguilles te montrant, moqueuse que tu te rapproches de la potence, la corde te mordant déjà le cou. j'ai ma réunion dans trente minutes ça y est tu paniques ça ne peut que tomber sur moi ce genre de choses, perdre mon premier dossier t'es vraiment débile, prochaine fois, ferme ton tiroir à clef, juste un conseil.