cigarette daydreams.
Les neurones à cent à l’heure, le corps toujours en mouvement, alignant projet après projet - voilà le quotidien de Tabitha. Femme incapable de se souvenir de la dernière fois où elle avait eu plus de dix minutes de repos, de la dernière fois où rien ni personne ne nécessitait sa supervision. Incapable de se souvenir de la dernière fois où la roue de la fortune était autant allée dans son sens.
Il y avait eu l’appel du dirigeant, et les modalités de reprise, et là voilà, quelques mois après, de retour à Oceanside. Aux commandes du Pandora, aux manettes du club qui avait payé nombre de ses loyers. Un retour à la maison, après quelques années, avec le sentiment doux-amer de ne plus retrouver tout à fait ce qu’elle avait laissé derrière elle.
Tabitha revenait de San Francisco avec une marque portant son nom, déterminée à faire de grandes choses, à continuer l'entreprenariat, avec l’envie de réussir ce nouveau challenge. Pourtant, quand l’horloge affiche trois heures du matin, elle est également incapable de porter cette énergie plus longtemps, incapable de rester au club une minute de plus que nécessaire. Elle doit retrouver son fils, elle doit … s’assurer que tout va bien. Hier soir, pour la première fois, elle avait abandonné Ashton au réceptionniste, pour éviter que son fils ne passe trop de temps seul, dans la chambre du motel. Jusque-là, elle avait seulement demandé à l’employé de s’assurer que son fils ne parte pas, ou n’aie pas besoin d’aide. Elle essayait. Faisait au mieux, pour que la transition se passe au mieux - mais ses parents ne pouvaient pas l’aider, pas tout de suite, et elle ne pouvait pas non plus leur mettre Ashton dans les pattes comme si elle n’avait pas passé deux ans loin d’eux.
Déposée devant le motel, logement de fortune qui lui a permis de rapidement déménager à Oceanside, elle découvre rapidement le réceptionniste … dehors. Cela faisait un peu plus de deux semaines qu’elle s’amusait à aller le déloger de son bureau à son retour … mais il venait visiblement de l’en priver, ce soir.
Armée d’un sourire et d’un peu de défiance, elle lève ses doigts et frappe contre son torse.
Et ça fait (tap)
Fuck, un marmonnement lui échappa s’apparentant plus à un grognement alors que la demande tombait, une canalisation bouchée à aller sauver. Il avait toujours considéré son travail au motel comme la planque, des journées s’égrenant et se ressemblant avaient quelque chose de rassurant, de reposant. Une constance qui ne lui était pas désagréable après des mois d’errance sur la côte ouest, sa voiture pour seul point d’attache. La planque était réjouissante jusqu’à ce qu’il doive se perdre dans les excréments des autres, erreur de débutant que d’avoir accepté la première fois un tel job dans l’attente d’un professionnel, depuis, l’habitude s’était créée. Des mains étonnement agiles qui s’attelaient à réparer toute casse présentée à elles, en plus de son travail initial de réceptionniste aux tendances chien de garde pour les plus récalcitrants. Heureusement, il n’avait encore jamais à montrer les dents pour obtenir considération, son physique était généralement un argument de choix.
Une de ces journées interminables se dit-il alors qu’il prenait enfin place derrière son bureau, vissant solidement son fessier au siège qu’il ne quittait qu’en de très rares occasions, un bouquin sur les répercussions de la chute du mur de Berlin oublié par un client pour compagnon une fois que l’heure fût arrivée pour Ashton d’aller se coucher. Un gamin dont la mère lui semblait être la personne la plus débordée sur cette terre, River avait accepté par usage de servitude, le client était roi. Ses échanges avec madame Knox, qu’il appelait désormais Tabitha devant son insistance prodiguait plus de sincérité à son approbation et l’enfant était assez grand pour rendre l’échange plus engageant, bien que bref. En plus d’ébranler sa routine, le vieux Stauton s’essayait à profiter du silence du motel endormi et surtout de l’extérieur, ce que Tabitha ne manqua pas de lui faire remarquer avec amusement. « Not smoking yet.. » fit-il remarquer avec l’ombre d’un sourire, le maximum que l’on pouvait espérer de lui. « we can still do a cig » Il se leva de sa chaise en signe d’ouverture et elle en profita pour réduire la distance qui subsistait entre eux. Sa facilité à passer les barrières qu’il avait érigé autour de lui le décontenançait véritablement, pas déplaisant pour autant. « Morning.. Tabitha » le prénom de la jeune femme devenant de plus en plus naturel dans sa bouche. « How did it go tonight ? » des banalités d’où transparaissait un véritable intérêt, cultivé durant ces deux dernières semaines. « Tired ? » tentative malhabile de tenir une discussion, pour une personne accoutumée au silence et à la solitude, le vieux Stauton rognait ses propres limitations. « Not that you look bad.. » A round of applause, please.
Tabitha revenait à peine de sa soirée de boulot, et déjà celle-ci était bien loin. Loin d’elle les fards, les lumières, les paillettes, la musique, l’apprentissage des ficelles qui maintenaient et faisaient le show, soir après soir. Même le maquillage, dissous dans les toilettes du club, pour éviter de le faire en rentrant - tout pour éviter de réveiller son fils. Reste pourtant une étape entre le club et retrouver son fils. Juste une pause, un break, un moment pour retourner à son autre vie. Une cigarette. Une discussion.
Moment qu’elle avait décidé de partager avec le réceptionniste de nuit une fois, et qu’elle réussissait à convaincre, soir après soir. Pas qu’il devait être bien débordé à deux, trois heures du matin, de toute manière. Aussi Tabitha empruntait sa compagnie quelques minutes, bien qu’elle fut surprise de ne pas le voir à sa place habituelle. Ce qui ne l’empêcha pas de venir à sa rencontre, ni de lui dire bonjour, alors qu’elle était sur le point d’aller se coucher.
Penche la tête sur le côté avec amusement quand il lui signale que même s’il est dehors, il n’était pas en train de fumer. Quel outrage - s’il pensait un jour commencer à fumer sans l’attendre. Elle apprécie un instant son prénom entre ses lippes - plus personnel que son nom de famille, qu’il s’était échiné à prononcer pendant des jours.
River devrait être en charge du briquet, aussi son attention se détourne un moment de l’homme, à la recherche de son paquet, au fond de son sac. Brève tentative de faire deux choses à la fois, en tentant de lui répondre.
L’entrepreneuse se détourne finalement de son compagnon de pause, pour venir s’asseoir sur une marche, juste à côté. En profite pour étendre enfin ses jambes devant elle.
L’idée d’abandonner son fils chez ses parents pour une durée indéterminée ne l’enchantait pas vraiment, mais elle n’aurait peut-être pas le choix. Le temps de trouver un appartement, un endroit plus approprié qu’une chambre de motel.