conflict of interest (milo)

La vie d’une journaliste pour un magazine dit “féminin” n’est pas toujours amusante. Il y a bien les deux énormes dressing remplis de fringues aux marques plus ou moins prestigieuses, les rires qui émanent de gossip secrètement partagés dans le coin cuisine ou encore ces nouveaux sofas pour des siestes rapides (ou autres cochonneries, mais Leti n’a pas encore eu le temps de se pencher sur le sujet). Il y a bien aussi la diversité des tâches que l’on confie à l’écrivaine, à tantôt intercepter un taxi qui transporte un client vexé qu’il faut rassurer ou encore des soirées mondaines à organiser pour que la structure brille de mille feux. En fait, la vie d’une journaliste dite “mode” ne ressemble pas toujours (voire pas du tout) à ce que l’on pense communément. Il ne faut pas compter les heures, toujours prévoir de quoi éponger sa sueur et sans cesse faire preuve d’imagination. Mais ça lui plait, à Leti, de ne pas vivre un jour comme celui d’après et celui qui suivra ce dernier. Les opportunités de changement n’ont pas été rares, ne le sont toujours pas d’ailleurs, mais sa vie professionnelle lui convient parfaitement. Aussi n’a-t-elle pas traîné des pieds lorsqu’il a fallu revenir aux bureaux après plusieurs semaines off et d’autres à distance. A vrai dire, c’est même en talons hauts qu’elle a retrouvé ses collègues, plus resplendissante que jamais. A croire qu’elle n’a pas fui Oceanside pendant tout ce temps, disparu de tous les radars du jour au lendemain et revenue comme une fleur, comme si rien ne s’était passé. Leti se surprend à rêvasser, à se questionner sur la teneur de ses relations de travail puisque personne ne s’est rendu compte que derrière ce sourire figé se cache une peur, une peur profonde qui la tracasse, qui la hante jour après jour.
Leticia revient au présent, à ce café dans lequel elle patiente, et s’aide pour cela en secouant sa tête de gauche à droite avant de passer ses doigts le long de ses racines pour leur redonner un peu de volume. Elle doit se concentrer, arrêter de penser à celle qui partage sa vie, celle qui lui manque tant mais celle qu’elle fuit aussi. Bref. C’est alors qu’un visage familier entre dans le café, elle reconnaît sa silhouette puisque le soleil l’éblouit. Ça ne l’empêche pas de lui adresser un sourire et de se lever pour lui faire la bise. “ Saluuuut ! ” lance-t-elle d’un ton enjoué, trop enjoué, se retenant de relever que ça fait longtemps qu’ils ne se sont pas croisés pour ne pas avoir à expliquer la raison de sa désertion (si jamais il l’a remarqué, ce qui n’est pas forcément le cas, mais l’on n’est jamais trop prudent). “ Alors, qu’est-ce que tu racontes de beau ? ” enchaîne-t-elle pour retarder le moment où la question lui sera renvoyée. Et puis ça lui fait plaisir de croiser un ami, de partager ce moment avec quelqu’un qu’elle apprécie tant après avoir passé tant de semaines seule, confrontée à elle-même.