w/
the way to begin (robyn)
Martin réprime un soupir. La journée est encore loin d’être terminée et pourtant, il a l’impression d’être ici depuis une éternité. Il survit tant bien que mal, avec l’optimisme et toute la motivation dont il sait faire preuve, mais parfois, il doit bien admettre que ce n’est pas aussi évident que ce qu’il imaginait. Il n’ose pas en parler à sa famille ou à ses potes, parce qu’il s’est battu pour en arriver là et il ne voudrait pas donner l’impression de se plaindre ou pire, d’entendre tu vois, on te l’avait bien dit, c’est pas ton monde. Alors, il ne dit rien, il serre les dents. Et la plupart du temps, les choses se passent correctement, il est même plutôt heureux de se sentir utile, de partir en intervention, de sillonner les rues avec le cœur gonflé de satisfaction. C’est au retour au poste de police que les choses se corsent. Dans la salle grouillante d’activité, de flics qui vont et viennent, il passe un peu inaperçu. Penché derrière son ordinateur pour rédiger un rapport, il est concentré, indifférent aux regards lancés en coin. La tête haute, toujours. Il sait, pourtant, qu’on le regarde. Lui, le petit nouveau un peu paumé, plein de bonne volonté mais maladroit, comme un gentil chiot labrador à qui il faudrait apprendre la vie, pas méchant mais pas le couteau le plus affûté du tiroir non plus ; voilà comment il se sent, en cet instant. Il se dit que ce n’est que partie remise, il finira bien par s’intégrer, par vivre enfin une intervention qui le fera passer définitivement du côté de ceux qu’on admire, ceux qui ont de l’expérience – ceux qui savent. Probablement sa plus grosse attente pour le moment.
Et puis, il entend une voix dans son dos qui le fait sursauter « Alors, comment ça s’est passé cette journée ? Tu t’es pas perdu, cette fois ? » pas une franche animosité, mais un ton un peu moqueur, qui le fait fermer les paupières pendant une demi-seconde. Encore cette histoire. Quelques jours plus tôt, alors qu’ils partaient en intervention et qu’il conduisait, ils avaient perdu de précieuses secondes simplement parce qu’il s’était paumé. Rien de gravissime, mais suffisamment drôle pour que l’information ait circulé entre les flics et qu’on le relance sur la question, souvent de manière inopinée. « C’était à cause du GPS » qu’il râle un peu, Martin, agacé. « On s’en est sorti quand même » il sait que c’est peine perdue, de protester. Il s’en veut encore d’avoir merdé sur ce coup, dès les premiers jours, de passer encore plus pour un bleu – déjà que ce n’est pas un sentiment très positif ! Il sait que leurs railleries sont légitimes, au moins un peu. Pas facile d’être celui qui débarque et qui a tout à apprendre, ça non. Son regard est attiré par une jeune femme qu’il connaît de nom, Robyn. Elle se tient un peu à l’écart, vaquant à ses occupations, il n’a jamais trop eu l’occasion de lui adresser la parole et il ne sait pas exactement ce qu’elle pense, mais il commence à cerner un peu son tempérament, se dit qu’elle, elle n’a pas froid aux yeux. Beaucoup moins que lui. Croisant son regard, il dit d’un ton un peu plus léger, de celui qui s’en fiche un peu « J’suis bon à en entendre parler jusqu’à la fin des temps, c’est ça ? » son regard erre brièvement sur son écran d’ordinateur, avant qu’il n’enchaîne « J’imagine que je l’ai mérité au moins un peu » plutôt pour lui-même que pour elle ou pour quiconque dans l’open-space. Des bourdes, il en a déjà commis depuis son arrivée, il sait qu’il recommencera. Il espère simplement qu’avec le temps, les choses deviendront un peu plus faciles, qu’il trouvera sa place, lui aussi. A-t-il seulement d’autre choix ?
soupir et énième soupir. elle ne fait que soupirer, robyn. particulièrement aujourd'hui. serait sûrement riche comme crésus, si elle était payée à soupirer. devrait peut-être souffler l'idée à son boss, qui ne tente rien n'a rien. elle tourne et retourne le sachet plastifié être ses doigts. croix en bois à l'intérieur, unique indice retrouvé à quelques mètres du corps inerte. originairement pendentif, petite croix épaisse aux motifs incrustés dans un brun foncé. robyn pensait, non elle savait, que cet objet appartenait au meurtrier. allait-elle devoir se faire toutes les églises et paroisses de la ville, pour savoir à qui appartenait cette croix ? une aiguille dans une meule de foin. sans compter les communautés non répertoriées. or maybe it's just a lone wolf who likes to wear jesus around his neck. robyn balance l'évidence dans son tiroir et le referme. elle jette un coup d'oeil à sa montre au poignet. dans deux heures, elle devait se pointer à la morgue pour rencontrer la mère de la victime. reconnaissance et identification du cadavre, pas le meilleur des programmes pour une fin d'après-midi. peut-être que finalement elle aurait dû coller des amendes aux automobilistes pour le restant de ses jours. moins glauque et moins casse-tête aussi, à se demander si elle ne ferait mieux pas de bouffer un bout maintenant ou attendre que le rendez-vous glamour soit passé.
décidée à faire un break, elle se lève et traverse l'open space animé pour se rendre dans la salle de pause. immobile à fixer la machine à café, elle aurait envie de quelque chose de plus fort. à lui dégommer la cervelle avant l'entrevue. à effacer les horreurs qu'elle boit au quotidien et qui s'incruste comme de la crasse. faudrait faire un reset. elle choisit une vraie tasse plutôt qu'un gobelet, optant pour un café bien noir. s'attache les cheveux à la va-vite en chignon bas en attendant que la machine fasse son job. l'habituelle cramage de la langue lui arrache une injure. bouffonne qui n'attend jamais que la boisson refroidisse avant de goûter, ça lui apprendra. elle rebrousse le chemin et entend la grande gueule de morris embêter la viande fraîche. pas la première fois que ce jeune se fait enquiquiner d'ailleurs, elle en est certaine mais ne s'en est jamais mêlée. not her business. et ça lui rappelle ses débuts à elle. quand on la prenait pour une stagiaire, une secrétaire ou une boniche, tout sauf jeune policière. elle pose sa tasse un instant sur son bureau et enfile son blazer noir par-dessus son t-shirt et son arme. écoutant d'une oreille le jeune officier s'expliquer à l'autre abruti. il y a toujours un vieux con. plusieurs cons parfois pour les malchanceux. ça dépend de la taille du commissariat, forcément. plus c'est grand, plus la probabilité de cons augmentent. et il y en avait eu un paquet à san francisco, déjà le grand-père kaplan. des connes il y en a aussi, même si c'est une espèce plus rare. robyn se demande si elle été la conne de quelqu'un, un jour. la tasse dans une main, le paquet de clopes dans l'autre. robyn a deux doigts d'aller faire une remarque à morris. et par conséquent, de se faire détester un peu plus par le quinquagénaire – mais honnêtement elle s'en foutait royal. finalement, il dégage comme un grand, lui lance même un regard, ce genre de regard dédaigneux gratuit. l'inspectrice kaplan ne réagit pas, pas le temps pour ces puérilités. le nouveau croise son regard et lui adresse la parole sur un ton léger. à vrai dire, elle ne sait même pas comment il se nomme. consciente des arrivés et des départs au comico, elle zappe souvent les noms – surtout si elle ne bosse pas avec eux. elle se rapproche de lui. « morris c'est un vieux con, te prends pas la tête avec ça. » s'est quand même assurée qu'il n'était plus là pour pouvoir dire ça. pas l'envie de faire un scandale. « les erreurs, ça arrive à tout le monde. » surtout quand t'es nouveau. ajoute-t-elle en haussant par les épaules. puis il n'y avait pas eu mort d'homme. « tu fumes, barlow ? » captant enfin son patronyme affiché sur le poitrail. puis même s'il ne fume pas, il peut l'accompagner dehors. « allez viens, t'as le droit de prendre l'air. » l'invite-elle à la suivre. c'est bon, il n'allait pas se faire taper les doigts s'il s'autorisait une pause de cinq minutes.
Il sait, Martin, qu’il est devenu un genre d’attraction, une bête de foire dans cet océan de routine et de visages qui reviennent tous les jours ou presque, des gens qu’on connaît, des personnalités qu’on commence à apprécier (ou à haïr). On ne sait rien de lui, Martin Barlow, alors il suscite forcément la curiosité. On le cherche, on teste sa capacité de résistance, lui, le p’tit nouveau à la tête d’enfant, qui ne sait pas trop où aller, mais qui est là et qui compte bien le rester. Après l’énième pique de ce flic dont il a fait exprès de ne pas retenir le nom, et qui finit par s’éloigner après un dernier regard dédaigneux, il cherche du soutien où il y en a, sans trop savoir s’il va l’obtenir. Vers cette fille, Robyn, donc. Il a retenu son nom parce qu’il y a moins de femmes dans le coin, il se souvient donc davantage d’elles. Elle l’impressionne un peu et il n’est pas certain que c’est une bonne idée, mais il ose quand même, sans réfléchir, pris d’un courage soudain, qui ne lui ressemble pas trop – il est courageux, pourtant, Martin. Il ne refusera jamais de courir au-delà du danger et d’aller secourir une âme en détresse, mais il préférerait ça plutôt que de parler à des collègues plus âgés, plus expérimentés, avec plus de caractère.
Finalement, la jeune femme s’avance vers lui et lui assure que l’autre collègue est un vieux con, il essaie de s’en nourrir, de ne pas le prendre trop personnellement. Il n’ose pas répondre, qui est-il pour affirmer ou au contraire, protester ? Il se contente d’esquisser un pâle sourire dans lequel il espère ne pas mettre trop d’émotions pour ne pas se trahir, puis il hoche la tête. « Ouais, j’sais bien. Mais j’aurais préféré ne pas en faire dès les premiers jours… y a mieux, pour s’intégrer » et il ne demande que ça, Martin. S’intégrer. Il sait que ce n’est pas facile et le savait déjà avant de mettre un pied dans le poste de police. Un soupir lui échappe, ce qui est fait est fait. On ne peut pas revenir dessus. Maintenant, il doit s’efforcer de se concentrer sur le présent et réfléchir à la meilleure manière d’aller de l’avant. Elle lui demande ensuite s’il fume et que répondre ? Très peu, sauf quand j’suis vachement stressé et là maintenant, j’aurais besoin d’un paquet entier « Ouais » est sa seule réponse, pas besoin d’étaler ses états d’âme, il s’est déjà suffisamment affiché comme ça. Martin refuse de se montrer vulnérable ou d’être pris en pitié, ce n’est pas le but. Elle l’invite à l’accompagner dehors et il hésite un bref instant, se demandant si cela ne risque pas de lui être reproché, mais il a besoin d’air. Il accepte donc la proposition et l’accompagne dehors, dans le coin fumeur. L’air frais lui est salvateur. Tout en sortant son paquet qu’il conserve précieusement pour ces moments où il en aurait besoin, il demande afin de combler un peu le silence « Tu bosses là depuis longtemps, toi ? » il la tutoie naturellement, même si elle semble un peu plus âgée, parce qu’elle paraît si décontractée et lui parle d’une telle manière qu’il se sent un peu plus en confiance, et surtout, reconnaissant envers Robyn de lui accorder un peu de son temps.
w/
elle comprend bien qu'il veuille faire les choses bien. après tout, qui ne le voudrait pas ? donner bonne impression dès les premiers instants dans n'importe quelle boîte. montrer ce qu'on vaut et surtout pourquoi l'on a été embauché au profit d'un autre. robyn était comme lui à ses débuts, comme tous les autres. le chemin rocailleux des débutants, semé d'embûches, avec l'envie et même la nécessité de faire ses preuves. elle, autrefois dans l'ombre de son grand-père. on ne la considérait même pas entièrement, toujours accolée au vieux, elle, la petite-fille kaplan. au final, les remarques et les complications du passé n'avaient fait que renforcer son caractère. tête froide sur les épaules, cette carapace qu'elle s'était créée, l'impression qu'elle offrait aux autres que rien ne pouvait l'atteindre. mais il y avait une divergence entre l'inspectrice kaplan et robyn. dans le fond, elle était simplement humaine avec ses failles et ses tourments. robyn, dans l'intimité de son chez soi et à l'abri des regards, parfois vulnérable. barlow s'y ferait lui aussi, à toutes ces nouveautés et changements dans le monde du travail. à gagner en force et assurance. tout n'était qu'une histoire de temps et de volonté.
hésitation légère de son côté, à savoir s'il peut s'octroyer une pause ou non — of course he has the fuckin' right. elle attend qu'il prenne ses affaires pour le suivre vers l'extérieur. temps bon mais air un peu frais en raison de la pluie en milieu de journée. robyn pose un temps sa tasse sur le rebord humide d'une fenêtre. le temps d'amener une cigarette à ses lippes et d'en allumer l'extrémité avec son briquet, toujours fourré dans sa poche. elle tire une première latte quand barlow lui demande depuis combien de temps elle est ici. sa main de libre récupère le café. tabac et café noir pas franchement savoureux du comico, on est sur un bon combo de merde. « depuis un an, un peu près. » elle boit une première gorgée, déjà moins brûlante qu'il y a quelques minutes. légère grimace en raison du goût, ce café allait finir par lui faire des trous dans l'estomac. « j'étais sur san francisco avant. » précise-t-elle. pas que ça avait beaucoup d'importance, surtout que ça ne changeait rien au niveau de la géographie. rien de dépaysant, des palmiers et l'océan. pour le coup oceanside n'avait pas les putains de montées terribles de the city by the bay, ni les bobos friqués — toujours prêts à aller bruncher dans un café hype et instagrammable le samedi à dix heures. l'attention portée deux secondes sur les derniers arrivants en extérieur, les yeux chocolat de l'inspectrice se portent de nouveau sur le jeune officier. « et toi, un mois c'est ça ? » elle avance ça un peu à l'aveugle. à vrai dire, elle ne sait plus. elle ne sait pas, pour être exact. volutes blanchâtres s'échappent de ses lèvres, la moue pensive, robyn se remémore les premières paroles de barlow. au sujet de l'intégration, sa préoccupation. elle pouvait lui passer un tuyau si quelqu'un ne l'avait pas fait avant. « j'sais pas si on t'en a déjà parlé mais parfois il y en a qui se retrouvent au maxdon's, un pub à deux pas d'ici. » se rencontrer après le taff, autour d'une bonne bière ou un diabolo menthe. histoire de sortir des quatre murs de la station de police, apprendre à se connaître, crever l'abcès si nécessaire. créer des liens, why not. robyn ne s'y rendait pas souvent. elle comprenait l'intérêt, c'était sympa à petites doses. devoir se farcir les mêmes gueules tous les jours, évidemment qu'elle n'avait pas forcément envie de les revoir à la nuit tombée pour jouer au billard — et de toute manière, elle était à chier au billard. « me semble qu'il y a des gars qui veuillent y aller jeudi soir. 'fin de ce que j'ai entendu. » pas toujours certaine de la véracité de toutes les informations qu'elle chope au vol, dont elle a toujours une oreille tendue. une occasion à barlow de s'intégrer et rencontrer deux trois autres têtes. déjà autre que le crevard de morris. pas sûre que mademoiselle kaplan s'y pointe, faut dire qu'elle avait tellement mieux à faire (spoiler alert : hell no). toutefois, elle avait vraiment de réels projets pour la fin de journée, après le passage à la morgue, histoire de se changer les idées.
La cigarette rivée aux lèvres, Martin ne reste pas silencieux très longtemps, il a ce besoin incompressible d’ouvrir la bouche, de meubler un silence qu’il a peur de trouver gênant. Et puis, il est curieux d’en découvrir davantage sur Robyn, elle l’intrigue un peu trop. Le fascine aussi probablement. Elle lui explique exercer ici depuis un an. « Et t’as mis combien de temps pour t’intégrer ? » qu’il demande, le ton plein d’espoir, comme si la situation de la jeune femme est vraiment comparable à la sienne. Ils n’ont pas le même caractère, la même approche, le même vécu, ils n’ont sûrement rien en commun et il s’en doute. Mais il pose quand même la question. San Francisco. Pas la porte à côté non plus, même si c’est dans le même Etat. « Ça te manque pas ? » Martin, il n’a jamais connu qu’Oceanside, il ne peut pas comparer. Oh, il a voyagé, il a déjà sillonné la côte ouest avec des potes, il est parti plus loin encore, même si l’absence de fric s’est vite imposée à lui, mais il n’a jamais habité dans une autre ville sur la longue durée. Eternellement accroché à cette ville – qu’il aime, d’ailleurs. Il tire sur sa clope alors que Robyn reporte son attention sur lui, lui retourne la question. « Ouais, à peu de choses près. Et avant… j’étais déjà là. Dans cette ville, je veux dire » il rit, même si ce n’est pas vraiment une plaisanterie. Il n’a jamais voulu partir, de toute façon, il est trop attaché à sa famille pour mettre les voiles. Comment il ferait, sans eux ? Sa mère est partie, pas question de reproduire le même schéma.
Robyn évoque ensuite le Maxdon’s, un pub dans lequel certains collègues se retrouvent parfois, le soir, et Martin hoche la tête. « J’crois l’avoir entendu, au détour d’une conversation » et puis, il est déjà passé devant à plusieurs reprises, il a même une amie qui y travaille – rien d’étonnant, puisqu’il a un certain nombre d’amis, contrairement à ce qu’on pourrait croire. Il voit donc bien ce dont elle parle. « Pas Morris, j’espère ? » qu’il plaisante, amusé, parce qu’il le prend déjà sur le ton de la rigolade. Il veut montrer que ça ne l’atteint pas vraiment, même s’il souffre forcément un peu de ces remarques désobligeantes, il a déjà connu pire, Martin. Ça n’est pas la première fois qu’on lui lance des piques désagréables. « Merci du tuyau, j’vais y réfléchir » il s’y pointerait peut-être, en fonction de qui ira. Il ne veut pas se retrouver empêtré dans une situation gênante, qui le plongerait dans un désarroi certain. « Tu vas y aller, toi ? » sans doute que si elle va au pub, il aurait déjà un peu plus de courage pour y aller aussi, avec au moins un visage connu, il se sentirait un peu plus fort. Mais Robyn a parlé de gars qui souhaitent y aller, elle ne s’est pas inclus dans le lot, alors il ne sait pas, Martin. Il préfère poser la question. Non pas qu’il veuille la suivre comme son ombre au risque de l’agacer, il n’est pas comme ça – du moins, il ne le croit pas – simplement, c’est plus facile de s’intégrer quelque part quand on connaît déjà un ou deux visages.
w/
robyn perçoit cette nécessité de parler chez barlow et c'est une bonne chose – elle n'aurait pas besoin de se creuser la tête pour trouver un sujet de conversation lors de leurs quelques minutes de pause, ou même en général, si elle tombait à court d'idées. pas par désintérêt de la personne en face d'elle, mais faut avouer que ce n'est pas toujours évident de trouver quoi d'intéressant à raconter sans poser des questions trop personnelles, pas vrai ? parce qu'elle n'aimait pas parler d'elle et partait du principe, parfois à tort, que les autres n'aimaient pas non plus. et bon, elle n'allait pas causer de la météo. finalement, barlow amène l'intégration sur le tapis pendant qu'elle tire une nouvelle fois sur sa clope, ses rides du lion se froncent. « euh, ça dépend de ce que tu entends par s'intégrer. » incertaine sur le coup. sûrement moins intégrée qu'après une semaine de bizutage dans certaines universités. « j’dis bonjour, on m’dit bonjour. je m’entends avec certains et d’autres non, mais bon c'est partout pareil. » rien de nouveau sous le soleil, ils ne peuvent pas tous et toutes se supporter. après tout robyn ne cherche pas à se faire apprécier, elle ne demande pas grand chose : seulement du respect et de la reconnaissance, lorsqu'elle fait du bon boulot. elle n'est pas sûre de répondre correctement à sa question, est sans doute un minimum intégrée sinon on l'aurait déjà foutue dehors après un an de bons et plutôt loyaux services. « j’évite de trop mélanger vie pro et vie privée. mais si tu le fais, ça te permettra de t'intégrer plus vite. 'fin j'imagine. » libre à lui de faire comme il l'entend mais les pyjamas party entre collègues très peu pour elle. les voit déjà assez à longueur de journée, reste sur des relations purement professionnelles. puis il suffirait qu'une embrouille éclate dans le perso pour que le pro en pâtisse. no thanks. « pas vraiment. » ni plus ni moins comme réponse, san francisco ne lui manque pas tellement malgré les souvenirs et bagages émotionnels qu'elle se trimballe. le changement d'air appréciable après ces nombreuses années de sédentarité, dans la même ville, dans le même état. certes le paysage n'est pas nouveau pour elle mais personne ne la connaît ici et elle ne connaît personne. ça lui plaît de cette façon, recommencer à zéro. barlow au contraire, est un gars du coin et elle sourit à ses paroles. robyn a vraiment l'impression de ne rencontrer que des natifs d'oceanside, ou des résidents qui y sont depuis de nombreuses années. c'est bon signe, elle n'a pas déménagé dans une ville trop pourrave. nouvelle gorgée de café, puis elle essuie ses lèvres vite fait d'un revers de main. « voir du pays ne te tente pas pour le moment ? » pour le moment, comme si ça coulait de source qu'il ait envie de quitter la ville un beau jour. elle avait été habituée depuis toute petite à bouger à droite et à gauche, pas forcément pour les bonnes raisons. elle se demande encore parfois, comment elle avait tenu autant d'années à san francisco. qui sait combien de temps elle resterait sur oceanside ; six mois, un ou trois ans de plus ? rien pour la retenir. et peut-être que du côté de barlow, les choses étaient différentes.
la prochaine soirée abordée, kaplan ne peut s'empêcher de rire à la mention de morris. « nan pas le genre de morris, il a une femme et trois gosses de ce que j’sais. » encore heureux qu'il ait autre chose à foutre de son temps libre – et que sa famille soit une priorité. comme si les autres, sans partenaire et sans gamins dans les pattes n'avaient pas rien à faire de plus intéressant. robyn avait justement prévu de sortir ce soir et surtout de découcher. « j’ai pas prévu d'y aller. » autant être honnête mais pourtant elle se dit qu'elle pourrait faire un petit effort. n'aimerait pas à nouveau se retrouver à la place de barlow, l'agneau jeté dans la fosse aux lions. « allez, si t'y vas je viens. » faisant exprès de le laisser décider pour eux deux, en fin de compte, la décision entre ses mains. robyn s'arrête au filtre de sa clope et l'écrabouille dans le cendrier à leur disposition. le liquide restant de sa tasse rejoint les mauvaises herbes longeant le bâtiment. « on rentre ? » plus sur la rhétorique car il serait temps de se remettre au boulot.
Il parle, Martin. Souvent trop. Parfois mal. Il se souvient encore de son père qui lui disait quand il était môme qu’il était trop bavard, qu’il posait trop de questions, il le disait en riant mais Martin restait perplexe. Etait-ce un compliment ? Un reproche enrobé de sympathie ? Alors, il a appris à se la boucler quand il fallait. A rester silencieux, pour être un peu plus discret. Se disant qu’ainsi, on l’aimerait peut-être mieux. Mais aujourd’hui, face à Robyn, il oublie tous ses beaux principes et il ouvre la bouche, cherche à en apprendre plus sur elle et ne pouvant se contenter des maigres informations qu’elle lui donne. Elle doit être comme ça, Robyn.
Tellement différente de lui.
Il veut savoir combien de temps elle a mis pour s’intégrer et l’ombre d’un sourire traverse son visage quand elle répond. Touché. « Ouais, j’imagine » qu’il confirme, songeur. Il tire sur sa cigarette, réfléchit à ses paroles. Inutile de vouloir se faire apprécier de tout le monde pour s’intégrer. Avec seulement quelques alliés, on s’en sortira déjà bien. « Je crois pas avoir envie de mélanger le perso et le pro, c’était pas forcément mon intention. Je sais que c'est dangereux. Simplement… trouver ma place ici, au milieu des autres » il aime sa famille, même si son nom lui colle un peu trop à la peau. Cette réputation qu’il se traîne, non pas lui spécifiquement, mas ce nom. Une réputation dont il cherche à s’émanciper, tant bien que mal.
Il voudrait lui poser d’autres questions, mais il a peur qu’elle se braque. Qu’elle lui assène qu’il est trop curieux, comme souvent. Alors il continue de fumer, répond plutôt aux siennes pour le moment. Comme elle lui a dit, elle évite de tout mélanger, elle ne s’étendra probablement pas sur sa vie. « Oh, j’suis déjà parti en vacances » il laisse échapper un léger rire. Ce n’est pas ce qu’elle veut dire, pas vraiment, et il le sait. « Mais non. Je suis bien, ici. Et j’rêvais de devenir flic depuis tellement longtemps… aucune raison de tout plaquer maintenant » pour aller où ? Il est heureux dans cette ville. Et on sait ce qu’on perd, jamais ce qu’on retrouve. « C’est bon à savoir » sourit-il quand elle lui assure que c’est pas le genre de Morris de rejoindre leurs petites expéditions. Bon courage à ses gosses, manque-t-il de rajouter, mais il évite quand même – pas son genre, et puis, il ne se montre pas sarcastique avec tout le monde. « T’es pas obligée de te sacrifier pour moi, je te rassure. Je m’en sortirai tout seul » promet-il alors qu’elle semble vouloir le laisser décider. Bon, ça, c’est moins sûr, il est un grand garçon, mais perdu dans l’arène, il fera certainement moins le fier. Il a besoin d’alliés et il le sait, Martin, mais pas question de demander de la charité. Il a sa fierté, quand même. Et Robyn n’a sûrement pas envie non plus de le voir traîner dans ses pattes. La pause s'achève, alors que les deux terminent leur cigarette, et la jeune femme lui propose de rentrer. Il hoche la tête et la suit à l’intérieur. « T’as beaucoup de boulot, en ce moment ? » ne peut-il s’empêcher de demander. Mais c’est le travail, il se dit qu’elle sera peut-être moins réticente à en parler, parce qu’après tout, ils sont devenus collègues désormais. Et en discutant, le temps passera probablement plus vite.
w/ @martin barlow
barlow ne compte pas mélanger vie personnelle et vie professionnelle, ils sont au moins d'accord sur ce point. plus d'inconvénients que d'avantages d'après robyn, sont là pour bosser et ne pas s’éparpiller avec le reste. ne pas mélanger travail et maison ; et elle est là, la douce hypocrisie. ne pas vouloir entremêler les deux aspects et pourtant être la première à ramener des dossiers entre ses quatre murs. just in case qu'elle aurait l'idée du siècle, une illumination sur une piste, un possible dénouement sur l'enquête en cours tout en préparant le dîner. la cervelle jamais vraiment sur off, qu'elle se perde sur des vidéos débiles sur youtube ou dans un bouquin. ça remue toujours en arrière-plan, comme une application jamais totalement éteinte dans un vieux portable. because you know, just in case. « c'est un bon début. » revenue dans le moment présent grâce au jeune officier. Il prend des vacances qu’il lui dit, un bon début de voir ailleurs, de changer d’air. faudrait peut-être qu’elle en prenne des vacances, elle. toujours à attendre au dernier moment, accumuler des heures supplémentaires jusqu’à qu’elle se retrouve avec deux mois de congés à prendre – pas à la suite évidemment. c’est qu’elle ne veut pas se sentir inutile chez elle à rien faire, alors qu’elle pourrait aider à la station. puis ce n’est pas comme si elle souhaitait se tirer aux bahamas (money money money) ou au montana pour une semaine au calme entourée de cowboys, ours grizzly et leur système de taxes à la con, dépendant de la couleur de peau. les nouvelles paroles de barlow la font sourire, les lèvres contre sa tasse de café. le verbe sacrifier à peine exagéré, il n’est pas question de se sacrifier pour lui – en clair, elle ne se sacrifierait pour personne. « alors primo j'me sacrifie pas. secundo, tu m'diras si tu y vas. » clin d'oeil de sa part. à lui de voir, de choisir, de prendre une décision. robyn sait pertinemment que certaines personnes ne sont pas à l’aise à prendre des initiatives, persuadée que barlow fait partie de cette catégorie. mais hey, elle lui donne un coup de pouce. l'invite à sortir de sa zone de confort en décidant pour lui et pour elle, au final. la plus minime des décisions qu'il aura à choisir dans sa prochaine carrière de flic.
leur pause se termine au rythme de leurs cigarettes, robyn passe devant et rebrousse chemin. retrouve le bruit de fond constant dans le bâtiment ; des bavardages, des coups de fil, ça se déplace vite à droite et à gauche. quel joyeux bordel. elle pose ou plutôt balance son blazer sur son siège d'une main. la question de barlow dans son dos. sa tasse vide retrouve le plat du bureau, qu'elle aligne parfaitement avec sa boîte à crayons. ça lui plaît comme ça. la kaplan a vraisemblablement développé quelques troubles obsessionnels au fil des années, légers, elle dira juste qu'elle est ordonnée. elle se retourne et fait quelques pas vers barlow. « ouais, j'ai une gosse disparue qui a été retrouvée morte hier. » elle ne passe pas par quatre chemins, pourquoi le ferait-elle avec un autre policier ? elle a presque la sensation d'entendre encore le chant des sauterelles dans les hautes herbes du terrain vague où le corps avait été retrouvé. « j'ai rendez-vous avec la mère à la morgue tout à l'heure. » à deux doigts de lever ses pouces, en mode yeah it’s fucking amazing. c’était sans doute ce qu’elle détestait le plus ; annoncer la mort de quelqu’un et être présente lors de la découverte et l’identification du corps avec la famille. elle ne savait jamais comment réagir face à l’autre, c'était délicat, surtout face à un effondrement émotionnel. faire preuve de compassion du mieux qu'elle pouvait, s'improviser même psychologue en carton parfois, alors qu'elle ne pourrait jamais ressentir ce trou béant naissant dans la poitrine qu'avaient les proches de la victime. « toi ? » lui retourne-t-elle la question. l'avait sûrement quelque chose de plus fun à gérer. fun ou emmerdant, au choix.
Elle lui assure qu’elle ne se sacrifie pas, Robyn, et Martin se doute qu’elle lui dit la vérité. Elle n’a pas l’air d’être du genre à mentir ou à faire quelque chose contre son gré, surtout pas pour un jeune flic idéaliste qu’elle vient tout juste de rencontrer et qui n’a pas non plus envie qu’on le tienne par la main, même s’il en aurait sûrement un peu besoin. Faire son entrée dans le vrai monde, quand on s’appelle Barlow, ça a quelque chose d’assez effrayant. Le monde des flics, en tout cas. Il sourit et hoche doucement la tête, oui, il compte bien lui dire s’il va à cette fameuse soirée ou pas, et intérieurement il a très envie qu’elle l’accompagne. Au moins un visage connu, ça ne peut pas lui faire de mal, même s’il se rassure en se disant qu’il est sociable, il l’a toujours plus ou moins été, il devrait réussir à s’en sortir seul. Ça ne serait pas la première fois. Et puis leur pause se termine, peut-être un peu trop vite au goût de Martin qui aurait bien aimé en apprendre un peu plus sur l’intrigante jeune femme, mais ils n’ont pas le choix – ils ne sont pas là pour se tourner les pouces et faire des pauses trop longues, ils sont là pour bosser, et personne plus que Martin n’a envie de briller, de faire son travail correctement. De faire quelque chose de bien, son mantra depuis qu’il est môme et auquel il se raccroche quand le monde autour de lui part en vrille, un peu trop souvent à son goût. Ou quand sa famille s’étiole progressivement, à commencer par leurs parents qui n’en ont jamais vraiment été.
A regret, mais docilement, il suit Robyn à l’intérieur. Il y a du monde, le poste de police grouille comme une fourmilière et Martin se sentirait presque gêné, lui, de ne pas faire grand-chose – mais il sait que ça ne durera pas, bien sûr. Ça ne dure jamais, il est très occupé depuis son arrivée. Et il adore ça, ne pas voir le temps passer, rentrer chez lui avec le sentiment du devoir accompli. Il frissonne quand Robyn lui répond, sa question innocente pour savoir si elle n’a pas trop de boulot en ce moment et il ne s’attend pas à ces mots, et pourtant, c’est la réalité de leur job. La réalité qu’il connaîtra peut-être un jour, lui aussi – pas pressé de le découvrir, cela dit. « Oh… » il se sent con, un peu. Robyn a déjà dû voir passer un sacré paquet d’affaires sordides. « Bon courage » c’est tout ce qu’il trouve à répondre, Martin, elle n’a pas besoin de plus que de savoir qu’il compatit vraiment. Le pire dans une affaire, l’annonce aux proches. Il sait, Martin, et il appréhende un peu. « Rien d’aussi compliqué, la routine, les patrouilles… » pas de grosse affaire pour le moment, il est encore trop novice pour ça, il se contente donc de se laisser porter, et c’est bien suffisant. Il est à la fois impatient de vivre de folles aventures, de sentir l’adrénaline lui parcourir les veines, et pas pressé de vivre des trucs comme Robyn. Un sacré paradoxe ! Il lui adresse un signe de la tête et s’apprête à décamper pour la laisser travailler, avant de se reprendre « Merci, au fait. Et je te tiens au courant, pour la soirée » ils se recroiseront bien assez tôt, il en a la certitude.