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1 - Je suis née à Khon Kaen, ville située au Nord-Est de la Thaïlande entre Vientiane et Bangkok. Possédant la plus grande université de la région de l'Isan, elle brasse naturellement une population jeune, voyant au fil des années de nouveaux commerces et services émergés. Ville aux forts ancrages culturels et aux paysages magnifiques, elle reste jusqu'à ce jour malgré sa position de centre administratif, éducatif et commercial de l'Isan, l'une des villes de la région ayant le plus faible pourcentage de fréquentations touristiques étrangères. Reconnue pour la qualité de sa soie, sa fabrication de produits du textile de qualité est prônée dans tout le pays. Aussi n’est-il pas étonnant que les premiers acteurs de l'embauche sur khon kaen soient les industriels du textile. C'est dans cette logique que mon père trouva un emploi d'ouvrier dans l'une des manufactures, tandis que ma mère vendait des plats de rue avec les moyens du bord. Ni dans la moyenne, ni pauvre, mes parents arrivaient à équilibrer tant bien que mal les fonds familiaux jusqu'à mes six ans.

Quant à moi enfant chérie, je connue une première partie d'enfance sans aucun nuage, l'amour étant le maitre mot au sein de notre foyer. Présentant une singularité qui ne trouverait sens et dénominatif que des années plus tard, j'avais interdiction d'en parler pour ma propre tranquillité. En effet, difficile d'expliquer à mes camarades de classes ou amis de quartier que chaque note de musique et certains sons se matérialisaient devant mes yeux en des volutes colorées aux tons nuancés. Folklores et légendes bien ancrés, je risquais d'être un sujet de méfiance, de moqueries, au pire d’être traitée en paria. Prenez par exemple les ladyboy, célèbres dans le pays et à l’international, il n’en reste pas moins que dans notre folklore la raison de leur troisième genre est dû à un mauvais karma sexuel dans leur vie antérieure. Et bien qu’ils soient reconnus par tous et considérés comme un troisième genre, certains métiers dit masculin et à responsabilités leurs sont fermés.

2 - La période la plus pénible de nos vies s'étala sur trois années, à savoir de mes six ans à mes neuf / dix ans. Pour la première fois, ma mère accepta que je l’accompagne et l’aide à la vente de plat étant assez grande pour le faire sans qu’elle ne craigne pour ma sécurité. Heureuse, je passais une journée inoubliable sous le regard amusé de ma mère de voir l'effort que je m'étais à l'aider. Le même jour, nous portâmes son dîner à mon père, la cadence au travail ayant triplé ces dernières semaines. Heureuse de découvrir son lieu de travail, je ne masquais pas ma joie discutant avec deux de ses collègues en attendant ma mère. Naïve, je laissais échapper que l’endroit baignait de couleurs bleues, vertes et jaunes sous la cadence des machines. Bien évidemment, je fus subtilement interrogée et répondis avec candeur. Quatre jours plus tard, ma mère perdit non seulement sa place de vente, mais également son droit à la vente de plats de rue. Quant à mon père, il se retrouva sans travail suite à la fermeture de la manufacture qui l’employait. La double déveine de mes parents passa pour une punition de nos ancêtres, les voisins incitant mon père à faire des offrandes au Wat Nong Wang, temple bouddhiste le plus célèbre de la ville. Et de reconstruire son chao thi (maison pour les esprits protecteurs familiaux) avec des matériaux plus nobles, celui-ci l’ayant construit avec les moyens du bord faute de moyens. Seulement lorsque deux de mes amis à qui je m’étais confiée dans le plus grand secret, confirmèrent à leurs pères respectifs que je voyais des couleurs à l’entente des sons, la colère et l’injustice ressentie vis-à-vis de la fermeture de la manufacture retomba sur nous.

Ma visite couplée de ma « malédiction » et de la déveine de mes parents achevèrent de convaincre le plus grand nombre que j’étais la responsable de la perte de tant d’emplois.
À l’école, je fus pris à part par mes camarades qui me rendirent responsable du malheur de leurs pères. Folle, esprit mauvais, Phi Porp (sorcièr(e) possédant un corps) je fus traité de tous les noms, les mots ne tardant pas à laisser place aux coups. Dans le quartier, on nous faisait bien sentir que nous n’étions plus les bienvenues et les dégradations matérielles à notre encontre se multipliaient. Je ne tardais pas à croire tout ce qui se disait sur moi, entrainant un rejet et un dérèglement de ma chromesthésie. Tout n’était que couleurs vives agressant mes rétines. Les magnifiques volutes avaient laissé place à des formes distordues aux couleurs mélangées qui sous mon imagination se muaient en des formes horrifiques. Les bruits m’étaient de plus en plus insupportables, les crises de pleures et d’angoisses se succédant à rythme soutenu, venant appuyés l’idée collective que j’étais possédée et porteuse de malédictions. Les tensions étaient telles que mon père pour notre sécurité nous fit quitter de nuit notre quartier et nous rendre à Nong Khai, autre ville de la province de l’Isan ou son frère résidait.

3. Située sur la rive sud du Mékong, Nong Khai est frontalière avec le Laos, accessible par le pont de l’amitié lao-thaïlandaise enjambant le Mékong. Ville entouré d'un paysage verdoyant et sauvage, je fus plus que soulagée que le frère de mon père vive en retrait de la ville, privilégiant comme quelques-uns la vie en nature. Là, on me fit rencontrer un Pra-Pra, moine équivalent aux moines pèlerins chrétiens qui me prit sous son aile. Après m’avoir fait résonner les bols sacré, il décréta que je n’étais en rien posséder, mais seulement traumatisée par ce que nous avions vécu, rejetant ainsi mon don. Cela prit deux ans pour que je puisse de nouveau être une petite fille pleine de joie. Durant ces deux ans, le Pra-Pra contourna mon blocage en me faisant associer les couleurs à des sons et non les sons aux couleurs. Pour cela, il se servit du khim, (instrument traditionnel en bois avec de cordes en laitons, se jouant à l’aide de deux baguettes de bambous souples), seule source de sonorité qui n’éveillait pas en moi angoisse et crainte. Les exercices étaient simples… Je devais tirer un son du khim et dessiner la couleur associée. Au bout d'une année de mémorisation, je pouvais yeux clos reproduire la bonne couleur associée à sa sonorité. Puis je me mis la deuxième année à chantonner les notes liées aux couleurs utilisées sur mes dessins. Peu à peu, ma chromesthésie s'inversa et je pus accompagner plus souvent les parents en ville. Vint le moment où je pus rejoindre l'école sans peur de faire des crises. Et enfin le moment où nous sûmes que j'étais tirée d'affaire.

De ces événements traumatisants ressortirent trois choses positives. Mes parents étaient plus que jamais soudés, des liens indéfectibles s'étaient noués avec la famille de mon oncle. Liens qui allaient nous offriraient des opportunités de vie aux USA. Et j'avais découvert un des grands amours de ma vie : la peinture.

Les éléments suivants seront énoncés en points de vie....

II) Adolescence et Vie estudiantine (13 à 22 ans) ~ Krung Thep (Bangkok), province de Bangkok, Thaïlande.

* École primaire et collège à Nong Khai.

* Parents retrouvant une activité professionnelle. Père travaillant dans une manufacture de poterie. Mère retrouvant la joie de cuisiner dans une petite paillote.

* Découverte de l'art de la sculpture par un artisan travaillant à la manufacture de poterie. J'y passerai le plus clair de mon temps, devant la petite mascotte des lieux. C'est là que j'apprendrai les bases de la sculpture en argile et terre cuite, de la cuisson et de la décoration post-cuisson.  

* 18 ans : Emménagement à l'université d'art Silpakorn à Bangkok. Université des beaux-arts, j'y perfectionnerai mes acquis. Si pour beaucoup l'université est le lieu de toutes les expériences et découvertes, il n'en fut rien pour moi. Je me concentrais sur mes études et la validation de mes années. Mes parents trimant pour m'envoyer de quoi subvenir en partie à mes besoins pour le reste, je devais obtenir le reste de l'argent par mes propres moyens.

* Petits emplois estudiantins, validation de cinq ans d'études et retour à Nong Khan, afin d'aider ma mère à tenir le petit restaurant près du fleuve résultant de l'association entre mes parents et la famille de mon oncle. Celui-ci avait réussi par l'intermédiaire d'amis installés à Los Angeles, à obtenir un visa de travail. Le projet commun était apparemment que mon oncle s'installe et ouvre un commerce avec l'aide d'un usurier de la communauté. Et qu'il permette à son fils de le rejoindre dans un premier temps, celui-ci parlant couramment l'anglais, puis que sa femme, ainsi que mes parents et moi, viennent le rejoindre sous forme de visa de travail.

Si l'idée me parut foireuse, la possibilité de rejoindre la Californie était loin de me déplaire, ayant appris comme mon cousin parlé couramment l'anglais.


III) Immigration et Vie de femme (23 à 29 ans) ~ Californie, USA

* Départ de mon cousin et premiers problèmes à faire venir le reste de la famille. L'argent manquait et les rêves de mon oncle s'étaient confrontés à la dure réalité. Le restaurant près du fleuve fut vendu, puis se fut au tour de la maison de mon oncle, du peu de bijoux de valeur, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien. Sentant que jamais nous ne parviendront par le biais de mon oncle à fouler le sol américain, mon père fit appel aux réseaux de ses connaissances et amis de la manufacture de poterie. Et ce fut par ces procédés et quelques cadeaux monétaires que nous purent obtenir un visa de travail pour des commerces de Thai Town.

* Thai Town, quartier de la communauté thaïlandaise de Los Angeles, centré autour de Hollywood Boulevard. Restaurants, magasins et autres commerces thaïlandais y côtoient ceux de la communauté arménienne ayant leur propre partie de quartier nommé Little Armenia. Ce que j'ignorai, mais qui n'avait pas échappé à mon oncle et mon père, était que Los Angeles possède la plus grande population de Thaïlandais en dehors de la Thaïlande après Sydney en Australie. Avec un bon réseau et beaucoup d'huile de coude, il était possible de se faire un trou, du moins sur papier, car dans les faits...

* 23 à 25 ans :  Les galères s'accumulèrent, mon oncle ayant emprunté à des taux irréalistes. Travaillant en tant que serveuse dans un des restaurants de son usurier, je serai repérée par un photographe qui me proposera de me mettre en contact avec une marque de basket cherchant des modèles photo, en échange d'un petit pourcentage pris sur ma paie. Accepter fut la meilleure de chose, cette opportunité en entrainant d'autres avec différent montants de cachets. Je remettais presque tout dans la cagnotte commune censée permettre de rembourser l'emprunt de mon oncle.

* 26 ans : Mon cousin et moi jouons sur un coup de tête à une loterie et gagnons cent vingt mille dollars. De quoi rembourser l'usurier avec les intérêts, acheter un petit restaurant, payer les licences nécessaires à son exploitation et faire un ravalement de façade. Pour mon cousin et moi c'était une évidence de sortir nos parents de la galère, mais ne nous mentons pas, c'était également une porte de sortie afin de pouvoir enfin vivre nos vies et tenter de réaliser nos rêves respectifs.

27 - 28 ans: J'ai obtenu entre temps ma naturalisation après cinq années de combat administratif. Mes contrats de shooting me rapportent plus, me permettant de mettre un peu d'argent sur le côté. Je m'investis enfin dans mon art, prends le temps de visiter les musées, expos et autres lieux d'art. Je me permets également de faire des rencontres, de sortir m'amuser, d'expérimenter et de me découvrir. Choses que j'aurai dû faire durant mes années universitaires.  Après tout à chacun son rythme...

29 ans:  Je prends mon indépendance. Après avoir de mes 25 à mes 29 ans, esquivé les intentions de mariage de mes parents, je juge qu'il est temps pour moi de déménager et trouver un nid rien qu'à moi. La chance est avec moi, lorsqu'après deux mois de recherche, je tombe sur une pépite au loyer pas trop élevé. C'est bien décidé à faire décoller ma carrière d’artiste que je pose mes valises au #71, south oceanside, en dessous d'une colloc animée et chaleureuse.