Pet photography, isn't easy - Jude

tw: mention de maltraitance animale, évocation de dépression

  Ça peut paraître étonnant, mais le bénévolat au refuge fait pourtant bel et bien partie des devoirs thérapeutiques de Jude ; le contact des animaux l’a toujours apaisé, pour une raison qu’il ignore et qui confine parfois au mystique. Tant pis si leurs histoires tragiques lui brisent le cœur, tant pis s’il renifle jusque dans son appartement désert lorsque l’un de leurs protégés perd la vie sur la table vétérinaire ; avoir l’impression de faire un peu pour eux, c’est faire énormément pour lui-même. Alors, après trois ans de thérapie cognitivo-comportementale pour traiter la dépression qui l’a assommé sans prévenir – ou plutôt, sans qu’il ait pu la voir venir –, il est temps pour lui de se jeter dans le bain des activités qui lui font du bien. Ce qui comprend, eh bien, augmenter son temps de bénévolat au refuge. Ainsi, cela fait désormais quelques semaines qu’il passe tous les week-ends – au moins une fois par semaine – pour donner un coup de main. D’un naturel réservé, l’aîné Pascoe éprouve des difficultés à se mêler avec aisance aux autres bénévoles, mais son contact particulièrement naturel avec les animaux semble suffisamment plaire pour que personne n’émette la moindre objection à sa présence ténue.
  Pour quiconque connaît l’éditeur, l’observer se perdre en gazouillements gagas et en regards débordants d’amour a de quoi surprendre ! Et c’est sur ce spectacle qu’Amelia Scott tombe lorsqu’elle débarque dans la pièce transformée en studio photo improvisé. Assis en tailleur sur le sol, Jude est occupé à enfouir ses longs doigts délicats dans la fourrure d’un labri visiblement ravi de se voir couvrir de compliments et d’affection. Lorsqu’il remarque la présence de son acolyte toute désignée, il manque de sursauter et rosit d’embarras. “Oh, euh, bonjour” répond-il maladroitement, avant de froncer les sourcils à l’écoute de son nom. À présent que son attention est focalisée sur elle, son visage lui rappelle effectivement quelqu’un. Conclusion à laquelle semble parvenir Amelia, puisqu’elle l’émet à haute voix. Et là, ça lui revient : Dazzle & Delights ! “Ah, mais oui ! Vous travaillez pour l’agence événementielle, non ? Je suis Jude Pascoe, l’éditeur de chez Secretarybird Publishing avec qui vous avez échangé pour un salon.” Ça lui fait bizarre, de croiser une connaissance dans le coin. Et, en même temps, ça a quelque chose d’un peu réconfortant, car la dénommée Amelia est plutôt agréable.
  Revenant à leurs moutons – ou plutôt, en l’occurrence, à leur labri –, Jude désigne gentiment le chien qu’il quitte en se relevant précautionneusement. “Je vous présente Gribouille, notre première star du jour. Elle ne devrait pas être trop difficile à immortaliser, elle est très tranquille.” Ça ne sera sans doute pas la même chanson avec les autres animaux à venir, car dans le lot, il y a des lapins – animaux craintifs et nerveux par excellence. Il rejoint donc Amelia pour se tenir du côté photographe, avisant avec un certain plaisir que la chienne se tient sagement assise en les dévisageant. “Parfaite, non ?”

tw: ràs

  La gêne se dissipe heureusement rapidement, une fois que Jude a remis un nom sur ce visage qui titillait ses neurones. À son tour, Amelia paraît avoir une illumination et s’exclame que ça lui revient – le contraire aurait été plutôt vexant. “J’en suis bien content également” réplique-t-il avec un petit sourire sage, plutôt heureux de la voir se réjouir spontanément de ces retrouvailles improbables. Lui qui appréhendait un peu ce duo, le voilà plus détendu et amical ; ce qui n’était pas franchement gagné, connaissant la réserve de l’animal. Un bon point pour la jeune femme qui lui fait face ; qui enchaîne presque immédiatement en le complimentant sur son attitude avec la charmante Gribouille. Inévitablement, ses pommettes se font à nouveau gagner par une pointe de rose et il évacue le sujet d’un rire embarrassé, détournant les yeux de l’appareil photo que sa partenaire règle avec attention. “Oh, c’est surtout elle qui est adorable, moi, je ne fais rien de bien spécifique !” L’éditeur prend appui sur ses genoux – qui craquent au passage dans une grimace – pour se redresser et laisser la sage chienne seule devant la lentille.
  Alors qu’il la rejoint à pas tranquilles, les mains fourrées dans les poches de son jean décontracté pour les occuper, Jude se laisse surprendre par sa question, à laquelle il acquiesce. “Oui, vous… tu” se corrige-t-il aussitôt avec un sourire désolé, “peux me tutoyer.” L’habitude un brin guindée de l’éditeur revient au galop dès qu’il s’agit de rencontrer de nouvelles personnes dans un contexte qui n’est pas strictement personnel ; mais Amelia paraît suffisamment à l’aise pour infuser un peu de son comportement détendu dans celui de son coéquipier. Silencieusement, il la laisse mitrailler le canidé parfaitement photogénique en se faisant la réflexion qu’il n’a pas hâte de passer au modèle suivant ; un berger australien un chouïa trop énergique, qui va sans doute leur donner du fil à retordre pour obtenir des photos nettes. Perdu dans ses pensées, il met une seconde de trop à s’apercevoir que sa partenaire annonce la fin de la séance pour Gribouille avec enthousiasme, non sans ajouter avec malice qu’elle et Jude feraient un bon duo. L’aîné Pascoe hausse les épaules avec une moue tardive. “Je ne pense pas qu’elle serait heureuse en appartement.” Bien sûr, l’idée est séduisante… mais s’il veut mettre en pratique son désir d’adopter un animal, surtout un chien, vendre son appartement pour chercher un pavillon serait un premier pas. Et puis, ça fait déjà quelque temps que ça lui trotte dans la tête : son propre jardin, surtout, et un compagnon à poils pour piétiner ses fleurs soigneusement entretenues. Plus tard, peut-être…, se répète-t-il, sans s’apercevoir qu’il ne fait que repousser le moment de sauter le pas – comme bien d’autres choses dans sa vie. “Je vais chercher la star suivante” annonce-t-il en disparaissant dans les couloirs pour filer vers le chenil.
  Il revient avec Bip-Bip, le fameux berger australien qui porte très bien son nom. Et, effectivement, dès qu’il détache la laisse pour le laisser gambader dans la pièce transformée en studio photo, le filou court vers Amelia pour lui sauter dessus en aboyant et en remuant joyeusement de la queue. Dans un soupir un peu amusé, Jude pose la laisse dans un coin et s’avance vers le chien excité. “Allez mon vieux, va falloir se calmer un peu… Tiens.” S’accroupissant devant l’appareil, il tend une friandise pour l’appâter – se faisant récompenser d’un coup de croc trop enthousiaste pour gober la gâterie (et ses doigts avec). “Aïe ! Eh, dis donc, fais attention un peu” le gronde-t-il gentiment, mais c’est peine perdue, car le jeune chien fou a déjà tout avalé et s’échine désormais à lui lécher la figure malgré ses mains dressées en faible bouclier. “Bip-Bip, stop ! Hey !” Et d’un bon joyeux, le berger australien lui saute dessus pour l’étaler de tout son long au sol. Open bar de léchouilles ! Bon courage avec celui-là…

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  L’enthousiasme d’Amelia est rafraîchissant, et sa douceur spontanée apaise un peu la nervosité naturelle de l’éditeur. Malgré tout, le sujet de l’adoption le ramène à des considérations qu’il préfère tenir éloignées pour le moment ; ce bond hors de sa zone de confort le met mal à l’aise – il n’y est pas encore préparé. À moins qu’il se trouve (encore) des excuses pour ne pas prendre son courage à deux mains. Après tout, la lâcheté n’est-elle pas sa spécialité ? “Ouvert ?” répète-t-il prudemment, faisant un peu semblant de ne pas voir où elle le mène. Adopter une autre espèce domestique serait une solution, bien sûr, mais cette possibilité fâche l’anxiété qui lui noue l’estomac. Alors, il ne tarde pas à s’éclipser pour ramener le prochain top model poilu du jour, histoire de distraire l’angoisse créée par cette conversation. Seulement, il ne s’était pas attendu à ce que Bip-Bip soit aussi enthousiaste !
  Sa pauvre partenaire du jour en sursaute de surprise, déstabilisée par le contraste entre les deux toutous. La tornade australienne se focalise sur elle, bientôt détournée par les friandises avec lesquelles le quadragénaire l’appâte ; seulement, en récupérant l’attention explosive du chien, c’est Jude qui se retrouve emporté dans le tourbillon de son énergie. Un coup de croc maladroit plus tard et un cri mal étouffé lorsqu’il se retrouve au sol, assailli par pratiquement trente kilos de muscles et de poils, c’est Amelia qui s’approche précipitamment pour s’assurer que tout va bien. “Hmpf, oui, oui…” grogne-t-il en se redressant péniblement lorsque sa coéquipière attire Bip-Bip avec un os pour le libérer de sa présence étouffante. Elle parvient à lui remettre sa laisse, lâchant dans un soupir que la séance va être sportive. “À qui le dis-tu ! Mais ça va, ne t’en fais pas” la rassure-t-il une fois debout, lui montrant une simple marque de crocs enthousiastes sur sa main. “Je pense que tu as bien fait, pour l’os. Mastiquer va l’occuper et le canaliser.” Et en effet, Bip-Bip semble absorbé par son os, tant et si bien qu’il suffit à Jude de tirer sur la moelle pour l’attirer dans le champ de la caméra, où il l’installe en position couchée avec son précieux butin qu’il continue de râcler bruyamment. Un sourire fend le visage échevelé de l’homme, qui relève ensuite les yeux vers Amelia. “Je crois que c’est le moment de le mitrailler, on n’aura pas mieux.”