tw : /Aujourd’hui, le soleil brille.
Les températures seront douces, le ciel sera bleu.
Elle l’a vu à la météo, Yeliz, alors c’est forcément vrai. De toute manière, c’est
souvent vrai quand on se trouve en Californie – et rien que pour cette raison, elle doute d’avoir un jour envie de déménager. Même pour le boulot, même si elle pouvait avoir une opportunité professionnelle incroyable qui ne se produirait qu’une seule fois dans sa vie. Même si on lui proposait d’aller bosser à New York, par exemple, pour le MoMA ou le Met, par exemple. Ce serait pourtant son rêve – qui ne rêverait pas de travailler pour de telles institutions ? Oui, mais indéniablement, cela aurait des conséquences. Et elle adore ce qu’elle fait, Yeliz, elle déborde d’ambition – mais elle sait aussi ce à quoi elle ne peut pas renoncer. Et pourtant, elle aime à se dire
sans attaches, la brune. Mais, non : elle n’arriverait pas à quitter la côte californienne, pas plus qu’elle n’arriverait à quitter ses parents, son frère, ses amis. Sa vie, elle est ici. Elle préfère passer un certain temps en déplacement, en gardant ici une sorte de
pied-à-terre (toutefois logement principal permanent). Elle préfère avoir la nature à portée de main. Mieux : la
mer, parce qu’elle ne se lasse pas de ses vagues, du bruit de ces dernières contre les rochers, et des nombreuses baignades du printemps jusqu’au début de l’automne. Cette saison-là va bientôt commencer, d’ailleurs, et elle a hâte, Yeliz.
Bref – malgré son détachement, son insouciance, elle a compris récemment qu’elle ne pourrait jamais bouger d’Oceanside un jour.
C’est insupportable, tout de même, ces réflexions.
C’est insupportable, tout à coup, de se poser tant de questions.
Ce n’était pas son genre, avant. Ce n’est même pas son genre
tout court,
au présent. Mais peut-être que Yeliz évolue. Peut-être que Yeliz grandit. C’est peut-être la faute aux fameux
trente ans qui arriveront d’ici la fin de l’année. Elle avoue, la brune : elle cogite. Un peu. Elle qui semble se foutre de tout, ne le fait plus vraiment, tout à coup. Cela la travaille, depuis quelques temps. Pas vraiment sa carrière, son souhait de ne pas bouger d’ici – non, cela, ce n’est rien, pas un bien grand
sacrifice. Mais le reste. Le célibat, ces choses-là. C’est bien beau, de s’amuser, de profiter. Mais parfois, elle se dit que
peut-être, ce ne serait pas si désagréable de
se poser. Oui, peut-être. Et pourquoi donc se fait-elle ces réflexions-là ? Certainement pas par rapport à Bashir qu’elle a revu l’autre fois – ou peut-être que si. Certainement pas à Ozan, qui occupe un peu trop ses pensées à son goût. Non, certainement pas. Autant dire qu’elle est douée pour
faire l’autruche, la brune. Trouver des distractions pour ne pas penser à certaines choses.
Comme aujourd’hui.
Aujourd’hui, le soleil brille.
Les températures sont douces, le ciel est bleu.
Ce serait con de ne pas en profiter. D’ailleurs, avec Lyle, ils ont vite fait de prévoir un truc.
Petite balade agréable au tour du lac. Rien de trop compliqué, à côté d’autres randonnées déjà effectuées. Mais cela tombe bien, par ce temps. Par cette belle journée de printemps. Ils pourront toujours se poser un peu, s’ils le veulent, de toute façon. En tout cas, l’heure de rendez-vous approchant, Yeliz se gare sur le parking situé devant l’entrée du parc autour du lac. Par chance, une place s’est libéré alors qu’elle arrivait – tout le monde, aujourd’hui, semble avoir eu la même idée. Après tout, comment ne pas profiter d’une telle journée ? Quoiqu’il en soit, la voilà bientôt qui ferme la porte, verrouille sa voiture et rejoint l’entrée, lunettes de soleil sur le nez. Il ne lui faut pas bien longtemps pour repérer son ami.
« Heeey. » L’enthousiasme solaire de Yeliz ne disparaît jamais vraiment. Certains l’assimileraient à son insouciance, son je-m’en-foutisme exubérant. Ou à son exubérance, aussi. Car elle en a, Yeliz, c’est sûr. Ozan aussi – c’est certainement pour cela que les tensions sont omniprésentes, quoiqu’ils aient pu quelques fois entrer en étonnante communion.
« Comment ça va ? T’as pris tes chaussures de marche ? Parce que là, on s’apprête à faire la randonnée la plus compliquée de la Terre. » exagère-t-elle, d’emblée, sourire en coin. L’ironie, parce qu’en réalité, à côté de ce qu’ils ont déjà pu faire, cette balade, c’est presque une promenade de santé. Mais Yeliz reste Yeliz :
drama queen jusqu’au bout. C’est sa carapace à elle, pour prendre de la distance, présenter un détachement avec à peu près tout. Et ainsi prétendre se ficher de tout, cacher sa vulnérabilité – pour ne jamais avoir à révéler tout ce qui peut l'habiter.