the distance in your eyes (ft. edward)

tw: alcoolisme/sevrage ; mention d'accident de voiture

♫ Deux semaines. Deux semaines qu’il rumine les raisons de son envie de boisson, dévoilant le moindre de ses secrets à des étrangers dans la même situation, et bien pire, que lui, alors qu’il a toujours détesté ça, les confessions. Il a eu du mal, au début, la gueule cassée renfrognée, entre la honte et le dégoût de lui-même, en plus du cœur brisé de se trouver là, catégorisé dans une case qu’il n’avait aucune envie de cocher. Ils avaient tous raison. Elea, Nash, Louise… ils étaient trois à le prévenir, trois à lui signaler qu’il avait changé, mais il n’a pas voulu écouter. Il aura fallu un accident qui aura bien failli l’emporter s’il n’avait pas eu une chance colossale, pour lui faire entendre raison. De toute façon, ce n’est pas comme s’il avait eu le choix, directement considéré comme un danger pour les autres comme pour lui-même. Le pire aura été d’affronter la déception et la peine dans le regard de sa mère, totalement inconsciente du mal qui l’habitait. Qui l’habite toujours. On l’a prévenu dès la première réunion : ce démon, il ne s’en débarrassera jamais, devra continuer son combat jusqu’à la fin, sans flancher. S’il aurait voulu dire que ça lui serait facile, il lui aura fallu trois jours pour se rendre compte que la tâche allait s’avérer bien plus compliquée que prévue. Tant pis, il se battra, ne serait-ce que pour laver sa honte, son honneur, effacer cette peine qu’il a lu sur le visage de tous ses proches. Et parmi eux, il n’a pas échappé à la colère d’Eddie. Ce modèle qu’il n’avouera jamais admirer, dont la déception lui renvoie cette image de petit garçon mal casse-cou et mal fagoté.

Il a eu la nouvelle aujourd’hui, son grand frère a décidé de lui rendre visite, et il appréhende. Il est terrifié, à vrai dire, après avoir déjà essuyé la colère et la douleur d’Elea, il doit désormais se confronter à la sienne. Les bras croisés sur le torse, enfoncé négligemment sur sa chaise, il attend l’heure du rendez-vous, le pied tapotant le sol de stress, se mordant toute la peau de ses lèvres. Que va-t-il lui dire ? Il lui est reconnaissant, cependant, que celui-ci lui rende visite, signe qu’il désire tout de même un semblant de conversation, mais se doute qu’elle ne sera probablement pas agréable. La porte s’ouvre et il se redresse immédiatement, replaçant quelques mèches rebelles au cœur de sa tignasse, passant une main sur sa barbe pour l'aplatir sur son visage, comme si ça changeait quelque chose à son air terne. Alors qu’il voit son frère apparaître, il ose un sourire empreint d’émotion, se levant pour venir, tout de même, lui faire une accolade maladroite avant de se rasseoir, penaud sur sa chaise. Ils pourraient se promener, sortir à l’air presque libre, quitter cette pièce, mais il reste là, comme si le sérieux s’imposait irrémédiablement. « Je suis content de voir. » qu’il tente, sincère mais timide, esquissant un nouveau sourire en osant à peine soutenir son regard. « Comment tu vas ? Et Sam ? » Commencer par la banalité pour repousser le moment fatidique où il lui reprochera sa bêtise, ça a toujours été sa méthode.

tw: alcoolisme/sevrage ; mention d'accident de voiture

♫ Il n’a pas eu de ses nouvelles depuis l’hôpital, le lendemain de l’accident, et si l’émotion était palpable, à ce moment-là, la discussion a été courte et teintée de ressentiments. Il ne peut pas lui en vouloir, bien au contraire, et s’il y en a bien un dans la famille qui ne mâchera pas ses mots sur sa bêtise, c’est bien lui. Alors, au moment de l’accueillir, son corps se raidit, et il ne peut s’empêcher d’agir comme le garçon qu’il était autrefois, certes polisson, mais toujours très impressionné par son grand frère et ses grands airs. La barbe trop longue et négligée, les cheveux du même acabit, il fait au mieux pour avoir l’air présentable alors que la porte s’ouvre sur l’avocat, et son visage toujours aussi froid. Après une brève accolade assez maladroite, il se rasseoit, tandis que son frère reste debout, le visage toujours aussi sérieux, celui qu’il a toujours détesté, qui lui donne l’air de ne ressentir aucune émotion. Pourtant, l’émotion, il la voit dans ses yeux, et dans cette déception qu’il devine derrière ses bras serrés contre sa poitrine, ce regard froid qu’il lui porte. Il déglutit à ses mots, intimidé, avant d’oser sourire en acquiesçant timidement, ne cherchant pas plus à répondre à l’affirmation glaçante d’Edward sur sa situation. Oui, ça aurait pu bien mal se finir, il aurait pu ne pas en revenir. Il baisse les yeux un instant avant de reprendre assez de contenance pour lui demander des nouvelles, et s’il n’obtient pas de réponse pour son parti, il en a au moins pour son neveu.

Un nouvel acquiescement maladroit et il se met à fixer la table face à lui, sans trop savoir quoi dire, quoi demander, trop fier pour s’excuser, alors qu’il l’a fait au moins cent fois devant Elea et Louise. Mais lui, c’est différent. Sa bouche se coud et sa gorge se noue alors qu’il n’ose plus rien dire, comme si chacun de ses mots serait une nouvelle faute. C’est finalement son frère qui fait un pas, pour une fois, se dit-il. Il relève la tête et reprend un peu de son sourire, malgré son regard fatigué. « Je n’ai pas à me plaindre. J’ai passé le plus dur, apparemment, et c’est loin d’être l’endroit le plus désagréable qui soit. Même si j’ai hâte d’en sortir. » Petit rire qui vient accentuer maladroitement ses dires, alors qu’il est sincère, que l’attente est longue et le sera encore un peu. Il tapote la table du bout du doigt en cherchant ses mots alors que son frère reste planté là, devant lui. Lui, ça l’énerve, cette froideur, cette distance qu’il s’évertue de garder. Ça l'a toujours agacé. « Tu veux pas t’asseoir ? Ou tu préfères peut-être qu’on aille se balader ? C’est pas désagréable autour. » Après tout, la vue sur le lac en fait un bon petit havre de paix, comme s’il s’agissait d’un centre de bien-être, si on ignore les barrières qui encadrent le lieu, la froideur des murs, et l’état creusé de tous les visages ici. « Eddie… pourquoi t’es venu ? » si c’est pour te tenir droit comme un piquet et ne prononcer que des banalités, pense-t-il, mais il ne dira jamais rien, déjà reconnaissant que son frère ne le prenne pas pour mort. Il s’attend à l’explosion, l’appréhende sans savoir quand elle arrivera, ni même si elle arrivera vraiment. Au fond, il préférerait presque ça, plutôt que son indifférence.

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♫ Ils ne se sont jamais vraiment entendus, jamais vraiment compris. Une relation pourtant pas dépourvue d’amour, mais tous deux trop fiers pour se confier leur attachement, trop différents pour parler calmement. L’adolescence de Jamie a été la pire période pour leur relation, déchirant peut-être un peu plus le lien qui aurait pu les unir avec plus de simplicité. Adolescent rebelle à la joie de vivre indiscutable, il était bien difficile de le contenir, et les commentaires de son grand frère n’ont jamais fait qu’envenimer les choses, lorsque lui beuglait qu’il n’était pas son père et qu’il n’avait rien à dire. Sans Elea pour faire le passe-plat, les discussions finissaient toujours en disputes. La rage adolescente s’est calmée avec le temps, muée en une indifférence feinte des deux partis, alors qu’au fond, il en rêverait, Jamie, de s’entendre avec lui. Toujours rappelé à l’ordre pour ses bêtises, il se doute bien que, pour celle-ci, ce sera encore pire.

Il accuse le coup alors qu’Edward ne semble pas décidé à s’asseoir face à lui, aussi froid et solide qu’un iceberg, il porte son oeil accusateur sur son petit frère, qui ne peut, à vrai dire, qu’accepter et comprendre, se reprochant lui-même largement ses fautes. Il se sent idiot, profondément stupide, Jamie, et face à son frère, c’est pire encore. Ce modèle de droiture et de force, qu’il exècre autant qu’il peut envier, lorsque sa vie à lui semble s’écrouler comme un château de cartes. Les yeux baissés sur ses doigts qu’il tapote et entortille contre la table, il tente de trouver une solution de fuite, un moyen de détendre un peu l’atmosphère alors que l’air ambiant l’étouffe, avant de se résigner à lui demander, après un soupir, ce qu’il peut bien faire ici, après tout. Question maladroite qui s’échappe de sa bouche alors qu’il sait bien, pourtant, qu’il n’est pas aussi froid qu’il n’y paraît, mais il aurait voulu ses sourires, plutôt que ses bras croisés. Il regrette à l’instant où Eddie lui répond, serrant les dents en retrouvant le sol du regard. Evidemment. La dureté des mots le frappe alors que l’évidence lui a déjà été démontrée plusieurs fois, cette facilité avec laquelle il aurait pu y rester, pour de bon. Il acquiesce en faisant la moue, les yeux bas comme s’il se moquait de l’attitude de son aîné. Au fond, il est blessé.

Et à la question qu’il lui pose, il se recule, détourne la tête en retenant des larmes qu’il n’a aucune envie de verser en face de lui, malgré ses sourcils froncés qui trahissent son état. Sa gorge se serre mais il tient bon. Il ne pleurera pas, pas aujourd’hui, pas avec lui. Un silence s’installe et il finit par répondre, la peine accompagnant sa voix. « Je sais pas… » Il hausse les épaules, tentant lui-même de comprendre son comportement depuis près de deux semaines déjà. Il passe une main sur son visage comme pour éliminer définitivement l’émotion qui y passe, avant de se rapprocher de la table à nouveau en y déposant ses avant bras, mains entrelacées devant lui. « Je voulais pas… » Maigre explication, mais c’est flou pour lui aussi. Toute la soirée n’est qu’une brume qui peine à se dissiper. « Je voulais juste prendre l’air, partir quelques minutes, et revenir ensuite… » Ca avait été son plan initial, quitter la fête pour quelque temps, prendre l’air alors que l’ambiance, bien que joyeuse, l’étouffait, sous les regards insistants de Louise et Elea sur chaque verre non-alcoolisé qu’il pouvait prendre. Un soupir s’échappe de ses lèvres. Il ne sait plus où se mettre, alors que la honte l’accable. « On m’a proposé un verre et… et j’ai… » Il serre à nouveau les dents ses yeux cherchant une explication dans le vide, puis il relève ses mains, coudes sur la table, avant d’enfouir son visage à l’intérieur de ses paumes. « Je sais pas c’qui s’est passé, Eddie… » chuchote-t-il presque, dans un souffle qui en dit long. Sa vie a pris un tournant huit mois auparavant et il a été incapable de se relever depuis, pas aussi fort que son frère, peut-être. Et le pire, aujourd’hui, c’est qu’il lui serait encore si facile de craquer à nouveau pour un verre.

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♫ La froideur de son frère a toujours été son masque, il le sait, il l’a vu se former progressivement, au fil des années, jusqu’à ne plus pouvoir distinguer le masque de ce qu’il cache à l’intérieur. Lui, ça l’a toujours énervé, cette distance, et la dureté de ses mots lorsqu’il cherchait à se faire comprendre. Ils sont très différents, c’est indéniable, presque diamétralement opposés, la douceur d’Elea pour calmer le jeu entre eux deux lorsque le ton montait un peu trop vite. Ils n’ont jamais su se comprendre, jamais su s’entendre, malgré l’amour qu’ils peuvent bien se porter, mais peut-être que c’est ça, finalement, qui l’énerve autant. Voir qu’ils sont incapable de se parler correctement alors qu’ils peuvent tant s’aimer. Confronté au mur de glace que montre Eddie face à lui, il se sent tout petit, diminué, accablé par sa propre faute sous le jugement de son grand frère, plus important que celui de n’importe qui d’autre, malgré les apparences. Il se confond en explications, encore trop floues pour être réellement efficaces, mais lui-même a bien du mal à comprendre sa manière d’agir, si loin de celui qu’il est, était.

Il croit voir l’émotion dans les yeux de son frère, cette émotion qui lui noue la gorge alors qu’il ne dévoilait rien jusque-là, et à sa question, plus douce que la précédente, il déglutit, presque plus impressionné par son inquiétude visible que par son air froid. Il secoue la tête, hausse les épaules, bêtement. Il ne sait pas quoi lui dire, pas comment lui expliquer, à lui qui a tant perdu aussi, qu’il n’a été capable de se relever que comme ça, avant de retomber à genoux sous un poison un peu trop tentant pour y résister. Son éternelle faiblesse, lui, le fêtard aux soirées arrosées, c’était presque trop prévisible. « J’étouffais, Ed. A l’anniversaire, j’avais beau vouloir être là, vouloir célébrer cette fête, pour vous deux, j’arrêtais pas d’y penser… ‘Je serais plus détendu avec un verre.’, ‘J’arrêterai peut-être de penser à elle avec un verre.’, ‘Et si Louise repartait ?’, ‘Je la mérite pas.’, ‘On pourra jamais fêter l’anniversaire de ma fille.’... Et je voyais Louise et Elea me regarder comme si elles savaient, au fond, que j’allais craquer. Tous les rires, toute cette joie… je me sens vide, moi. Quand Louise est partie j’ai jamais été aussi perdu de ma vie, et maintenant qu’elle est revenu j’ai la trouille qu’elle disparaisse pour de bon, parce que j’ai beau lui faire toutes les promesses du monde, la seule chose qui me fait oublier au moins un peu que j’aurai jamais pu voir ma fille sourire, c’est de m'embrumer la tête ! » Il craque, déchiré, plus la force de retenir ses larmes alors qu’il exprime enfin toutes les vérités qu’il n’a pas su dire, qu’il cache bien au fond de lui pour ne faire de mal à personne. Sauf que c’est lui que ça détruit, à petit feu, et personne n’y peut rien. Le ton est monté au fil de ses explications, accompagnées par des gestes prononcés, et maintenant que c’est dit, il baisse la tête, essuyant rapidement les larmes comme une honte qu’il voudrait dissimuler. Un silence plane avant que son frère ne s’excuse. Il relève la tête sous la surprise d’entendre un mot qu’il n’aurait pas pensé sortir de sa bouche, qu’il n’a pourtant jamais demandé. Il ne sait plus quoi dire. « T’y es pour rien… c’est moi qui ai tout détruit. » Il détourne le regard, une main sur son avant-bras, un peu déstabilisé par la fragilité de l’instant, à laquelle aucun d’eux n’est habitué.