you know i gotcha (anton)
Les vieux conseils de grand-mères deviennent presque une bible, tel un guide d'instruction elle prend tout au pied de la lettre, suivant chaque étape méticuleusement. Pour obtenir le coeur d'un homme, il faut cuisiner. L'amour passe par l'estomac. Maintenant plus que jamais, elle espère que cet énoncé soit véridique, devenant de plus en plus impatiente. Se plaindre d'une douleur étrangère ne fonctionnera pas éternellement, surtout lorsqu'elle se veut être fantomatique et inexistante. Elle doit trouver une meilleure façon de faire, un plan qui fonctionne et l'aide à obtenir son souhait ultime. Empêcher Anton de s'éloigner d'elle, plus que présentement. Tout effectuer pour qu'il ne quitte pas sa vie, qu'il sache qu'elle existe encore. Peu importe la raison qui camoufle le manque de réponse dans les minutes suivant le message texte ou son absence virulente, rien ne peut justifier de relayer leur amitié au second plan. Eux qui forment une paire unie, ayant vécu tant d'épreuves et d'événements ensemble. Leur vie qui s'entremêlent depuis la nuit des temps. Luda refuse de tout son être de voir son meilleur ami s'éloigner et prendre ses distances. Ce n'est sûrement pas parce qu'elle est amoureuse de lui depuis longtemps, non, pas une seule seconde.
Ses mains s'activent en cuisine, tranchant les légumes comme l'indique la recette qu'elle tente de suivre. Le niveau de difficulté ne l'effraie pas, car elle se doit de réussir n'importe quel plat pour satisfaire la faim de celui que sa tête ne peut oublier. La simplicité ne se trouve pas dans son vocabulaire, l'asiatique bien trop fière et bornée pour lâcher à la moindre petite erreur. Les imprévus peuvent s'enchaîner, une tornade venir dans sa cuisine ou son frère qui toque à la porte, rien ne pourra venir entre elle et la préparation de ce repas.
La dernière fois qu'elle a croisé le futur médecin reste ancré comme étant un souvenir à revoir avec précaution. Son visage concerné venu comme un miracle dans sa vie. Celui qui semblait avoir complètement oublier son existence ne pouvait plus l'éviter dorénavant, plus encore, les instructions pour le futur sortis de ses lèvres, sont la meilleure nouvelle qu'elle a entendu depuis un moment. Nul ne peut la protéger et la préserver comme lui le fait. Un mélange équilibré entre vouloir la secourir et la couver. La défendre tout en la guidant vers le chemin à suivre. Luda sait, dès que les mots atteignent ses oreilles, qu'elle vient de trouver la meilleure technique pour s'assurer de garder leur amitié pour des années à venir. Bien qu'elle n'ait rien à voir dans le procédé la rendant malade, son ami fera tout pour guérir cette tache noire qui assombri les radiographies. Encore inconsciente du danger, elle vit sur son petit nuage de déni, ne voyant pas que la réalité risque de la rattraper.
Sortie de ses rêveries par l'élu de son coeur, les quelques secondes qu'il prend à se rendre jusqu'à sa porte d'entré sont passés à visionner sa silhouette dans le miroir. Aucun maquillage, un regard fatigué montrant un épuisement général et cette boule de chair qui ne quitte pas son corps malgré le nombre de thé qu'elle a ingéré.
“ Trop trop heureuse de te voir! ” Dit-elle, se propulsant vers lui dans une étreinte qu'elle brise pour retourner à sa planche. “ J'ai pensé que tu apprécierais un petit repas. ” Son sourire se répand jusqu'à ses oreilles. Une énième preuve que la chipie est fière de son stratagème. “ Il me reste quelques préparations mais j'ai presque fini. Tu peux te prendre à boire, ou bien m'aider. Ça te dit de me donner un coup de main? ” Elle peut déjà imaginer la scène, un Anton qui vient derrière elle pour couper les légumes, leurs mains se touchant et se croisant. L'attestation qu'elle regarde trop de films et crée des scénarios impossibles dans sa tête.
Le couteau en main, elle taille les légumes avant de les mettre avec le reste de sa préparation. Devant elle, l'occasion rêver de s'amuser à toute sorte de bêtises. Elle prend un morceau de carotte entre ses doigts pour l'enfoncer derrière les lèvres de son meilleur ami. Pencher sur le comptoir, ses cils battant en fixant sa réaction. Luda commence à se trouver aussi stupide qu'une adolescente amoureuse. Un peu trop tard vu ses actions aberrantes. Ressaisis toi Ludmila!
Même s’il était le Lowe le moins enclin à mener une forme de vie sociale, Anton était bien faible face aux propositions de sa meilleure amie. Comme à son habitude, il avait été bien incapable de répondre par la négation, oubliant tout à coup sa nuit désastreuse et le manque de sommeil qui s’accumulait ces derniers jours, pour foncer sous la douche. Depuis la délicate annonce survenue quelques jours auparavant, le jeune homme ne faisait que culpabiliser. Tel un choc électrique, la funeste nouvelle semblait lui avoir ouvert les yeux sur son propre comportement : il négligeait affreusement Minjee depuis quelques semaines. Trop préoccupé ailleurs, il avait délibérément mis leur amitié au second plan, sans prendre en compte celle qui était à ses côtés depuis l’enfance. Et maintenant qu’il réalisait son erreur, Anton s’efforçait de se rattraper, aussi pudiquement que possible, désormais soldat aux services et aux volontés de son amie.
“Ludmila, avait-il articulé ce jour-là, tremblant, en utilisant son prénom complet pour marquer l’importance de son annonce. Je suis désolé...”
En y repensant tandis qu’il frictionnait le gel douche sur son corps, sa gorge se noua. Il ne cessait de ressasser cet instant entre les murs de l’hôpital, où le poing serré, il s’était senti si impuissant au moment d’annoncer la mauvaise nouvelle, incapable de trouver les mots justes. Les discussions restaient étonnamment futiles depuis, et ne souhaitant pas mettre les pieds dans le plat, Anton n’avait jamais tenté d’aborder le sujet, supposant que la demoiselle avait besoin de temps seule pour digérer l’information.
Une fois prêt, l’étudiant entama sa marche à travers le quartier, profitant de l’air frais pour laisser ses cheveux sécher naturellement. Ses manuels scolaires se baladaient dans son sac à dos puisqu’il avait cru bon d’en emporter quelques-uns pour réviser, sachant pertinemment que son amie était du genre à aisément s’endormir s’ils décidaient d’entamer une activité. Comme une vieille habitude, il entra le code du bâtiment pour en déverrouiller l’accès sans même regarder où tapotaient ses doigts. Ces deux-là passaient tellement leur temps l’un chez l’autre qu’ils auraient pu s’échanger un double des clés s’ils y avaient songé.
“Salut toi, lança-t-il à l’ouverture de la porte, un doux sourire inscrit sur les lèvres.”
D’un bref coup d’œil, le futur médecin remarqua la mine fatiguée de son hôte, mais surtout cet éblouissant sourire. Lui qui s’attendait à une larve dont il fallait remonter le moral, à des mouchoirs de larmes et de morve, faisait face à une Luda aussi guillerette qu’à l’ordinaire. Peut-être même plus. Déconcerté, il resta muet face à ce comportement et se contenta de l’enlacer par habitude.
“Dans quoi tu t’es lancé cette fois ? S’enquit-il en pénétrant l’appartement une fois ses chaussures retirées, découvrant la tornade qui s’activait en cuisine. Un petit repas ? On dirait qu'on fête quelque chose là. C'est en quel honneur ?”
Amusé par les efforts exagérés dont faisait preuve l’étudiante, le jeune homme se lava les mains avant de la rejoindre, s’installant face à elle, dans l’attente des directives. C’était ainsi que le duo fonctionnait le mieux : Luda guidait et Anton obéissait. De cette manière, ils évitaient les accidents et les ratés, se contentant de laisser le rôle de meneur au garçon seulement lorsque ses domaines de prédilection étaient requis, à savoir les sciences et le sport.
Impliqué, il l’observa couper les légumes, prêt à reproduire ses gestes lorsque la demoiselle lui imposa un morceau de carotte dans la bouche. Pris par surprise, il resta quelques secondes sans bouger avant de s’en amuser, croquant le légume cru sans la quitter du regard, ignorant l’étendu des scénarios qui peuplaient l'imagination florissante de sa meilleure amie.
“Mouai, pas dingue mademoiselle Jung, j’espère que le reste du repas sera bien meilleur, commenta-t-il sur un ton faussement critique. Parce que là, c’est vraiment pas fou.”
Et tel un petit diablotin, il se dépêcha de lui rendre la pareille, glissant innocemment un morceau de légume entre les lèvres de la jeune fille, d’une manière bien plus douce qu’elle ne l’avait été. Satisfait, il lui ébouriffa les cheveux avant de se redresser pour faire le tour du comptoir, lui prenant le couteau des mains.
“Laisse, arrangea-t-il en la forçant presque à cesser ses efforts. Repose-toi, t’en as besoin. Donne-moi les ordres et j’obéis.”
Énonçant cette dernière phrase à seulement quelques centimètres du visage de son amie, Anton espérait la convaincre, son regard sérieux appuyant ses propos, loin de se douter qu’il risquait de la perturber par cette soudaine proximité. Et pour accompagner ses mots, le jeune homme déposa un baiser sur le front de Minjee, ne pouvant s’empêcher de se montrer bien plus tendre avec elle depuis que la peur de la perdre le prenait aux tripes, lui bousillait le quotidien.
“Alors, tu te sens comment ? Tenta-t-il en marchant sur des œufs, essayant de récolter des informations sans attaquer le sujet pointilleux de front.”
Par habitude, elle sort son meilleur jeu d'actrice, devant montrer une fatigue constante, un épuisement qui l'habite et ne veut plus lâcher son corps. Ses membres qui, après seulement quelques minutes d'activité physique, demande à prendre une longue pause. Elle joue, comme si ce qui la guettait n'était pas réel. Comme si ce cancer n'existe pas, n'est qu'une hypothèse qu'elle a jugé fausse. Luda s'efforce de ne plus mentionner la maladie devant sa mère qui s'inquiète beaucoup trop. Métamorphosant la fatalité en situation temporaire et futile. Pourquoi s'inquiéter? Tout irait mieux dans quelques semaines, le vilain virus quitterait son corps. Tous les aliments qu'elle a ingéré pour faire plaisir à sa mère, n'ont fait que lui donner un semblant d'énergie pendant quelques jours. Sauf que la maladie bien présente fini par rattraper Ludmila qui doit dorénavant avouer qu'elle ressent des symptômes de plus en plus, presque inquiète, mais gardant un front uni. Pour qui le fait-elle? Certainement pas pour les autres, pour sa famille ou ses amis. Pour elle, pour ne pas se faire du soucis, être anxieuse du futur. Elle s'efforce de sourire, trie les mots et les replace pour former des phrases qui sont plus susceptible de ressembler à sa réalité qu'elle se fait dans sa tête. Que ce soit les médecins, sa mère ou son meilleur ami, aucun d'eux ne semble réussir à la persuader de prendre le verdict au sérieux. Une fois que la réalité tomberait, que son petit monde idyllique s'effondrerait, elle chutera de bien haut.
Elle s'abstient dès qu'elle le voit de sortir une serviette ou un séchoir à cheveux et de le réprimander fermement sur cette vilaine habitude qu'il a de laisser ses cheveux encore gorgés d'eaux alors qu'il se rend à l'extérieur. Bien qu'il étudie en médecine, un vilain rhume risquerait de le paralyser au lit pendant quelques jours, de quoi lui donner une bonne leçon. Mais pour une raison inconnu, Anton tombe rarement malade, laissant donc Luda silencieuse, n'ayant rien de bon à lui dire qui puisse le faire changer. Elle s'active, agit machinalement avec un entrain et une énergie solaire bien propre à elle. Personne ne pourrait croire qu'elle le fait exprès, la démone, de montrer à quel point elle se porte bien, que rien ne cloche avec elle. Une tempête qui ne quitte plus son corps, un sourire sur les lèvres, heureuse de voir à nouveau le visage de celui qui fait bondir son coeur rien qu'avec sa présence dans la pièce.
“Pourquoi il me faudrait une occasion pour cuisiner?” Elle lève un sourcil, retenant un rire par une main près de ses lippes. Le regarder est une action dangereuse qu'elle évite pour ne pas causer un accident avec le tranchant du couteau. Le focus doit se porter sur sa tâche. “Je veux apprendre à faire toutes les recettes traditionnelles de ma famille.” Une partie de la vérité, sachant que jamais elle ne se risquerait à la dire entière.
Un jeu innocent qui ferait rigoler des gamins, mais qui malgré son côté inoffensif, réveil les papillons encore endormis jusque maintenant. Un bout de légume ne devrait pas sembler sensuel, avoir une connotation qui soit loin de l'amitié. Une rivalité amicale prenant un envers qui fait bondir le myocarde dans la poitrine, qui file une migraine instantanée. Elle sent même la nausée venir. Tous les symptômes d'une maladie bien pire que son cancer, qui la préoccupe bien plus et dont Anton est encore sans doute, sans la moindre idée du mal qui la ronge depuis des années. Elle se tait, Ludmila, préfère le silence en ce moment, ses yeux fixés sur celui qui rit de lui avoir remit la pareille. Sa main qui vient glisser le légume est douce, pour ne pas abimer la poupée de porcelaine qui reçoit le morceau. Un court instant passe, assez long pour mettre une hésitation dans ses pensées, pour vouloir une bonne fois pour toute tout cracher avec la vitesse de l'éclair. Ses yeux se ferment, son âme se prépare. Le moment explose en un million de morceau, réduisant l'envie à néant. Son contact sur sa peau est de glace, laisse des frissons sur sa main et le long de son bras lorsqu'il prend le couteau. Il n'y a rien de plaisant dans le geste, au contraire, pour la première fois depuis longtemps, Luda se sent réduite au rôle d'enfant. Elle le sait, qu'il souhaite la préserver, la protéger. Le mal ne vient pas de lui, mais des sentiments qui la hante, qui restent en surface sans jamais vraiment s'extérioriser. Ses lèvres se posent sur sa tête, sans qu'elle ne réagisse d'une quelconque manière qui indiquerait qu'elle soit déstabilisée.
L'incertitude au creux du ventre, de ne pas savoir sur quel pied elle doit prendre équilibre. Le souffle court qui lui rappelle le contact de sa peau contre la sienne, mais sa tête qui vient rompre le moment pour lui remémorer la question en suspend, précédé de paroles tenant à être protecteur envers elle. Plusieurs battements de paupière, incrédule de tout ce qui l'entoure, Minjee revient à elle-même, reprenant conscience qu'il est encore dans sa cuisine, bel et bien présent.
“Hum, ça va. Je vais bien.” Dit-elle affichant un faux sourire, pour appuyer ses paroles. Mais ce n'est pas la vérité. Pétrifiée et hors d'elle pour une raison qu'elle ignore, son regard se concentre sur son ami en face d'elle, ses jambes venant s'asseoir près de l'îlot de cuisine, jugeant ses gestes être dans la capacité de le diriger. Un soupir s'extirpe, elle le laisse vaciller dans l'air sans le retenir plus longtemps. À quoi bon mentir, quand la vérité peut lui apporter ce dont elle cherche vraiment.
Depuis bien longtemps, il agit avec elle comme un ami le ferait. L'amitié trônant sur le reste. Ne se rendant pas compte des sentiments qui logent dans le creux d'une Ludmila depuis plusieurs années. Elle se souvient du moment exact où son coeur s'est mit à s'emballer, ses pensés à divaguer. Ils venaient de passé le week-end ensemble, un repas dans sa famille qui concluait la fin, ses parents leur rappelant de ne pas traîner tard à l'extérieur. Une simple balade dans le parc, rien de bien complexe. Anton attrapant une fleur qu'il pose dans les cheveux de Luda, disant que c'est jolie ainsi. Cette sensation, de ne plus jamais vouloir être loin de lui, que tous les jours soient rempli par sa présence, par son parfum, sa voix, cette façon unique qu'il a de se déplacé. Luda est tombé amoureuse de lui, une chute qui lui a fait mal pendant un long moment.
Des soirées à pleurer dans sa chambre que jamais il ne ressentirait comme elle, essayant de faire comprendre à sa mère qu'elle perdrait son meilleur ami si elle venait à lui dire la vérité. L'habitude s'est installé dorénavant. Elle se satisfait du peu qu'il lui apporte, en espérant que jamais il ne l'oublie. Cette peur qui s'est vouée presque véridique récemment. La solution apportant de l'angoisse dans sa vie, tout comme un Anton revenu précipitamment. Est-elle si simple à oublier? À chasser de sa vie? Si sa maladie venait à la quitter, à guérir entièrement, l'oublierait il de nouveau?
“Je- je suis fatigué plus facilement. Je ne peux plus me divisé autant qu'avant avec le café de ma mère et mes études, c'est- c'est devenu trop.” Elle soupire de nouveau, s'avoue vaincue en se recroquevillant sur elle-même pour éviter de ressentir une certaine défaite. Car c'est ce qui arrive présentement, son corps rejette son existence et pour mieux parvenir à endurer la nouvelle, elle s'engouffre dans une réalité inexistante où aucun maux ne peut lui faire de mal. “Ça m'énerve. J'ai l'impression de ne pas pouvoir faire comme je veux. De me battre contre moi-même.” De se battre contre son propre corps souffrant.
Une de ses mains frotte doucement son bras, déviant le regard de celui qui est en face d'elle, coupant les légumes à sa place, faisant tout ce que normalement elle devrait faire. Le but de sa présence n'était pas de justement faire un repas pour lui? Les plans ont changés récemment.
“J’espère que je serais invité à chaque fois que tu passes aux fourneaux alors, répondit-il en ayant quasiment les étoiles dans les yeux à l’idée de découvrir petit à petit le patrimoine culinaire de la famille Jung.”
Intrigué, le jeune homme chercha des yeux le livre de cuisine qui devait certainement inspirer la composition du plat que confectionnait son amie, en vain. Aucun petit papier, pas une note ouverte sur son téléphone pour la guider, ni quelconque mot gribouillé sur le dos de sa main pour éclairer sa recette. Il réalisa alors que Luda devait donc naviguer à l’aveuglette ou simplement reproduire, de tête, ce que lui avaient confié ses ancêtres. Et s’il espérait que cette réflexion ne sonne pas machiste, Anton devait l’avouer : cela lui faisait toujours un petit quelque chose de voir la demoiselle s’affairer en cuisine. Ici, comme lorsqu’elle s’attelait à ses travaux artistiques, elle semblait ailleurs, possédée, passionnée, se mordillant la lèvre en vérifiant ses mesures, nouant négligemment sa chevelure, fronçant les sourcils jusqu’à obtenir satisfaction. Il pouvait l’observer ainsi des heures, produire un mets délicieux ou une œuvre impressionnante dont il ne comprendrait qu’à peine le sens, mais il restait toujours subjugué, transporté, émerveillé par cette femme et sa créativité. Il n’imaginait jamais se lasser de ces doux instants pendant lesquels il oubliait ses révisions, ses doutes, et même l’existence de son téléphone portable qui vibrait, comme à cet instant.
“Excuse-moi, souffla-t-il en glissant rapidement une main dans la poche de son jean, afin de passer l'appareil en silencieux.”
Tendant l’oreille aux dires de la brunette, il s’attela à sa nouvelle tâche, bien moins efficace et beaucoup plus lent que la jeune femme qui soupirait face à sa propre existence. La mine attristée par ces propos, Anton fit la moue, compatissant, espérant qu’il serait assez adroit pour trouver les mots justes.
“Tu sais Lulu, c’est normal que tu sois frustrée, tenta-t-il en lui jetant plus de regards qu’il n’était préoccupé par le couteau entre ses mains. Tu traverses une mauvaise période, tu dois être patiente avec ton propre corps."
En constatant qu’elle fuyait son regard, il poursuivit, persuadé qu’elle tentait de mettre un terme à cette conversation dérangeante, alors qu'elle essayait seulement d'éviter d'ajouter du poids à leur évidente attraction.
“Ménage-toi, autorise-toi à devenir une feignasse, ok ? Fit-il en espérant que ses conseils puissent l’aider d’une quelconque manière. Et comme je te l’ai dit par sms, ma proposition était sérieuse. Si tu veux emménager avec moi, je… Et merde !”
Sur la planche à découper, les légumes se couvrirent de gouttes carmin tandis que le couteau tranchant, coupable d’avoir entaillé le pouce de l’étudiant, était abandonné sur le plan de travail. Le jeune homme observa sa plaie en grimaçant, cherchant des yeux un morceau de tissu pour éponger le sang rapidement, loin de vouloir inquiéter son amie par sa maladresse.
“J’crois que c’est pas profond, rassura-t-il immédiatement en se redressant. Même pas capable de couper correctement, grommela-t-il pour son propre compte.”
Docile, il laissa la demoiselle lui venir en aide, acceptant de lui confier sa main pour qu’elle l’ausculte sous tous les angles, oubliant presque que des deux, il était bel et bien le professionnel de santé.
“T’inquiètes pas, c’est rien, insista-t-il alors qu’elle refusait de le laisser poursuivre sans appliquer une crème ou un bandage. Je disais donc… Si tu veux arrêter de bosser au restau, il y a cette solution. Même si je sais que ton appartement est ton cocon et qu’il est bien plus sympa que le mien.”
À ses propres mots, Anton visualisa son chez lui, la froideur de sa décoration sans goût et de ses meubles loin d’être accordés, un lieu qui ne faisait clairement pas rêver. Semblable à un catalogue Ikea sans vie, son intérieur n’avait trouvé qu’un peu de personnalité depuis que ses proches lui avaient conseillé d’ajouter quelques plantes et que Luda l’avait poussé à accrocher ses souvenirs, posters et polaroids.
D’un signe de tête, l’aîné des Lowe reçut finalement l’autorisation de poursuivre ses activités, le pouce désormais recouvert d’un pansement de fortune qui ferait l’affaire jusqu’à son passage à la pharmacie. En ajoutant les légumes nettoyés à la préparation, il baissa l’intensité des plaques de cuisson, fidèle aux directives de sa meilleure amie avant de s’installer sur le petit canapé.
“C’est long à cuire ? S’enquit-il en sentant son ventre gargouiller, impatient. Sinon j’me dis, tant qu’on est dans les soins, si t’es toujours partante pour le massage ?”
Le grand brun retira alors son t-shirt, essuyant au passage une goutte de ses cheveux encore humides qui roula sur son torse, puis il indiqua l’endroit douloureux, espérant qu’en plus de la cuisine, Luda possède aussi ce don.
“Je m’allonge ou j’reste comme ça ? S’interrogea-t-il en lui tournant le dos, gêné, alors que la brunette l’avait déjà vu ainsi à de multiples reprises, lors d’excursions groupées à la plage ou à la piscine.”
Et tandis que son amie farfouillait l’appartement à la recherche d’une huile adaptée, Anton songea tout à coup aux sms échangés avec Iseul quelques jours auparavant, saisi par l’intimité de la situation. Vous êtes le matching parfait, avait-elle écrit, de quoi glisser un doute certain au sein de son esprit. Luda avait-elle aussi songé à eux de cette façon ?
Ses iris sont occupés à couvrir les gestes qu'il performe devant elle, couteau dans les mains qui menace de venir percer sa peau s'il ne fait pas plus attention. Les directives sont claires, les recettes qu'elle visualise dans sa tête, se rappelant sa mère lorsqu'elle-même faisait les repas pour toute la famille. Les morceaux de légumes s'accumulent sur la planche, une métaphore pour les mots que prononcent son meilleur ami, chacun venant la percuter, amenant une raison de plus dans la balance qui penche en la faveur de sa mère et de lui. Les gestes qu'il effectue sont au ralenti, sa tête analysant la situation et les hypothèses sur un futur encore incertain. Cette maladie dont elle diminue les effets sur sa vie, les impacts qu'elle aura sur le long terme ou même le court terme. Luda ne peut plus nier que les symptômes s'accumulent de plus en plus et chaque rendez-vous médical, chaque nouveau traitement, apporte son propre lot de complication qui l'empêche de vivre de façon habituelle. Son quotidien est chamboulé et retourné par son corps qui lui donne tous les signes pour qu'elle réalise enfin l'impact et la réalité, une révélation qui ne serait pas plaisante ou positive, mais essentielle pour le bien-être de son futur. Les inquiétudes qui sont enfouis remontent à la surface une par une, souvent chasser par le déni constant de Ludmila d'admettre qu'elle est atteinte d'une maladie qui ne peut pas se soigner avec des thés et des potages.
La blessure arrive comme le son d'une cloche venant la retiré des pensés affligeantes dans lesquelles elle se perdait peu à peu. Par instinct, elle fait la moue devant Monsieur le Médecin, voulant s'assurer d'elle-même que son doigt soit encore en position de continuer à couper les légumes. S'affairant dans sa salle de bain pour trouver un bout de pansement improvisé, non sans asperger la coupure d'alcool pour nettoyer la surface avant d'enrober le doigt. L'action effectué en tentant d'évité le regard de l'autre pour ne pas laisser son myocarde s'emballer. Elle retourne à sa place d'origine en réfléchissant, bien que dérangée par la maladresse légendaire de son meilleur ami.
“La cuisine, c'est pas pour tous le monde, c'est un apprentissage complexe. Mais la cicatrice signifie que tu apprends de tes erreurs.” Dit-elle, laissant ses lèvres venir se poser sur la blessure, comme une mère avec un enfant, un geste rempli d'amour et de bienveillance. “Et je crois que tu as raison. Pour une fois, c'est le moment de me faire traiter comme une reine.” Luda se met à rigoler, elle qui est normalement si humble, trouve presque étranger de dire ses paroles. “Puis, en habitant chez toi, je pourrai te forcer à dormir. La solution parfaite à tous mes problèmes!” Mais aussi pour de se rapprocher de lui, bien que celle-là, elle ne risque pas de lui dire.
La préparation terminée, ils sont finalement libre. Le repas en train de cuire tranquillement dans le four, l'odeur se répand dans tout l'appartement, ouvrant l'estomac de son meilleur ami qui est sur le sofa, visiblement en souffrance vis-à-vis de son dos. Elle fronce le regard en remarquant, ne s'attendant pas à ce qu'il pense exactement à la même chose, retirant son chandail. Luda se perd dans l'observation du corps d'Anton, la goutte qui coule le long de ses muscles, de son torse, comme une invitation silencieuse à le toucher pour la retirer. Ses pieds font le chemin, son index attrapant l'eau, ses yeux remontant jusqu'à ceux de l'homme devant elle. La puberté avait frappé Anton de la meilleure des formes, le procédé le rendant encore plus canon qu'auparavant, transformant le petit garçon timide en véritable homme, attrayant et séduisant. Elle quitte pour chercher une huile, retirant de son pouce le coulis de salive accumulé à la commissure de ses lèvres, la chaleur de la pièce prenant en degré. Focus Luda! La Jung revient avec une huile de menthe poivré et d'eucalyptus.
“Comme ça pour commencer que je puisse aller en profondeur, après tu pourras t'allonger.” Elle applique l'huile sur ses mains, un rictus qu'elle ne peut empêcher d'apparaître à l'idée de le faire souffrir quelques secondes en posant ses mains froides contre son dos. Ludmile masse l'huile, puis de ses jointures tente de détendre les muscles tendus. “T'es tendu comme un cul, c'est pas possible.” Elle continue de presser avec force, le forçant à s'allonger dans le canapé en appuyant sur sa tête, massant avec plus de force. “T'oses me dire que je dois me reposer mais t'es pas mieux. À croire que t'es fait que de stress.” Elle roule les yeux mais continue de bien faire entrer ses mains, débloquer ce qui est coincé, en tentant de ne pas penser plus loin qu'il le faut. Un simple massage pour soulager un ami, rien de plus, rien de sensuel, d'ambigu.
“C'est moi qui te fait cet effet? Ou c'est les deux boulots et les études?” Ses mains se posent sur les épaules de son ami pour le relever, en rigolant de voir dans l'état qu'il est. Franchement, il y a de meilleure manière de s'occuper de soi-même. Quand il se relève, son regard croise le sien et Luda ne peut s'empêcher de plonger ses pupilles dans le brun de ses yeux, descendant jusqu'à son torse, son souffle contre sa peau et leur proximité beaucoup trop restreinte. Sa main se faufile sur ses abdominaux, glissant avec aise vu l'huile encore présente sur ses mains.
“Bien madame, si vous le dites, s’amusa-t-il en prenant cette nouvelle blessure pour preuve de son apprentissage. Le guerrier tachera de s’améliorer à l’avenir !"
Attendri, il l’observa s’occuper de sa plaie avec sérieux, attention qui ne pouvait que lui rappeler ces nombreuses fois où elle avait veillé sur lui. Si Ellie avait toujours été celle qui utilisait ses poings pour le défendre, Luda avait été celle qui gérait ses petits bobos, aussi bien physique que psychologique. Et avec les années, elle avait eu l’occasion de parfaire sa technique face à la maladresse de son allié... Il y avait eu cette fois où il avait tenté de suivre le petit groupe en grimpant dans un arbre, mais qu’il s’était écorché les genoux. Cette sortie à la patinoire aussi, où il avait réussi à se couper en tentant d’enfiler ses patins, mais le souvenir le plus mémorable restait cette capsule de bière qu’il avait essayé d’ouvrir avec les dents, ne résultant qu'en un petit tour chez le dentiste pour sauver sa molaire. C’était à croire qu’Anton ne savait se concentrer qu’à de rares occasions, lorsqu’il était installé derrière son bureau recouvert de livres, durant les cours magistraux où il tapait les informations sur son clavier ou seulement entre les cuisses des femmes, qui n'étaient -pour le moment- que des patientes nécessitant des interventions.
“J’vais m’écrouler tous les soirs en essayant de digérer tes plats, envisagea-t-il en se projetant déjà, le ventre bien rempli, s’endormant comme un loir à peine la vaisselle faite. J’peux te libérer une partie de l’armoire, annonça-t-il bien sérieusement en imaginant quels espaces il allait bien pouvoir alléger pour que la jeune femme se sente à son aise malgré le peu de mètres carrés. C’est pas comme si j’avais beaucoup de fringues, donc c’est pas bien dérangeant.”
En la voyant déposer un simple baiser sur son pansement, semblable au bisou magique qu’ils s’offraient étant enfants, Anton déglutit difficilement, réalisant que ce geste anodin devenait presque tendancieux maintenant que son regard s’attardait sur les lèvres de Luda. Elle lui semblait bien trop appliquée et l’espace d’un instant, il se surprit à espérer qu’elle ne s’attarde, qu'elle poursuive ses baisers, quitte à glisser une à une ses phalanges entre ses lippes. Rapidement pourtant, il se força à cesser ce type de songes, glacé d’avoir ce genre d’idées face à sa protégée. C’était à croire qu’un semblant de possessivité s’était éveillé chez le Lowe depuis qu’il se persuadait qu’un rapprochement avait lieu au sein des Checkmates, à son insu.
Totalement à la merci de la brunette, le futur médecin grommela en sentant les mains froides s’occuper de son dos.
"Putain Lulu, t'aurais pu les réchauffer au moins, lança-t-il en se crispant."
La culpabilité fit néanmoins son chemin à la vitesse de la lumière, prenant possession de son cœur. Et si Luda était aussi frigorifiée à cause de sa maladie ? Et si c'était son traitement qui l'empêchait d'avoir une température corporelle adéquate ? Elle avait beau avoir toujours eu les extrémités froides, collant ses pieds froids contre ses jambes lorsqu'ils dormaient ensemble et glissant sa main dans une double paire de gants lorsqu'ils se baladaient durant l'hiver, Anton ne pouvait s'empêcher de s'en vouloir. Parfois, il en venait même à s'interroger : depuis combien de temps le cancer pourrissait réellement la vie de son amie ? Et pourquoi avait-il été si aveugle, si égoïste ?
En sentant les paumes qui parcouraient son épiderme, malaxant sa peau et faisant pression sur les zones tendues, le jeune homme laissa son cerveau se reposer, s'autorisant quelques soupirs et gémissements de satisfaction.
"C'est ma dernière année d'études, j'crois qu'on peut pas faire plus stressant comme période. J'suis au max de la pression, lâcha-t-il en enfonçant son visage dans le canapé. J'ose même pas imaginer la remise des diplômes, quand mes parents vont me voir me lever pour la branche obstétrique et pas chirurgie."
Lorsqu'elle survola l'endroit douloureux, il lui fit signe d'insister, se surprenant à souhaiter que ce massage puisse s'éterniser. Lui qui avait toujours fui le moindre contact physique, il se plaisait à sentir ses doigts délicats s'affairer, souhaitant presque qu'ils se glissent dans sa nuque, sur ses clavicules et même sur ses hanches. Au fur et à mesure que le fils Lowe laissait ses pensées divaguer, il réalisa avec stupeur qu'un problème venait de s'imposer. Les yeux écarquillés, il se contracta de plus belle en comprenant qu'une
“C'est moi qui te fait cet effet ?”
Craignant qu'elle n'ait compris ce qu'il se tramait entre ses jambes, le futur médecin resta encore quelques instants sur le sofa, silencieux, mais la fin du massage le força à se redresser pour lui faire face. Heureusement vêtu d'une paire de jeans épais, il pria pour que Luda ne baisse pas les yeux.
"Ouais, j'ai fondu à force de sauter des repas, justifia-t-il en sentant sa main sur ses abdominaux, supposant que c'était ce qu'elle venait de remarquer. Merci, c'était parfait, glissa-t-il en lui collant rapidement un baiser sur la joue. J'vais sécher mes cheveux, j'ai pas dû les essorer suffisamment."
Enfermé dans la salle de bains, Anton se passa de l'eau sur le visage pour reprendre ses esprits, refusant de s'occuper de son problème de la manière la plus logique qui soit. Il ne pouvait simplement pas faire ça, pas ici, pas avec sa meilleure amie juste à côté. L'air concentré, il tenta de se changer les idées en observant le pyjama rose duveteux accroché au dos de la porte, celui que la jeune femme portait pour leurs soirées télé. S'il sentit que cela fonctionnait, qu'il s'approchait du calme complet, son regard dériva sur le linge qui séchait et sur ce body en dentelle noire dont il ne soupçonnait pas l'existence, et Anton
"Lulu, ça sent le cramé là, non ? S'enquit-il en revenant enfin dans la cuisine, après de longues minutes, les cheveux secs et son t-shirt sur le dos."
D'un air faussement nonchalant, l'aîné Lowe attrapa son sweat à capuche et il l'enfila pour camoufler son inconfort, mimant un petit coup de froid. Comment lui, le mec qui tentait d'être quelqu'un de bien, celui qui croyait en l'amitié homme-femme, le puceau de service pouvait réagir ainsi ?