(Jamie) wooden tales

[ ambiance générale ♫ ]
tw: alcoolisme, sevrage, deuil, perte d'un enfant.

En plein questionnement sur sa vie après de long mois de perdition, Jamie se met à passer plus de temps avec son père, menuisier-ébéniste de profession et de passion, qui lui apprend peu à peu quelques fisselles de son métier. Une occasion pour père et fils de se retrouver et partager quelques moments privilégiés l'un avec l'autre.

I. huit octobre 2023

tw: alcoolisme, sevrage, deuil, perte d'un enfant.



Le repas de famille dominical. L’occasion quasi-hebdomadaire de se retrouver tous ensemble à table et d'échanger les dernières nouveautés de chacun. Cette fois-ci, pourtant, c’est en comité réduit qu’ils se réunissent, Elea, Eddie, Ayden et Sam ne s’étant pas joints à eux ce dimanche, les voilà seuls, Louise et lui, face à ses parents, alors qu’ils gardent pour eux un secret qu’il a déjà bien du mal à ne pas révéler, toujours très proche de sa famille. Heureusement, il a Elea à qui en parler, Elea à qui confier ses espoirs et ses craintes, peut-être même plus qu’avec Louise, ne voulant pas trop impacter celle-ci en se confiant sur ses doutes. Il ne reste plus qu’une étape cruciale avant de devoir s’armer de patience et espérer que ce mois n’a pas été vain, que le traitement a bien porté ses fruits, et il est tout bonnement terrifié à l’idée que ce ne soit pas le cas, encore un peu fragilisé par les mois précédents, mais ils se sont promis que cette fois, ce sera différent. Quoi qu’il arrive, ils l’auront, ce bébé, d’une manière ou d’une autre. C’est ce qu’il s’évertue à se dire, ce dont il se convainc chaque jour et ce à quoi il se prépare depuis son retour.

Il est déjà retourné sur sa tombe depuis, sans rien dire à personne, juste pour lui, prétextant une course journalière pour s’arrêter au cimetière et lui déposer des petites fleurs. Sa manière à lui de faire son deuil, bien qu’il doute encore que ce sera possible un jour. La culpabilité s’envole progressivement, cette vicieuse qui s’immisce dans ses pensées lorsqu’il se réjouit à l’idée d’accueillir un autre bébé. Son esprit est embrouillé, occupé par tant de sentiments différents qu’il a encore du mal à faire la part des choses. Mais ses visites au cimetière l’aident un peu, profitant du calme du lieu, de l’instant, pour faire le vide et se dire que, d’une certaine façon, peut-être qu’elle veille un peu sur eux. Il ne parle que rarement, se contentant de s’asseoir, mais lorsqu’il le fait, c’est simplement pour lui dire qu’il l’aime, et qu’il prendra soin de sa mère. Un moment privilégié qu’il s’accorde dans le plus grand des secrets, pas pour écarter Louise, mais pour la préserver, n’osant pas lui proposer de venir, elle aussi, avant qu’elle n’en fasse elle-même la demande. Ce n’est pas vrai, qu’ils n’ont pas encore d’enfant. Au fond, ils sont déjà parents, et Ellie fait partie d’eux, pour le restant de leurs jours.

Le repas s’est déroulé sans encombre, sans qu’aucun d’eux ne craque et ne dévoile leur petit secret bien à eux. Entre les rires et l’excitation de sa mère face à leur futur (re)mariage, ils ont réussi à retrouver un peu de cette complicité d’avant, moins de méfiance ou d’appréhension dans le regard alors que les verres se remplissent d’eau plutôt que de vin. Ca lui fait du bien, et, pour cette fois au moins, il est même plutôt content qu’ils ne soient que tous les quatre pour partager ce moment.

A la fin du repas, chacun y va de son occupation, Louise se met à discuter avec sa mère, tandis que son père lui propose de l’accompagner dans son atelier. L’atelier de papa, ça a toujours été un endroit magique. L’odeur du bois, il la connaît par cœur, et c’est quelque chose qui lui donne l’impression, la conviction, qu’il est à la maison. Il ne l’a pas visité depuis quelques mois, voire même quelques années, maintenant, mais l’aura y réside encore, ses yeux de gamin qui s’émerveillent des créations de son paternel, des meubles rappelant la stabilité de son propre foyer, des figurines finement taillées, toute cette passion déchargée dans ce matériau qui a su apporter tant de bonheur à son père. Ici, il est à la maison, et la douce odeur de sciure l’enivre chaleureusement. « Tu travailles sur quoi en ce moment ? » Alors que la retraite a déjà commencé pour lui, il est de ceux qui ne s’arrête jamais vraiment, pas par nécessité, mais parce qu’il ne saurait faire autrement, un trait qu’il a autant admiré qu’il l’a inquiété, mais il est comme ça, d’apparence infatigable, ce papa invincible. Sans un mot, rien qu’un sourire, il lui tend une petite maisonnée de bois qui ressemble étrangement à la leur, détaillée à la main jusqu’à en reconnaître le ballon de foot qu’il a coincé sur le toit des années plus tôt. Il souffle du nez en observant l’objet, ému de voir toutes ces petites imperfections qui font leur foyer reproduites. « Une maison de poche, pour se rappeler qu’on sera toujours là, les uns pour les autres. » explique son père, un regard en coin comme pour lui faire passer ce message, qu’il n’a que très peu appliqué ces derniers temps. Il sourit à nouveau, reposant la figurine sur l’établi à côté de lui, s’appuyant sur une machine alors que son père s’affaire face à lui.

« Comment ça va, fils ? » Il s’arrête pour le regarder, cet œil sérieux qui le fixe comme s’il n’attendait de lui aucun détour, rien que la vérité, la vraie. Jamie baisse les yeux, puis la tête, laissant traîner un silence avant de reprendre son éternel sourire, malgré l’émotion qui le traverse. « Je vais bien, papa, ne t’en fais pas. » Il croise les bras sur son torse dans l’espoir d’éluder la question, mais le paternel n’a jamais été facile à duper. Il se retourne complètement vers lui, s’appuyant sur son établi en lui faisant face. « Jamie… » Un soupir franchit la barrière des lèvres du plus jeune, il passe une main derrière sa nuque en cherchant les mots les plus appropriés pour décrire son état. « Je t’assure, ça va. Il y a des jours plus difficiles que d’autres… Mais je m’en sors bien, au final. » Le regard de son père s’attarde sur lui, comme s’il attendait une suite qui n’arrive pas, puis c’est à son tour de prendre la parole. « Et… Tu arrives à gérer… ? » Il ne prononce pas les mots qui font mal, le sujet de son addiction à l’alcool, ce sujet qu’ils n’ont encore jamais abordé, et qui le remplit de honte. Il laisse passer un silence, détournant les yeux avant de revenir sur lui. « Comme je l’ai dit… il y a des jours plus difficiles que d’autres… mais je m’accroche. » Grâce à Louise, à son soutien sans faille et leurs projets d’avenir, grâce à sa famille, ses amis, son entourage, sans qui il ne serait plus grand-chose. Son ancienne vie lui manque, tout ce qu’il y a construit, et il sait pertinemment que, dans tout ça, le Maxdon’s n’a pas sa place aujourd’hui, mais il s’efforce d’espérer que ça ira, qu’il trouvera autre chose, qu’il s’en sortira.

Un nouveau silence s’installe et il devine que son père ne trouve pas les mots, acquiesçant simplement à son affirmation précédente d’un air inquiet mais fier. Il se décide alors à se rapprocher de lui et de son établi afin de détourner la conversation sur quelque chose de plus agréable. « Tu me montres comment tu fais ? » Il l’a toujours observé, d’abord de loin à travers la petite fenêtre de l’atelier, puis sur un tabouret, juste à côté de lui. Il n’a pourtant jamais osé lui demander de lui apprendre ses gestes, de lui partager sa passion, malgré toute la curiosité et l’envie qu’il ressentait. Il aimait regarder son père travailler minutieusement, admiratif de ses compétences, entouré de tous ces petits objets et meubles en bois, dans cet atelier bordélique qui sentait la sciure. Sans un regard, le paternel acquiesce, entourant les épaules de son fils d’un bras, comme une réponse de soutien à ses affirmations précédentes. S’il n’a jamais été très fort en mots, ses silences ont toujours été les plus éloquents.