you're so pretty it hurts (w/joan)

tw: mention d'adultère.

Elle est allée voir la mer. Comme cela, de bon matin. Besoin de prendre l’air. De fuir la maison. Fuir les doutes, incertitudes et tout ce qui peut lui joncher le crâne, l’esprit, ces temps-ci. Elle a l’impression de virer dingue, l’impression d’y penser en permanence. Joan dans le cœur en continu, Joan dont elle n’oublie ni le visage, ni le sourire, ni le son de sa voix. Joan qu’elle voudrait revoir. Joan qui doit la haïr, à l’heure qu’il est. L'abhorrer au lieu de l’adorer. Elle se souvient de son regard, de l’expression de son visage. Dégage. De chez moi. Pars loin de là, loin de moi. Le rejet a été violent, quoique mérité. Elle aurait dû lui dire dès le début la vérité. Mais elle a attendu la fin, Noela, égoïste. Pour grapiller un peu de temps. Profiter de Joan avant qu’elle ne lui file entre les doigts, définitivement. Parce que c’était forcément ce qui arriverait. Ces quelques jours à ses côtés avaient été trop courts. Trop rapidement passés, trop vite envolés. Pas assez de temps pour digérer. Comprendre tout ce qu’il s’était passé. Peut-être que si elle avait pris du recul, au lieu de foncer tête baissée, elle aurait pu réfléchir avant d’agir. Comprendre que tomber dans les bras de Joan, c’était n’importe quoi. D’une connerie pure, d’un égoïsme intersidéral, à la fois vis-à-vis d’Aldwin, que de Joan. Mais elle avait fait n’importe quoi.

Elle est allée voir la mer. Dans l’espoir désespéré de se vider la tête. De se remettre les idées en place. Prendre une décision, agir, n’importe quoi. Elle ne peut pas rester dans cette situation-là. Cela fait pourtant un an qu’elle a failli, Noela. Mais elle a préféré enterrer son forfait. Ne rien affronter. Faillir à tous ses principes, toutes ses valeurs. Ce n’est pas son genre ; elle s’efforce de se dire que c’était une erreur. Et le temps a passé, mais elle y songe encore.
Elle est allée voir la mer. Courir un peu, d’abord. Puis s’arrêter sur la plage, en chemin. Il est bien tôt, encore. La ville s’éveille tout juste. Bientôt, les commerces ouvriront, les voitures envahiront la ville. Le calme se sera dissous. Il faut qu’elle profite, de cette quiétude. Alors elle marche, au calme. Regarde les vagues s’écraser sur le sable. Yeux perdus dans le vague. Distraite, comme trop souvent perdue dans ses pensées. Qui pourrait les sonder. Puis tout à coup, il y a le choc. Elle ne l’a pas vu venir, sursaute. On vient de lui rentrer dedans, sans faire attention. Elle s’apprête à s’agacer, sans pouvoir s’en empêcher. Mais quand elle tourne la tête, elle croit à une apparition. Joan.

C'est un mirage, pas possible autrement.
Pourtant, c’est bel et bien son visage, là, devant.

On dirait, Noela, qu’elle a un fantôme. Elle sent dans sa poitrine, son cœur battant. « Joan ? » C’est tout ce qui lui vient, d’abord. Bêtement. Il faut laisser le temps à l’esprit de comprendre, même si le cœur, lui, dans sa poitrine, sautille sottement. Rien qui ne lui ressemble. Et pourtant. « Qu’est-ce que tu fais là ? » Car elle n’a rien à faire à Oceanside. Elle vit à San Diego. Y vivait en tout cas il y a un an. Et en elle, elle ose espérer, bêtement, que ce soit pour elle que Joan soit là, maintenant.

N'importe quoi.
Car c’est elle qui n’est pas libre, au final.

Les mains qui nouent les lacets de sa chaussure de course alors que, tête penchée vers l’avant, tu remets rapidement une mèche rebelle derrière tes oreilles. Il est encore tôt. Le soleil ne s'est levé que depuis quelques timides heures. Comme toi, en réalité. Car tu as eu du mal à fermer les yeux. À trouver sommeil. À réellement partir dans les bras de Morphée. Tu ne sais donner aucune explication. Les yeux pourtant qui ont essayé de se fermer de nombreuses fois alors que ton esprit n’a cessé de voyager dans tous les sens, sur tous les horizons. Tu n’as cessé de te retourner dans ce lit vide de toute autre chaleur humaine que la tienne. Tu as vu le temps passer. Tu as vu le soleil se lever. Alors tu t’es décidée qu’il était temps de te lever, toi aussi. Qu’un jogging au petit matin ne peut t’être que bénéfique pour commencer cette nouvelle journée, avant de te rendre au travail quelques heures plus tard. Tu t’es donc préparée, Joan. Cheveux bruns attachés en une queue de cheval, légère veste pour affronter la douceur matinale recouvrant un t-shirt de sport accompagné de ton legging noir habituel. Tu ne manques pas de prendre tes écouteurs, comme toujours. Car tu ne sais pas courir sans musique dans tes oreilles, ayant besoin de poser tes pas aux rythmes des guitares.

Regard fixé vers l’étendue de sable devant toi, ta respiration est soutenue, régulière. Corps bien droit, bras contre ton corps, tu fais abstraction de tout ce qui t’entoure, tes écouteurs te permettant de garder un contact avec l’extérieur malgré les musiques qui défilent dans tes oreilles. Tu as déjà parcouru quelques kilomètres Joan, mais tu as envie d’en courir encore cinq. Parce que tu le sens bien. Parce que la fraîcheur de la matinée et les rayons du soleil te font un bien fou. Tu ralentis cependant le pas lorsque tu as l’impression d’entendre ton nom derrière toi. Tu te retournes Joan, continuant malgré tout ta course. Une course qui subitement s’arrête lorsque sans faire exprès, tu rentres en collision avec l’épaule de quelqu’un. Tu sais que c’est de ta faute, tu es prête à t’excuser pour reprendre ta course. Sauf que lorsque ton regard se pose sur le visage face à toi, tu sens ton cœur se serrer dans ta poitrine et une légère vague de stress prendre possession de tous tes moyens. Tu secoues la tête comme pour être certaine que ce n’est pas une vision. Que Noela, elle est bel et bien là face à toi. C’est sa voix, qui te le confirme.

— Je vis ici. Que tu lui lances entre deux respirations, les bras maintenant croisés sur ta poitrine, le regard légèrement froncé. — J’suis native de la ville, tu te rappelles ? Ou peut-être que tu l’as oublié comme t’as oublié d’me dire que tu étais mariée.

Tu ne mâches pas tes mots, Joan. Car ce qu’elle t’a annoncé après vos journées passées sous tes draps à San Diego, tu ne l’as pas oublié. Tu l’as encore en travers de la gorge et peut-être que dans le fond, tout ça n'est autre que la cause de ton insomnie. Noela, tu n’as jamais su te la sortir de la tête après ça. Plusieurs jours dans ses bras, à parler, à rire, à partager des moments intimes qui n’appartiennent qu’à vous. Noela, t’as été surprise de la retrouver après toutes ces années, là, dans une galerie d’art à San Diego. Car c’est bien plus jeune que tu l’as connue et déjà à l’époque, elle t’a fait chavirer le cœur durant une soirée avant de ne pas te recontacter. T’as pas voulu te prendre la tête avec ça, lorsque tu étais étudiante. Mais maintenant, c’est différent. Tu t’es sentie trahie par elle et t’as pas hésité à lui demander de partir, ce jour-là.

— Je m’excuserais bien de t’avoir bousculé, mais j’pense que j’en n’ai plus trop envie. Tu hausses les épaules. Ce n’est pas l’envie de repartir et de la laisser là qui te manque, Joan, mais tu es juste incapable.

tw: mort, mention d'adultère.

Elle cherche sa place. Partout, tout le temps. Même si elle fait comme si ce n’était pas important. Comme si elle n’en avait pas besoin, vraiment. Comme si elle n’avait besoin de personne. Elle a toujours été très introvertie, Noela, voire un peu solitaire. Terriblement marquée par la mort de sa mère. Elle ne sait pas si tout vient de là. Si tout cela explique son tempérament. Elle n’aime pas vraiment se plonger à ce point dans l’introspection - surtout pas quand il est question de sa mère, finalement. Mais elle cherche depuis toujours sa place, Noela. Dans sa propre famille, la seconde fondée par son père. Dans sa nouvelle famille, celle dont elle a hérité par son mariage. Elle cherche aussi sa place, encore, dans le milieu artistique local et régional. Pourtant, cela ne suffit pas. À croire qu’elle n’est heureuse nulle part. Sauf dans les bras de Joan, auxquels elle pense encore beaucoup trop, Noela. Parce qu’elle y était bien. Parce qu’elle aurait voulu y rester toute la vie. Parce qu’elle y oubliait le quotidien. Tout ce qui ne va pas, tout ce qui ne va plus, depuis longtemps. Elle s’est finalement tellement conformée aux attentes des autres, tout ce temps, Noela. Jusqu'à oublier les siens. Jusqu'à oublier ses véritables envies.

Elle a merdé. Avec Joan, avec Al, avec beaucoup de monde. Même avec Majolica.
Elle a merdé. Ce qu’elle fait un peu trop souvent. Mais là, c’est pire. Elle a trompé Al, il y un an. Tombée dans les bras de Joan, alors qu’elle n’en avait pas le droit. Et même, cela ne lui ressemble pas – elle, toujours dans le contrôle, peut-être même un peu trop. Mais c’était Joan. À croire que, même après tout ce temps-là, elle lui fait le même effet, la brune. À croire que, même après tout ce temps-là, elle reproduit les mêmes erreurs, Noela. Pourtant, dieu sait qu’elle la voudrait, Joan. Mais elle ne s’y résoudrait pas. Il y aurait trop d’obstacles à franchir. Trop de choses à admettre, à assumer, ce qu’elle n’est pas prête à faire. Ne l’a jamais été. Parce que quand elle l’a rencontrée, alors qu’elles étaient à la fac, c’était la même chose.

La revoilà, maintenant. Sur cette plage. Non plus seulement à San Diego.
Elle croit rêver. Il lui faudrait se réveiller. Pourtant, elle est là en chair et en os, Joan. Elle l’a même percutée, pas besoin de la pincer pour vérifier qu’elle est éveillée.  

Alors elle s’étonne. Intérieurement, se ravit. Parce qu’elle en a tellement rêvé. La revoir, lui parler. Parce qu’elle s’est tellement repassée, en boucle, leur dernier échange - la façon dont Joan l’avait chassée de chez elle, à raison. Parce qu’elle l’a tellement ressassé. Tellement regretté. Sans revenir vers elle, pour autant. Sans reprendre contact, jamais. Sans essayer de tout arranger. De se rattraper. De faire ce qu’il faudrait, pour être avec elle. Rien ne lui garantissait de toute manière que Joan en aurait eu envie. Elle est face à elle, à présent. Et Noela s’étonne de la trouver là, sur cette plage, à Oceanside. Et encore, elle n’est pas prête pour la réponse. Elle vit ici. Première nouvelle. « Tu... depuis quand ? » Cela peut sonner comme un interrogatoire, ce n’est pourtant pas son intention. C'est juste qu’elle est tellement prise de court, Noela, qu’elle ne retient pas ses questions, éberluée. Et puis, il y a la suite. Le coup de poignard dans le cœur. La pique acérée, méritée, que Joan lui balance. Ou peut-être que tu l’as oublié comme t’as oublié d’me dire que tu étais mariée. Outch. Elle grimace, la brune. Perd de son habituelle assurance, teintée d’arrogance. Si faible, face à Joan. Si fragile. « Non, j’ai pas oublié. » Peut-être un peu. L’espace d’un instant, sous le coup de la surprise, le choc. Son cerveau n’a pas fait toutes les connexions. Elle n’a pas réfléchi, a parlé impulsivement. Pas son genre. Joan lui fait perdre ses moyens. À chaque fois, il faut croire.
Et Joan lui en veut encore, de toute évidence. Même après un an. Dans le fond, cela la surprend. Elle pourrait juste tracer son chemin, la brune. Pourtant, elle reste là. Balance une deuxième pique, qui traduit toute son amertume, sa rancœur encore vive. « Peu importe. » Elle hausse les épaules. S’en fiche. Ce n’est pas le plus important, en cet instant précis. Mais la conversation ne peut pas s’arrêter là. Elle veut la retenir avant qu’elle ne s’envole, Noela. Avant que Joan ne lui file encore entre les doigts. Elle se reprend tout de même - retrouve vite son assurance, du moins en apparence. « Je constate que même après un an, tu es toujours rancunière. » Elle mourrait d’envie d’ajouter que de toute évidence, elle n’est pas passée à autre chose. Elle marche quand même sur des œufs, Noela. Pas envie de la faire fuir, déjà. Quoiqu'elle s’aventure sur une pente glissante.

La surprise est de taille. Elle te trouve, te déstabilise. Tu tentes pourtant de rester impassible, alors que tu bouillonnes. Alors que ton cœur s’emballe dans ta poitrine. Tu avais juste besoin de te changer les idées. De courir un peu sur la plage. Tu ne demandais rien d’autre, Joan. Sauf qu’il a fallu que Noela, elle se retrouve sur ton chemin et que tu rentres en collision avec elle. Il ne t’a fallu que quelques secondes pour reprendre tes esprits. Quelques secondes à peine, pour que le son de sa voix ne provoque en toi de vives émotions et ne te fasse comprendre de qui il s’agissait. Que c’était Noela, cette personne percutée. Noela que tu n’as jamais su oublier, mettre de côté malgré la trahison que tu ne peux effacer. Noela qui hante tes esprits presque jour et nuit, mais que tu préfères nier et mettre de côté. Tu as continué ta vie, Joan, après cette fois-là, à Oceanside. Après que tu te sois sentie trahie, que tu aies pris les choses - peut-être un peu trop - à cœur. Car après tout, il n’était question que de quelques jours. D’une attirance, de moments charnels entre vous. Tu savais, dans le fond, que ça n’aurait pas duré. Relation cachée et éphémère qui t’a pourtant retourné le cœur. Noela qui a réapparu dans ta vie bien des années après cette soirée estudiantine où elle n’a plus non plus, donné signe de vie. Schéma qui se répète. À croire que tu aurais dû t’y attendre.

Sauf que non, tu ne t’attendais pas à ce qu’elle te dise qu’elle était avec quelqu’un. Mariée, qui plus est. T’es tombée de haut. Tu lui a demandé de dégager. Et tu as repris le cours de ta vie, Joan. Sauf qu’une fois de plus, Noela, elle est devant toi. Et t’es froide, Joan. Parce que sans même le savoir, elle t’a brisé le cœur. Elle t’a menti, la brune. Et tu ne mâches pas tes mots, pour lui répondre, bras croisé sur ta poitrine, alors que tu reprends doucement ton souffle.

— Qu’est-ce que ça peut te faire. Tu ne réponds pas à sa question, car après tout, elle n’a pas à le savoir. À Noela, tu ne lui dois rien, Joan. Tu lui as déjà bien trop donné il y a un an que pour te laisser avoir une nouvelle fois. Tes yeux sont plongés dans les siens. Tu essayes de ne rien laisser paraître, car tu ne veux pas lui montrer ton cœur brisé. Tu ne veux pas lui montrer que tout ça, ça a compté.

— Je ne suis pas rancunière, je n’aime juste pas qu’on se foute de moi. Tu hausses les épaules à ton tour, surenchérissant la moindre de ses paroles comme pour te justifier de la colère qui prend possession de tes mots et de tes pensées.

— Tu t’es servie de moi pour assouvir un de tes fantasmes ? Tu mords une nouvelle fois, Joan. Question qui te brule les lèvres que tu lui balances sans la moindre pression. Tes bras toujours croisés sur ta poitrine, le corps incapable de bouger et de t’éloigner de Noela. Comme si rentrer dans sa bulle faisait en sorte que tu n’en sortes plus. Mais t’as pas envie d’être prisonnière d’elle, Joan. Pas une nouvelle fois.

tw: mort, mention d'adultère.

Elle la hante, Joan.
Même après tout ce temps. Même si, au fond, elles se connaissent bien peu. Même si, finalement, elle ne sait pas grand-chose d’elle. Elle est d’Oceanside, elle aussi. Elle a fait ses études à l’université de San Diego, comme elle. C'est comme cela qu’elles s’étaient connues, même. Et puis, elle l’a recroisée, des années plus tard. Des années après ne l’avoir pas rappelée, pas envoyé de message. Mais elle y avait songé, beaucoup, Noela. On n’oublie pas Joan comme cela. Elle, ce n’était pas son cas. Elle, elle y a pensé jour et nuit. Car la brune lui avait laissé un souvenir impérissable. L'avait profondément marquée, touchée, remuée. Comme personne d’autre, au fond, ne l’a fait. Peut-être même pas Al. Pourquoi est-ce que c’est si différent, avec Joan ? Pourquoi est-ce qu’elle est incapable de l’oublier, continue encore d’y penser ? Elle l’a si fort ébranlée. Et, il y a un an, elle n’en a pas eu assez. Elle aurait voulu plus, plutôt que partir avec ce goût d’inachevé. Mais elle le savait, Noe. Elle le savait, que de toute façon, elle partirait. Comme elle l’a toujours fait. C’est peut-être pour cela, qu’elle y pense encore si intensément. Se remémore tout, chaque instant avec Joan. Parce que c’était perdu d’avance. Parce qu’elle n’aurait pas pu l’avoir, de toute façon. Elle n’aurait même pas dû l’avoir, tout court. Parce qu’elle était mariée à un autre. Parce qu’elle l’est encore.

Pourtant, elle la hante, Joan.
Même après tout ce temps. Même mariée à Al. Elle contribue peut-être involontairement à couler leur mariage. Pas forcément avec Joan – mais aussi, simplement, depuis. Peut-être même un peu avant. Elle n’est pas si facile à aimer, Noela. Elle n’est pas si facile quand elle aime, non plus – pas assez démonstrative, trop secrète. Trop dans son monde, peut-être. À garde trop de choses pour elle.

Elle la hante, Joan.
Et maintenant, elle est là. Croisée, bousculée, au hasard, sur cette plage. À Oceanside. Pas à San Diego. Elle ne comprend pas, Noela, d’abord. Les connexions peinent à se faire, dans son cerveau. Et peut-être qu’elle est native de la ville, Joan – mais rien n’avait laissé présager, la dernière fois, qu’elle reviendrait dans les parages. Joan ne veut pas lui répondre, évidemment. La rancœur est piquante. « T’as raison, j’m’en fiche. » Elle préfère le détachement, feindre l’indifférence. En réalité, à être si secrète, peut-être qu’on la pense froide, trop souvent. N'est-ce pas aussi ce que Majolica lui reproche ? D’être trop distante. Trop dans son coin. Mais elle a toujours été comme cela, Noela. A si fort peiné à trouver sa place, parmi les siens. Après le décès de sa mère, le remariage de son père. Cela n’a pas toujours été simple. Cela a construit aussi son caractère ; peut-être ne peut-elle plus, aujourd’hui, s’en défaire. Elle devrait sans doute se taire. Provoque un peu, tout de même. Joan a l’air toujours rancunière. Qui pourrait l’en blâmer, après ce qu’elle lui a fait ? Elle l’a déçue deux fois, déjà. Et elle s’enfonce, Noela, au lieu de faire profil bas. « Je me suis foutue de toi ? » Elle lâche un rire amer. Question rhétorique, dans le fond. Elle ne peut pas en vouloir à Joan, cependant. Elle a sans doute raison, au fond. Elle s’est foutue d’elle, mais sans le vouloir. Elle n’a pas réussi à lui dire plus tôt qu’elle était mariée. Trop peur de voir Joan lui filer entre les doigts. C'était égoïste, elle le sait. Pour Joan, mais aussi pour Al. Les mots qu’elle lui sort alors la prennent de court, l’ébranlent, l’agacent. « Pour assouvir un de mes fantasmes ? » s’insurge-t-elle, piquée. Touchée en plein cœur. Peut-être qu’elle mérite sa colère, sa rancœur. Mais cela fait mal, quand même. « T'as tous les droits de m’en vouloir, mais non, c’était pas un putain de fantasme. Pas comme tu l’entends, en tout cas. » Et elle n’aime pas ce qu’elle sous-entend, Noela. Ce qu’elle croit comprendre. D'ailleurs, elle ne lui est pas tombée dans les bras parce qu’elle était une mariée qui s’ennuyait. Non, c’est plus compliqué que cela.

Ton cœur s’emballe. Comme cette première fois où tu as posé tes yeux sur elle à cette soirée étudiante. Ton cœur se serre, te fait mal. Les souvenirs de ces moments passés avec elle qui reviennent sans cesse dans ton esprit. Tu ressens encore le goût de ses lèvres, la douceur de sa peau. Tu frisonnes. Pourtant, tu restes impassible. Le regard rivé sur elle, les bras croisés sur ta poitrine. Signe de fermeture à la discussion. Pourtant tu lui réponds. T’es faible. C’est pour fort que toi. Des mois qu’elle te hante, que tu essayes de faire abstraction de tes pensées lorsqu’elle vient s’y immiscer. Noela que tu n’as jamais su oublier. Tout comme cette trahison. Tu entends encore ces mots dans ta tête. Ceux qui t’annoncent qu’elle ne peut plus continuer. Que rien de tout ça n’est correct. Qu’elle ne devrait pas. Ca, elle est mariée. Mariée a un homme depuis plusieurs années. Mariage dont tu n’avais pas connaissance, car sino, Joan, tu ne serais pas tombée dans ses bras. Tu aurais pris sur toi. Tu te serais faite violence pour passer ton chemin. Un élément de sa vie qu’elle a omis de te dire et qu’elle t’a balancé comme ça, alors que tu passais les plus beaux jours de ta vie. À ses côtés. Dans ses bras. Noela, elle a chamboulé ta vie. D’abord lorsque tu l’as revue à cette galerie. Ensuite lorsqu’elle t’a annoncé la vérité.

Tu n’arrives pas à ne plus y penser. Quand la nuit tombe et que tu te retrouves seule, ce qu’il s’est passé ne cesse de venir te hanter. Tu as eu des mots durs, ce jour-là. Sans même attendre la moindre explication, tu lui as demandé de partir de chez toi et c’est ce qu’elle a fait, Noela. Et elle ne saura jamais qu’une fois la porte refermée derrière elle, tu t’es effondrée. Trahie. Brisée. Tu n’as pas su ne pas t’attacher. Elle a pris ton cœur en otage en l’espace de quelques jours, toi qui, pourtant, n’a jamais eu besoin de qui que ce soit pour être heureuse. Et tu avais cru comprendre, que Noela, elle n’était peut-être pas digne de confiance. Car à l’époque, lors de votre première rencontre, elle t’a tout simplement niée, alors que plusieurs baisers avaient été échangés. Mise de côté comme si tu n’étais rien. Et le schéma est le même. Il recommence. Trahie comme si une fois de plus, tu n’étais rien

Mais le destin se joue de vous.
Car elle est là, Noela.
Face à toi.

— Alors c’était quoi, Noela ? Le ton est froid, le regard glacial. Tu mets de côté le reste de tes émotions, car c’est la colère qui a maintenant pris le dessus.

Tu lui en veux, à Noela. Énormément. Pendant des mois, tu t’es fait des histoires. Tu t’es demandé sans cesse pourquoi elle avait fait ça. Tout aurait été plus simple si elle t’avait avoué les choses dès le début. Tu ne serais pas tombée dans ses bras.
Tu ne serais pas tombée amoureuse d’elle.

— Aide-moi, car j’ai franchement difficile à comprendre pourquoi t’as fait ça. Pourquoi t’as rien dit. Pourquoi tu m’as laissée … Tu t’arrêtes. Te reprends. Raclement de gorge qui se fait entendre alors que tu laisses tomber tes bras le long de ton corps, que ta tête se tourne et que tes yeux se lèvent au ciel. — Et ton mari, tu lui as menti à lui aussi ? Ou est-il au courant ? Que tu lui souffles lorsque ton regard fini par revenir sur elle.

Spoiler:

tw: mention d'adultère.

Elle a dit oui un autre, il y a trois ans déjà.
Et depuis, sa vie a complètement changé. Depuis, elle a pu réaliser ses rêves, Noela. Avoir sa propre galerie, faire son nom dans le domaine des marchands d’art d’Oceanside. Elle a trouvé l’amour, aussi. Celui qui donne envie de soulever des montagnes. Celui qui met des papillons dans le ventre. Celui qui embellit le quotidien. C'était le cas, au début, en tout cas. Ils étaient heureux, Aldwin et elle. S'étaient bien trouvés, en dépit de leurs différences. Elle, elle ne s’est jamais sentie acceptée des Barnes, pourtant. Jamais vraiment sentie à sa place. On le lui fait sentir, depuis trois ans déjà. Et elle ne baisse pas les bras, Noela, se fait un malin plaisir de rester impassible, comme si rien ne la touchait, ne l’atteignait. Mais ce n’est pas la vérité. Avec la famille de son époux, elle se sent de trop, elle se sent rejetée. Pas assez bien. Et elle voulait ne pas les laisser gagner, mais elle l’a peut-être quand même déjà fait. Elle a commencé à baisser les bras. Ou c’est peut-être autre chose, le problème. Toujours est-il qu’Al et elle s’éloignent, depuis quelques temps. Elle a l’impression qu’ils n’arriveraient plus à soulever des montagnes ensemble. Que les papillons dans le ventre sont endormis. Que le quotidien est cruellement répétitif. Sa galerie lui plaît, bien sûr. Mais c’est peut-être devenu son unique source de joie.

Et puis, il y a un an, un temps, il y a eu Joan.
Noela, elle n’y avait pas le droit. Mais elle n’a pas réfléchi.

C'est la première fois depuis longtemps où le contrôle lui échappait. Et ce n’était peut-être pas plus mal. Le truc, c’est qu’elle aurait dû le faire, au moins un peu. Histoire de ne pas se retrouver à tromper son mari, elle qui s’était toujours crue mieux que cela.
Mais elle a éveillé quelque chose en elle, tout de même, Joan. C'est comme si elle était retombée des années plus tôt dans le passé. À l’époque où, pour la première fois, elle l’avait rencontrée. Puis fuie. Pourtant, Joan déjà lui plaisait, et pour cela, l’effrayait. Il y a un an, elle ne pouvait pas fuir. Ne voulait pas la laisser filer non plus. Enfin, elle n’avait pas réfléchi - lui était juste tombée dans les bras. Quelques jours hors du temps qui lui avaient laissé un souvenir prégnant. Maintenant, Joan doit la détester. Pas difficile à tirer comme conclusion, d’autant plus que cela se voie, se sent, à présent qu’elle se retrouve face à elle. Joan n’est que colère, rancœur. Joan l’accuse d’avoir juste voulu assouvir un fantasme avec elle. De quoi piquer aussitôt Noela. La question de Joan est légitime, mais la prend pourtant de court. C’était quoi. Elle ne peut pas répondre à cette question-là. « Tu le sais très bien. » Facile. Dans un sens, elle fuit. Mais est-ce que cela ne s’était pas vu ? Combien Joan lui faisait tourner la tête ? Ce n’était pas le fantasme d’une jeune femme mariée s’ennuyant dans son ménage, ayant grand besoin de piment. Ce n’était pas non plus une expérimentation. Joan lui plaisait. Elle avait eu envie d’elle, de ses lèvres, et lui était tombée dans les bras sans réfléchir. Oui, ce n’était pas juste. Oui, elle n’a aucune excuse. Mais c’était sincère. « Pourquoi ? » Elle en lâche un rire amer. « Parce que j’ai fait une connerie, Joan. J'avais rien prévu, hein. J’avais pas de mauvaises intentions. C’est juste... arrivé. » Avait laissé l’envie lui monter à la tête. Elle aimerait être bien mieux que cela, Noela. Elle se croyait mieux que cela, trop bien pour sombrer dans l’adultère. Et pourtant. Jamais personne ne lui avait donné envie de le faire. Mais face à Joan, c’est comme si son cerveau s’était déconnecté. C'est le cœur, avant tout, qui avait parlé. Mais elle ne peut pas le dire à Joan. Parce qu’elle parle si peu de ce qu’elle ressent, Noela. Et puis, à quoi bon ? Elle a tenté d’enterrer leur liaison. Surtout auprès d’Al, auquel Joan fait justement allusion. De quoi accentuer son agacement. « Non, il ne sait rien. » Autant dire la vérité. Elle ne veut plus lui mentir – au moins à elle. « J’essaie d’aller de l’avant. » D’oublier ce qu’elle a fait. De se rattraper. Si c’est seulement possible. Elle en doute, en vérité.

Rancoeur encore bien trop présente. Les souvenirs enfouis qui te reviennent bien trop vite. Noela qui est face à toi. Noela que tu n’as jamais oublié. Pas avec cette trahison. Noela qui t’a brisé le cœur, mais qui le fait toujours autant chavirer. Tu ne demandais rien, avec elle. Tu vivais. Tu rigolais. Tu sens encore la douceur de sa peau sous tes doigts. Ses lèvres contre les siennes et son parfum te chatouiller les narines. Noela qui t’a menti pendant des jours, alors que vous échappiez de la réalité dans les bras l’une de l’autre. Tu t’es sentie trahie, parce que tu t’ouvrais à elle. Parce qu’elle a su faire tomber des barrières que personne n’a su faire tomber avant. Noela qui t’a rendue faible, qui t’a fait croire en un soupçon d’amour, même si c’était bien trop tôt.

Jamais tu n’aurais pensé obtenir ce rôle. Celle de la maîtresse. Celle qui chamboule toute une vie de couple. Celle qui vient perturber tout un quotidien bien établi. T’es devenue celle que beaucoup déteste. Mais t’y peux rien, Joan. Elle s’est jouée de toi, Noela. N’a pas été sincère. N’a rien dit sur son mariage. A pris soin de cacher soigneusement sa bague alors qu’elle partageait tes draps. Tu te sens débile. Tu as essayé de l’oublier. Tu y arrivais. Un peu. Et tu ne t’attendais pas à la revoir ici. À Oceanside. Sur cette place.
Noela qui est face à toi et qui te déstabilise. Tu ne montres rien. Tu essayes, du moins. Tu prends sur toi. Tu as le regard noir, les sourcils froncés, les bras croisés sur ta poitrine. T’as pas envie d’être gentille avec la brune, alors qu’intérieurement, ton cœur s'emballe. Ton cœur aimerait guider tes gestes. La prendre dans tes bras, poser tes lèvres une fois de plus sur les siennes. Mais tu ne peux pas. Noela, elle est mariée.

— Non, franchement, je ne sais pas, Noela. Que tu laisses échapper dans un soupir.

Une partie de toi aimerait que tout ça ait été réel. Que ce n’était pas juste elle. Que ça a compté aussi pour Noela. Mais tu as mis tous tes espoirs de côté lorsqu’elle t’a tout avoué il y a déjà plus d’un an. C’est la première fois que tu as ressentis une telle passion, une telle envie avec quelqu’un. Noela t’a montré un tout autre aspect de toi. Toi qui t’es toujours montrée indépendante, toi qui as toujours clamé haut et fort que tu n’avais besoin de personne. Noela, elle t’a touchée en plein cœur. Elle t’a fait perdre la tête, perdre pied. Alors oui Joan, tu aimerais croire que ce que vous avez vécu était bel et bien réel pour elle. Mais tu as dû mal à te faire à cette idée. Tu as du mal à l’accepter.

— Ouais … De faire comme si rien de tout ça n’avait existé, pour reprendre ta petite vie tranquille avec ton mari. Tu n’y arrives pas, Joan. Tes mots sont encore piquants envers elle, car tu n’arrives pas à être gentille. Tu n’arrives pas à lui parler calmement alors que la colère a pris possession de toi depuis cette trahison.

— Tu sais quoi, j’veux plus rien savoir. Tu soupir une nouvelle fois avant de détourner le regard. — Je n’ai pas que ça à faire de ma journée. Tu te recules légèrement, avant de reposer ton regard sur elle. — Bonne journée, Noela. Mes amitiés à ton mari. Que tu lui lances avant de reprendre ta course. Avant de partir loin d’elle. Le cœur brisé, une fois de plus.