give peace a chance (w/majolica)

tw: mort, deuil.

Elle est si obnubilée par sa carrière, son travail. Sa galerie, c’est peut-être sa plus grande histoire d’amour - celle qu’elle a pu vivre grâce à la véritable, son mariage avec Al. Sa galerie, c’est sa plus grande fierté, sa réussite, son bébé. À croire qu’elle n’a jamais vraiment rêvé d’autre chose, Noela. Elle, c’est entourée d’art, qu’elle se sent bien. Se sent à sa place. Rien à voir, quand elle se retrouve en compagnie des Barnes. Là, elle ne se sent pas chez elle, elle ne se sent pas acceptée. Elle a l’impression d’être une imposture, qui n’a rien à faire dans cette famille-là. L’impression de faire tache, même, parce qu’ils ne l’acceptent pas. Ne l’apprécient pas. Elle a fait des efforts, pourtant, Noela. Elle a fait de son mieux pour qu’ils l’intègrent. Mais la famille Barnes au grand complet ne semble pas décidée. Même Oakley n’a jamais paru l’apprécier. Parfois, Noela, elle se laisse aller à croire qu’ils ont raison. Qu'elle ne devrait pas se battre, puisque c’est dans le vent. Qu'elle ne devrait pas se battre, parce qu’elle n’est peut-être pas heureuse ainsi, au fond. Elle essaie de se concentrer sur sa galerie – centre de sa vie. Pour oublier les maux, la déception. L'impression de ne pas être à la hauteur, pour Al – c'est ce qu’ils semblent penser, ses proches. Certaines fois, elle se met à y croire.

Heureusement, elle a une autre, de famille. Une famille que, peut-être, elle néglige. Une famille qu’elle aime, pourtant. Elle n’est juste pas douée pour le montrer, pas vraiment. Mais ce n’est pas volontaire ; elle a juste toujours été introvertie, même un peu solitaire. Elle ne fait pas dans la démonstration de sentiments, Noela. Peut-être s’est-elle fermée parce que sa mère est morte quand elle était trop jeune, encore – une perte qu’elle porte en elle encore, même après tout ce temps. Même en ayant si peu de souvenirs de celle qui l’a mise au monde. Après, son père s’est reconstruit, remarié, est même devenu père à nouveau. Majolica, elle est comme une sœur, une vraie, pas juste une demi comme la logique le voudrait. Même si elle est parfois distante, Noela, même si elle est peut-être juste nulle. Majo, elle l’aime, elle ne sait juste pas toujours le dire.
Elle le montre plutôt par des gestes. Il faut le lire dans ses yeux, son sourire, ses mots. Le comprendre dans ses actions.

Elle lui a proposé d’aller déjeuner toutes les deux, dans ce restaurant qu’elles aiment tant. C'est le temps idéal – le soleil brille haut dans le ciel bleu, sans nuages. Et puis, les températures sont douces. Il y a peut-être juste une petite brise, légère. Comme il y en a, simplement, en bord de mer. Elles devraient pouvoir en profiter. Peut-être même, après, pourront-elles aller marcher, à proximité. Elle est déjà en train d’y songer, Noela, ses pensées volant une fois de plus dans tous les sens, tandis qu’elle attend sa cadette, installée à la table qu’elle a réservée, lunettes de soleil sur le nez. Elle ne tarde pas à l’apercevoir, la brune, cependant – bientôt, la voilà à ses côtés. « Majo. » fait-elle en guise de salut, sourire aux lèvres, se levant pour s’approcher de sa demi-sœur – la serrer dans ses bras, même si c’est rare. Elle est bien l’une des seules personnes à y avoir le droit. « J’espère que tu as faim... Moi oui ! » ajoute-t-elle, enjouée. Elle sait qu’elle n’est pas à la hauteur, non plus, pour sa famille, pour sa sœur. Qu'elle n’est probablement pas à la hauteur avec grand-monde. Mais elle veut faire de son mieux, Noela. Le temps de ce déjeuner, peut-être même de cet après-midi, elle coupera son téléphone, laissera la galerie de côté. Pour se concentrer sur sa cadette. « Qu’est-ce que tu bois ? » s’enquiert-elle, en attrapant la carte qui les attendait, patiemment, sur la table. De son côté, elle a bien une idée, ayant sa petite préférence en matière de vin.

tw: —

Ne s’attendait pas à recevoir cette invitation de la part de Noela. Comme ça, sorti de nul part. C’est étrange lorsqu’on sait que toutes leurs conversations, ou presque, se terminent avec encore plus de distance entre elles. Mais elle a sauté sur l’occasion d’accepter, après lui avoir demandé quelle était l’occasion de ce déjeuner entre elles. Aucune, c’est ce que Majolica a compris avec la réponse de Noela et elle a dit simplement répondu oui, qu’elle serait présente là où sa sœur l’invite. Peut-être est-ce l’occasion pour elles de se rapprocher et à ça, Majolica est incapable de refuser. Ce besoin d’être encore plus incluse dans la vie de sa grande soeur, de celle qu’elle considère comme son modèle.

Elle a pris un temps fou à se préparer, incapable de se décider quoi enfiler pour ce déjeuner près de l’océan — comme si, Noela allait la juger sur ce qu’elle porte. Comme si tout ce qui se trouve dans sa penderie ne convient pas au statut de sa sœur. Celle de la femme élevée, élégante, mariée, toujours superbe. Parce qu’elle l’admire, Noela, Majolica, tout le temps. De cette manière plus discrète que dans le passé, de loin, lors des rares dîners où les quatre sont réunis sous le même toit, ce toit de leur enfance. Là où ils sont depuis ce déménagement à Oceanside. Souhaite faire bonne impression face à la seule personne qui ne la jugera jamais et Majolica ne sait pas trop comment justifier la nervosité qui s’est emparée d’elle le moment où elle a accepté cette invitation allant même à se trouver ridicule de se sentir nerveuse à cette idée de se retrouver face-à-face avec Noela.

Noela, celle qu’elle admire.
Qu’elle aime de tout son cœur pas parce qu’elle partage le même sang, mais parce qu’elle a toujours été son modèle — c’est une sensation étrange. Majo n’a pas les mots pour décrire comment elle se sent. Aimerait pouvoir le faire à la place de regarder son reflet dans le miroir puis l’heure sur son téléphone puis à nouveau son reflet. Jamais ne s’est-elle préoccupée de ce qu’une personne peut penser d’elle jusqu’à ce que Noela entre dans le tableau. Ne sait pas non plus comment se terminera ce moment entre elles. Elles discuteront, partageront les dernières nouveautés de leurs vies respectives, bien qu’elle se tienne très au courant de ce qui se trame dans la vie de Noela, souvent en posant la question à leur père, mais si Majolica suit la tendance, ça se finira en provocation.

Promets que tu chercheras pas Noela, aujourd’hui ; parole d’honneur qu’elle se tiendra tranquille. Avant même qu’on lui pointe la table réservée par les soins de sa grande sœur, Majolica l’aperçoit de loin et s’approche doucement, serrant la bandoulière de son sac à main. « Nono. » Ce surnom, offert gratuitement à Noela, lorsqu’elle était plus petite et incapable de dire son prénom entièrement — prise au dépourvu par cette étreinte. Ce moment, rare, où elle ne sent pas Noela se raidir dans ses bras et Majolica est incapable de combattre ce sourire qui désire seulement naître et elle le laisse s’afficher sur son visage, elle le laisse étirer ses lèvres. « Très. J’ai oublié de déjeuner ce matin et il semble qu’une tasse de café ne suffit plus. » Répond Majolica en prenant le menu dans ses mains, sans pour autant le regarder. Ce matin, elle n’avait pas faim. Trop nerveuse, peut-être. « Hum, je vais commencer par un verre d’eau et peut-être après un petit cocktail tranquille. » Pourtant, elle imite le geste de sa sœur en prenant la carte et regardant les options. « Alors que me vaut cet honneur ? Je ne suis pas en train de te faire une reproche, c’est une agréable surprise, je suis juste curieuse. » S’en veut déjà d’avoir posé la question qui lui brûlait les lèvres avant même de lui avoir demandé comment elle va.

tw: mort, deuil.

Aujourd'hui, elle prend le temps pour sa famille. Pour Majolica, tout du moins. Parce que c’était quand, la dernière fois ? La dernière fois où elles se sont vues, la dernière fois où elles ont passé un moment ensemble ? La dernière fois où elles ont ri, passé un bon moment ? Dans le fond, elle n’est pas dupe, Noela, elle n’est pas aveugle. Elle sait bien qu’elle n’est pas à la hauteur. Qu’elle déçoit probablement autant Majolica, qu’elle déçoit Al, qu’elle déçoit tout le monde. Parce qu’elle vit trop dans son monde, trop dans sa bulle. Parce qu’elle n’essaie pas toujours assez de l’éclater. Parfois, elle se complaît dans sa solitude, Noela. A du mal à laisser les autres y entrer. À leur laisser de la place. À les faire entrer dans son univers. Ce n’est pas volontaire. Elle ne s’en rend pas toujours compte, Noela. C’est juste ainsi qu’elle est faite, habituée à se débrouiller seule, en permanence. À ne dépendre de personne. Ce n’est pas un manque de confiance, ce n’est pas de la méfiance. C’est juste un haut niveau d’indépendance. Un haut niveau de besoin d’indépendance, sans doute, au fond.

Elle a proposé à Majolica d’aller déjeuner quelque part. Histoire de passer un moment à deux. Histoire de bien se remplir la panse, avec en prime vue sur l’océan. Elle est plutôt contente à cette idée, Noela. S’est même réjouie de retrouver sa cadette, ce midi. Réjouie de passer un moment en sa compagnie. Parce qu’elle n’est pas douée pour montrer qu’elle tient à elle, Noela, pourtant c’est bel et bien le cas. Alors, quand elle la voit arriver vers elle, quand elle se lève pour l’étreindre, c’est sincère, pas feint. Même si elle n’est vraiment pas douée. Même si elle grimace - par habitude - au surnom affectueux de Majolica. Surnom qui, en réalité, ne la gêne pas. Parce qu’il a une histoire, ce surnom. Une histoire réellement touchante. Elle retrouve alors de son enthousiasme, en lui disant qu’elle espère qu’elle a faim. « Tu as oublié ? » répète-t-elle, de sa voix de grande sœur. De sa voix de grande sœur qui s’inquiète, qui joue peut-être son rôle. Car cela lui arrive, en réalité, plus souvent qu’elle n’en a l’air, Noela. Elle cache simplement bien son jeu, la brune. Elle demande alors à sa cadette ce qu’elle veut boire. Majolica annonce qu’elle commencera par de l’eau, quitte à commander un cocktail plus tard. « Okay. Tu ne m’en veux pas si je me commande déjà un verre de vin ? » plaisante-t-elle en riant doucement. Au pire, elle pourra quand même trinquer avec elle, même si son verre est entamé. Reste à savoir sur quelle bouteille elle va jeter son dévolu, à présent qu’elle a la carte des vins en main. C’est à ce moment-là que Majolica l’interroge, lui demandant cash ce qui lui vaut cet honneur - bien qu’elle assure ne pas lui faire de reproches. Noela grimace tout de même un peu, quoiqu’elle sache que sa soeur a toutes les raisons de lui en faire, des reproches. « Je n’ai pas le droit d’avoir envie de déjeuner avec toi, face à la mer ? » réplique-t-elle, en haussant les épaules. Pas de reproches, non plus, dans ses mots. Pas d’agressivité. Loin de là. « Et puis, le temps est radieux. » Alors c’est l’occasion parfaite pour déjeuner en plein air, rien que toutes les deux. « Alors, quoi de neuf ? » Quoi de neuf depuis l’autre jour, leur - brève - conversation par sms, teintée d’ironie du côté de Majolica. Là encore, elle ne peut l’en blâmer, Noela.

tw: —

Il y aura toujours cette gamine qui est à la recherche de l’approbation absolue de Noela. Celle qui veut la voir lui offrir un sourire, celle qui veut l’entendre rire de sa blague. Il y aura toujours cette gamine qui recherche toujours Noela du regard, qui désire s’asseoir près d’elle et entendre sa voix lui raconter une courte histoire, sur répétition pour que sa voix ne s’éteigne jamais. Il y aura toujours la gamine qui cherche à obtenir l’admiration de sa grande sœur. Juste l’entendre, une fois, lui dire qu’elle est fière d’elle et une fois, ne pas la sentir se raidir dans ses bras après une étreinte de quelques secondes.

« J’ai eu une journée occupée. Ça m’est sorti de la tête, je ne sais pas quoi te dire, ça arrive. Pas souvent, mais ça arrive. » Elle ment, Majo. Elle ment sur le fait que sa journée a été occupée alors que ce n’est pas du tout le cas. Rien d’extravagant, rien qui l’occupe pendant longtemps au point d’oublier de manger. C’est l’anxiété, sa tête qui a pensé à cette réunion toute la journée jusqu’au dernier instant. A même eu de la difficulté à terminer sa tasse de café, laissant celle-ci traîner sur le comptoir de la cuisine. Haoyu sera heureux de voir son bordel à la maison. « Quoi ? » Demande Majolica après avoir relevé le regard, le posant sur sa grande sœur et tout de suite, Majolica n’aime pas l’expression qui se trouve sur les traits de Noela. « Ne me regarde pas avec cet air, j’ai assez de ma mère pour le faire. » Ajoute-t-elle en se repositionnant sur la chaise, d’un coup soudainement inconfortable sur celle-ci. C’est la présence de Noela et l’inquiétude décernée dans sa voix qui rendent le tout très inconfortable pour Majo. Peut-être par manque d’habitude de la part de Noela. « Non, vas-y, tu as l’âge pour boire alors ça ne me dérange pas. Je pense t’imiter aussi, ça sonne comme une bonne idée. » Peut-être pas, les soirées au bar où il lui arrive de boire un verre en compagnie d’un client afin de le faire taire. Ou toutes les fois où Aika et elle consomment de l’alcool au hang-out ou chez elle, tout simplement. Et la simple pensée semble lui tourner l’estomac et une grimace fait un passage rapide sur son visage. « Finalement, je pense que j’vais rester avec mon verre d’eau. » Conclut-elle avec un petit sourire. Elle ne peut pas s’empêcher de regarder Noela et de prendre une seconde afin de l’admirer. Noela est toujours magnifique. Toujours bien vêtue. Ses cheveux bruns toujours bien placé et même si le vent souffle dans la direction des deux sœurs, cela ne semble pas changer quoi que ce soit. Majolica est tout son contraire. Les cheveux rebelles ici et là, la touche de maquillage rapide sur les paupières et les vêtements décontractés. « Si— Tu as le droit. Je ne voulais rien sous-entendre par ma question, je trouve juste ça étrange d’être placée dans ton agenda occupée. » Son excuse qui se transforme en une espère de reproche, contre son gré et sous la réalisation, les paupières se ferment tandis qu’elle pousse un soupir. « Ce n’est pas ce que je voulais dire… Ce que j’essaie de dire est que tu es occupée et ce n’est pas une habitude, c’est tout. Beau temps ou pas. » Encore une fois trop maladroite avec les mots qu’elle emploie, Majolica finit par prendre la décision de se taire. « Pas grand-chose, tu sais, la routine. Les journées à la caserne, certains soirs au bar, la mauvaise humeur de mon colocataire, les soirées au hang-out parfois. Rien d’extravagant. » Majolica ne mentionne pas Bran. Ne mentionne pas cette relation dans laquelle elle se trouve depuis un temps, cette préférence de garder celle-ci encore un peu secrète. Leur petit sanctuaire à Bran et elle. « Tu as rappelé papa concernant le souper ? Comment va ton mari ? Et la galerie ? » Sa façon à elle de retourner la question dans sa direction.

tw: mort.

Elle n’est pas un modèle.
N'est pas la grande sœur parfaite. La grande sœur affectueuse, très expansive. Bien sûr, elle tient énormément à sa cadette, Noela. Bien sûr, elle s’inquiète sur elle, veille sur elle. À sa façon. Elle est protectrice, mais de façon discrète, avec réserve. Parce qu’elle est ainsi faite. Ce n’est pas volontaire, ce n’est pas dirigé contre Majolica. Ce n’est même pas parce qu’elle est sa demi-sœur et pas complètement sa sœur. Il n’y a pas de différence, pour Noela – elle est sa sœur, peu importe qu’elles n’aient pas la même mère. Et même, si elle osait, Noela, elle dirait peut-être que sa belle-mère a gagné, avec les années, bien plus une posture de mère qu’elle ne veut bien l’avouer. Car la sienne s’est vite envolée. Décédée quand elle était trop jeune encore, pour qu’elle puisse convenablement s’en rappeler. La mère de Majolica, au contraire, a presque toujours été là. A été une figure maternelle, non négligeable. Elle a grandi avec elle, Noela, et puis Majolica, leur père. Ils ont formé une famille recomposée, tous les quatre. Une famille aimante. Même si elle, Noela, elle s’est mise en retrait, quelques fois. Parce qu’elle avait ses maux, ses insécurités. Elle les a toujours un peu, d’ailleurs. Avec les années, d’autres se sont ajoutés.

Elle n’est peut-être pas un modèle de sœur, alors, pour Majolica.
Bien sûr, elle sera là si elle a besoin d’elle. Serait capable de tout laisser tomber, pour elle. Mais sans doute ne le montre-t-elle pas assez. Est-ce si surprenant, qu’elle lui ait proposé d’aller déjeuner ? Peut-être. C’est que Noela semble toujours être (trop) occupée. Toujours des millions de choses en tête, qui la font courir à droite et à gauche. Il y a sans doute bien une raison derrière cela, mais elle ne veut pas le voir en face, Noela. En tout cas, elle est sincèrement heureuse de voir sa cadette. Au moins, elle pourra s’assurer qu’elle avale quelque chose, ce midi. « Et ton estomac n’a pas grondé à un moment ou l’autre ? » Elle arque un sourcil, étonnée. Léger sourire aux lèvres, tout de même, pour ne pas paraître trop lui faire la morale. Ce qu’elle fait, tout de même, malgré elle. Et le pire, c’est qu’elle l’a bien déjà fait elle-même. Même trop souvent. Surtout en travaillant, trop concentrée sur sa tâche, ne voulant pas s’interrompre. Bien sûr, la faim l’a assaillie à un moment ou l’autre - mais cela finissait toujours par passer. Majolica riposte, évoquant sa mère qui la regarde déjà avec cet air. De quoi faire échapper à Noela un petit rire. « Peut-on la blâmer ? » Non, et d’ailleurs, sa question est parfaitement rhétorique - elle est douée pour cela, Noela. Faire les questions et les réponses, surtout quand cela l’arrange, d’ailleurs. De son côté, elle ne peut pas lutter face à son envie d’un bon verre de vin. Majolica semble un instant tentée de faire de même, en fin de compte, avant de changer d’avis. « L’appel de la raison ? » commente-t-elle, sans une once de jugement. Chacun boit bien ce qu’il veut, alcool ou non. Peu lui importe, dans le fond.

Et puis, il y a comme un moment de blanc, de gêne, soudainement.
Noela d’abord le prend comme un reproche. Sans se vexer réellement, cependant. Elle sait qu’elle n’est pas parfaite, loin de là même. Mais elle choisit de répondre avec humour. Majolica semble quelque peu décontenancée, tout à coup, pourtant. Noela l’écoute, sans trop savoir comment elle doit le prendre, ce coup-ci. Sa cadette se reprend tout de suite, essayant d’expliquer ce qu’elle voulait dire. Ce n’est pas grave, il n’y a pas de malentendu – mais cela suffit à prouver qu’il y a des non-dits. Elle n’a pas envie que sa sœur se retrouve à marcher sur des œufs, avec elle. « Non mais j’ai compris. Je te manque cruellement, voilà tout. » tente-t-elle la taquinerie, sourire en coin. Elle est comme cela, Noela. Toujours très second degré. Parfois ironique. Tout pour ne pas laisser transparaître ce qu’elle ressent. Elle s’en veut, pourtant. Sait qu’elle n’est pas à la hauteur. Ne l’a jamais été. A toujours évité de parler de ce qui la faisait souffrir. « Tu profites quand même, c’est bien. Et puis, tu sais ce qu’on dit : pas de nouvelles, bonnes nouvelles. » Bonne façon de relativiser, même si c’est peut-être surtout une façon assez simple d’envisager les choses. À dire vrai, Noela est certaine qu’il y a des choses que Majolica ne lui dit pas. N'a pas envie de lui dire. C'est pareil dans l’autre sens, à vrai dire. Elles ne sont pas obligées de tout se raconter. Ne l’ont jamais fait. « Hm, non, je dois le faire. C’est toi maintenant qui te prends pour ma mère ? » Nouvelle taquinerie lancée dans l’air, même si le sourire s’efface vite. Sa mère, elle n’en parle jamais vraiment. « C’est quoi cet interrogatoire ? » plaisante-t-elle encore. Est-ce une façon de gagner du temps ? De cacher son malaise ? Son mari. C’est compliqué. Sa galerie ? Tout va bien, a priori. « Al va bien, la galerie va bien. » Elle ne veut pas trop s’étendre. « Pourquoi est-ce que tu as essayé de changer de sujet ? » Elle prend un air faussement soupçonneux, retrouve son sourire en coin. Ce n’est que pour rire, dans le fond, à moins que. Le serveur revient prendre commande à cet instant, coupant brièvement court à leur échange.

tw: —

Noela et Majolica.
Deux sœurs. L’aînée et la dernière. La première et la petite. Elles sont comme le jour et la nuit. Comme le sel et le poivre et ce n’est pas faute d’avoir essayé d’être comme sa grande sœur. De tout faire comme elle, au point, d’en être agaçante. D’être étourdissante dans ce besoin d’être identique à sa grande sœur parce que, même après toutes ces années, Majolica considère encore et toujours Noela comme son modèle. Un titre que cette dernière semble d’ailleurs refusée, certaines fois.

Et aujourd’hui, Majolica a commis l’erreur de mentionner ne pas avoir mangé quoi que ce soit et en retour, elle voit Noela s’inquiéter pour elle. Une inquiétude qui, selon Majolica, toujours, n’est pas fondée car pour elle ce n’est pas la fin du monde. « Si. Peut-être une ou deux fois, rien d’alarmant. » Même si elle tente de son mieux de camoufler l’agacement dans le ton de sa voix, ce dernier a tout de même quelques effluves d’un agacement parce que Majolica ne souhaite pas passer l’après-midi à parler de cela — elle sait que ce n’est pas bien d’oublier de changer et ce n’est pas comme si cela lui arrivait sur une base régulière, tous les jours. C’est un simple oubli qui a, par la suite, été mis au second-plan pour cause de stress. « Je t’assure que ce n’était pas mon intention d’oublier de grignoter quelque chose, mais est-ce que tu peux arrêter de sonner comme ma mère une seconde ? J’apprécie l’inquiétude, je t’assure que je n’ai pas fait exprès d’oublier de manger un truc. » Pourtant, Majolica réussit à trouver un certain réconfort dans le fait de voir sa grande sœur s’inquiéter de son bien-être. Pas parce qu’elle ne le fait jamais, mais qu’elle le fait toujours, habituellement, d’une manière plus discrète, moins vocale et le fait que cette fois ce soit face-à-face et à voix haute réussit à la faire fondre un tout petit, à faire disparaître l’agacement et ce, même si Noela semble prendre le côté de sa mère. Ce qui est étrange. Mais elle a un sourire tout de même, Majolica qui vient s’installer sur ses lèvres, l’espace de quelques secondes. « La différence est que tu es moins désagréable qu’elle. Quand tu veux. En fait, quand vous voulez toutes les deux. » Même si elle ne lui avouera jamais, Majolica considère Noela comme une deuxième mère, allant même jusqu’à copier certains éléments de sa personnalité afin de la coller sur elle pour ensuite dire : je suis comme Noela, regarde maman car au fond, c’est tout ce qu’elle a toujours désiré, Majolica.

Être comme Noela. « On va dire ça. Je sais aussi que boire avec l’estomac vide n’est jamais une bonne idée. » Elle hausse les épaules avec nonchalance. Un détail appris à la dure lors des années d’insouciance de Majolica et certaines fois, au hang-out. Les autres fois en regardant l’entourage autour d’elle. Sur le coup, elle est reconnaissante envers Noela ne prenne pas mal ce qu’elle tente de son mieux de dire, certaine, l’espace d’une seconde, certaine d’avoir tout gâché. Encore une fois. Typical Majolica, capable de gâcher une situation en moins de cinq minutes en voulant trop la chercher. Pas aujourd’hui, cependant, la promesse muette de bien se tenir. « Tu me manques aussi. » Ça, c’est la vérité. La pure et simple vérité ; se disant qu’elles n’ont jamais assez de temps toutes les deux. Jamais assez de conversation avant que celle-ci tourne au vinaigre. « J’essaie avant que je sois trop vieille de faire quoi que ce soit. » Elle exagère Majolica, un peu sur le bord du dramatique, mais son ton est moqueur, léger, de bonne humeur. Tout va bien pour le moment. Tout ira bien, pour une fois. Majolica y croît, réellement de toutes ses forces. Que cette fois, ce sera différent que les autres fois. « J’ai toujours voulu être comme toi alors je prends exemple sur la grande Noela et je prends de tes nouvelles et il y a beaucoup d’aspect dans ta vie alors j’essaie de couvrir le plus de territoire possible. Tant mieux si tout va bien avec Al et avec la galerie. » Mais elle est grillée, Majolica. Noela voit à travers son petit jeu. Sa tentative de changer le sujet. « Je n’essaie pas de changer le sujet juste de le rediriger dans ta direction avec ta vie plus passionnante que la mienne. » Ce qui est faux. Elle ne veut pas admettre quoi que ce soit sur Bran et elle. Elle ne veut pas lui dire tout cela alors qu’en réalité, Majolica veut tout lui dire. Absolument tout.

« Si j’essayais vraiment changer le sujet de la conversation, je te demanderai un truc dans le genre : qu’est-ce qu’une personne veut dire par je ne veux pas de sérieux, ça, c’est un bon changement de sujet. » Finit-elle par ajouter, son regard d’abord sur un couple plus loin puis finalement sur Noela, à qui elle offre un sourire.

tw: adultère.

Leurs rapports sont compliqués. Ou plutôt instables.
Cela peut dépendre de beaucoup de choses. Du temps dont Noela dispose. De l’endroit où elles voient. Des circonstances dans lesquelles elle se voient. D'une mauvaise journée passée, ou d’une journée plutôt chargée. Noela vit un peu trop à cent à l’heure, sans prendre le temps de se poser. Sans consacrer assez de temps aux siens, y compris à son propre époux. Elle pense que tout va bien, tente de se persuader, en essayant d’oublier qu’elle l’a trompé. C'est pareil avec les autres, y compris avec Majolica. Noela se persuade que tout va bien, sans doute parce qu’elle n’a pas le temps pour les complications. Jusqu'au moment où les complications débordent, s’imposent d’elles-mêmes, et où l’on ne peut plus rien faire. Avec Majolica, les tensions se ressentent, parfois. Et se manifestent par d’autres biais. Comme lors de cet échange, à propos du repas sauté par la cadette. Noela ne pense pas à mal, en insistant – mais s’enfonce peut-être, sans s’en rendre le compte. Parce qu’elle n’est pas la sœur parfaite. Mais cela ne veut pas dire qu’elle ne tient pas à Majolica, qu’elle ne veut pas le meilleur pour elle. Elle n’est juste pas très douée pour l’exprimer. Elle comprend en tout cas, à la réponse de sa cadette, Noela, qu’il vaut mieux ne pas trop s’attarder. « Très bien. » plie-t-elle, préférant calmer le jeu. Car elle sent bien l’agacement poindre dans la voix de Majolica. Et au fond, elle sait qu’elle ne peut pas la blâmer, qu’elle serait sans doute pareille à sa place. D'ailleurs, elle mentirait si elle prétendait qu’elle n’a jamais sauté de repas, surtout à cause du bureau – mais il faut au moins prétendre montrer l’exemple. « Je vais faire comme si tu n’avais pas sous-entendu que je pouvais parfois être désagréable. » Noela n’est nullement vexée, pour autant. Non, elle a ce sourire amusé aux coins des lèvres. Du Noela tout craché. En vrai, il en faut plus pour la vexer. Et elle sait qu’elle n’est pas parfaite, qu’elle a son caractère.

Elle veut profiter d’un bon déjeuner avec sa sœur, avec vue sur la mer. Est vraiment heureuse de la voir, de passer ce petit moment avec elle, même si elle sait qu’il sera toujours de courte durée. « Non, c’est sûr. » Autant ne pas boire l’estomac vide, alors. Pour profiter au maximum de ce repas. Si les vieilles rancœurs ne réapparaissent pas, tout du moins. Car elle les sent, Noela. Ou c’est peut-être qu’elle sait qu’elle n’est pas tout à fait innocente, elle-même. Fidèle à elle-même, elle préfère la taquinerie légère pour détendre l’atmosphère. Feindre l’insouciance. Ne s’attend pas à ce que sa cadette admette, qu’effectivement, elle lui manque. « Toi aussi. » Bref aveu, avant que la brune ne se concentre sur autre chose. Définitivement pas douée pour les déclarations. Mais cela a eu le mérite d’être sincère. « Trop vieille, à vingt-cinq ans, et puis quoi encore ? » Elle lâche un rire, amusée. N'est, là encore, pas le moins du monde outrée. Non, elle s’amuse du côté faussement dramatique de sa sœur. Ne tarde pas à lui rétorquer cependant que c’est elle qui se prend pour sa mère, à présent. « Mais oui, c’est ça. Ne me sors pas tes belles paroles. » Toujours la taquinerie, toujours le sourire en coin, toujours l’amusement, toujours la légèreté. Elle a bien noté que Majolica avait subtilement tourné le sujet en sa direction – manque de bol, Noela aussi a des choses à cacher, des sujets à éluder. Alors elle lui renvoie bien vite la balle. Et, à vrai dire, elle ne s’attend pas à ce que sa cadette lui dise si facilement la vérité. De façon détournée, toutefois. Comme elle-même le ferait. C’est qu’elles se ressemblent, en vérité. « Qui est cet.te abruti.e que j’aille lui toucher deux mots ? » réplique-t-elle, aussitôt, sur le ton de l’humour. Comme la grande sœur qui irait voir un gamin ayant embêté sa sœur à la sortie de l’école. Elle utilise sans doute le rire pour tout faire passer, Noela. Pour ne pas sombrer dans les confessions trop solennelles et l’expression excessive des sentiments. Il n’empêche que sa curiosité est piquée. Une curiosité saine, teintée de souci pour sa cadette. Parce qu’elle ne veut que le meilleur pour elle. Qu'elle soit heureuse. Elle le mérite – mille fois plus qu’elle.

tw: —

Ainsi est la relation entre Noela et Majolica depuis sa naissance.
Cette même distance qu’elle continue de parcourir, peu importe ce qui se dresse sur son chemin. Majolica refuse d’abandonner et c’est souvent dans les commentaires injustes, dans ce besoin de la chercher qu’elle espère peut-être trouver sa grande sœur, se disant que cela finira bien par actionner un interrupteur quelque part, la réaction qu’elle cherche réellement, sans jamais obtenir celle-ci et si Majolica s’en veut d’avoir emprunté un ton plus droit, plus fort qu’à l’ordinaire, cela ne semble pas déranger Noela plus que cela, pliant à sa demande, pour finir. Autant ne pas s’attarder sur un détail qui lui semble être minime. Rien d’alarmant. Un simple oubli de sa part et même si Majolica arrive à trouver une sorte de réconfort dans l’inquiétude de Noela, elle ne souhaite pas en parler trop longtemps parce que ça lui fait perdre son sourire et qu’elle n’aime pas avoir cette impression d’être une gamine qui se fait réprimander. « Merci. » Répond Majolica dans un simple soupir avant de retrouver un petit sourire, sourire qui se transforme en un rire. « Je n’oserai jamais sous-entendre quoi que ce soit. » Bien heureuse de voir ce sourire amusé sur les lèvres de sa grande sœur, celui qu’elle recherche désespérément. Celui que Majolica préfère voir apparaître sur les traits de sa sœur. Ce sourire qui lui dit que tout va bien, que ce repas entre sœurs ne risque pas de se gâcher à cause de cela.

Majolica aimerait le voir plus souvent ce sourire.
La grande sœur qui ne craint pas de laisser ce côté blagueur entrer en scène. Les conditions sont excellentes pour que ce soit une belle journée, un beau moment entre elles avec la table située parfaitement dans ce petit restaurant, avec cette vue sur la mer. « Plus tard, peut-être après mangé un truc. » Même si la notion de boire en compagnie de sa grande sœur lui semble encore étrange à ce jour, Majolica serait très heureuse de trinquer avec Noela, maintenant qu’elle est, depuis quelques années déjà, en âge de consommer sans avoir besoin de sortir une preuve quelconque. Les prunelles qui s’illuminent un instant, deux mots qui suffisent pour lui réchauffer le cœur. « On devrait se voir plus souvent. Une fois par mois plutôt qu’aux six mois, deux mois ou peu importe. » Ça lui plairait bien à Majolica de passer plus de temps en compagnie de sa grande sœur et ce, même si les nouveautés n’existent pas. Le simple fait de savoir qu’elle va bien, de la voir suffit à Majo. Elle serait capable de se contenter de cela, mais Majolica sait qu’avec leurs emplois chargés, cela peut se montrer difficile. « Je suis vieille aussi, j’ai trouvé un cheveu blanc l’autre fois et j’ai paniqué, je te jure. J’ai dû appeler Aika pour lui demander de venir me réconforter et me dire que j’étais encore jeune. » Son ton est dramatique et Majolica exagère sur beaucoup à l’exception de la découverte d’un cheveu blanc. Majolica a paniqué, pas à ce point-là, mais l’appel à Aika a été fait. Majolica finit par lever les deux mains dans les airs. « Tu m’as eu. Je n’ai rien de spécial à raconter et je me demandais juste si tu avais rappelé papa, c’est tout parce qu’il m’a posé la question alors voilà, je me suis informée. » Loin d’elle l’envie de lui raconter que la majorité de ses nuits, elles sont en compagnie de Bran, cette envie de conserver cela encore un tout petit peu secret.

« Wow, wow, on se calme. » Elle a tout de même un sourire aux lèvres en disant ces mots, allant même jusqu’à un rire. « Ce n’est pas pour moi, c’est pour une amie qui s’est fait dire ça par un mec. » Parce que c’est mieux de prétendre que cette situation, ces mots, ne s’appliquent pas à elle, personnellement. De fabriquer un tout petit mensonge sur mesure et d’y aller selon le courant et la réalité est qu’elle-même ne sait pas ce qui l’empêche de partager que ça la concerne. Que ça a été sa situation. Ou est encore sa situation. « C’est pour Aika avant que tu me demandes. Tu te souviens de Aika ? Beauté fatale d’environ mon âge, avec son beau sourire et ses beaux yeux et ses cheveux super doux. C’est pour elle. » Aika, I’m sorry, pense-t-elle, elle-même très peu convaincu par cet effort ridicule.

tw: adultère.

Elle gère toujours les choses en solitaire. Sans doute trop, même. Avec Majolica, son père ou Al, c’est du pareil au même. Noela, elle ne se confie pas tant que cela. Noela, elle est un peu trop souvent dans sa bulle. Noela ne sait pas parler de ses faiblesses, ou de ses problèmes. Évidemment, elle n’a parlé à personne de Joan. Elle ne veut pas lire de jugement dans les yeux de ses proches. Elle ne veut pas non plus de réprimandes. Elle ne veut pas qu’on lui demande ce qui lui a pris, et elle ne veut pas non plus avoir à le dire. Ni à se le demander. Joan, elle l’a rangée dans un coin de son cœur, fermé à clé. Elle l’a envoyée peut-être aux oubliettes – sauf qu’elle y pense encore trop souvent. Encore plus, depuis qu’elle l’a recroisée sur la plage, il y a quelques temps. Depuis qu’elle lui a balancé sa haine au visage, finalement. Elle ne risque pas de l’oublier ; elle ne l’a jamais fait. Même si elle aurait dû. Parce qu’il y Al. Parce qu’il y a leur mariage. Va-t-il si bien que cela ? Ils ne se voient pas autant qu’ils le voudraient. Du moins, pas autant qu’il le faudrait. Et peut-être Noela laisse-t-elle lentement leur histoire faner.

Paradoxalement, elle gère peut-être mieux les choses avec sa sœur.
Pas sûr que cela suffise, cependant. Noela reste Noela. Noela aurait besoin de beaucoup trop de temps pour se rattraper. Pour se faire pardonner. Mais Majolica a accepté de la voir, de déjeuner avec elle, avec vue sur la mer. Les choses ne commencent peut-être pas très bien, cependant. Ce n’est pas une dispute, mais leurs premiers échanges trahissent une certaine tension sous-jacente. De la rancœur, de la part de Majo. Elle ne peut pas l’en blâmer, Noela, et d’ailleurs : elle ne le fait pas. Se sait tout à fait responsable, et n’est pas fière pour cela. Non, elle assume, la brune, en général. Sauf en ce qui concerne son adultère. « Oh non, jamais, au grand jamais. » On dirait que pour le moment, la brève tension est oubliée. En quelques sourires amusés, leur complicité – compliquée – semble retrouvée. Mais pour combien de temps ?
Elle veut sincèrement que ce déjeuner se passe bien, Noela. Et elle est aussi, sincèrement, heureuse de la voir. Elle n’imagine pas à quel point, Majo, alors que tout se complique dans la vie personnelle de son aînée. Ses histoires de cœur la travaillent plus qu’elle ne veut bien l’avouer. « Tu verras bien. Tu n’es pas obligée. » Elle hausse les épaules, Noela. Il y a tant de pression sociale autour du fait de devoir boire de l’alcool. En tout cas, l’espace d’un instant, elles arrivent à avouer qu’elles se manquent. Même Noela. Elle n’entend pas s’étendre. Mais Majolica suggère qu'elles se voient plus souvent. Au moins une fois par mois, plutôt qu’aléatoirement, comme c’est trop souvent le cas. « Une fois par mois, ça me semble possible. On pourrait se créer en effet un rendez-vous obligatoire mensuel. » Ce serait déjà un bon début. Cela ne veut pas dire qu’elles ne se verraient non plus qu’une fois par mois, forcément, et pas plus. La sincérité est bientôt balayée par les rires, alors que Majolica se prétend vieille. « Un cheveu blanc ? Mon dieu, c’est la fin de la fin. Bientôt, tu auras... des rides ? » Elle fait la grimace, pour rire, la rejoignant en jouant elle aussi les drama queens. Après tout, c’est peut-être de famille. Mais, contre toute attente, cela lui fait du bien, ce ton un peu plus léger, cette conversation plus informelle. « Je l’appellerai, ne t’en fais pas. Et je verrai si Al est disponible pour le prochain repas à la maison. » Elle regarde un peu au loin, pour voir si leur commande arrive. Pitié, qu’on lui apporte vite son verre de vin. Cela dit, elle change de sujet rapidement, Noela, ou plutôt, revient sur le premier, parce qu’elle a bien compris que Majolica tentait de l’éluder. Mais elle finit par laisser échapper quelques informations, sur lesquelles Noela saute, immédiatement. Sa sœur a-t-elle quelqu’un dans le viseur ? Elle s’empresse de prétendre que cela concerne Aika. Noela l’écoute, avec un regard soupçonneux qu’elle ne cherche pas à camoufler. Tant pis – au jeu des sous-entendus et des sens cachés, elle peut être très douée. Elles peuvent en parler sans en parler vraiment. « Bien sûr que je me souviens d’Aika. » Aika qui n’hésite jamais vraiment à lui faire comprendre qu’elle devrait voir plus souvent sa sœur et qu’elle ne passe pas beaucoup de temps avec elles. Leurs rapports sont... compliqués. « Pour Aika, hm ? Et tu penses que moi, je peux être de meilleur conseil que toi pour ton amie, à ce sujet ? » Là, elle ne peut plus retenir le sourire amusé, à nouveau. Oh, oui, à ce jeu-là, elle peut être douée. « Après, le problème, c’est qu’à vingt-cinq ans, tout le monde ne veut pas la même chose. Il y a ceux qui veulent profiter et il y a ceux qui ont déjà fondé une famille. » Elle hausse les épaules, Noela. Elle, à vingt-cinq ans, elle était libre comme l’air et elle l’appréciait. Elle n’avait pas encore rencontré Al. « Ah, enfiiiin ! » lâche-t-elle alors qu’elle voit le serveur revenir dans leur direction, avec leurs boissons.

tw: —

Un court instant, Majolica a réellement eu l’impression que ce déjeuner venait de tourner en désastre. Ce serait si facile de le faire, si difficile à éviter, la mèche trop courte maintenant pour éviter la catastrophe. Les retrouvailles gâchées en moins de dix minutes, un exploit et tout ça parce qu’elle refuse de prolonger la conversation sur un sujet qui semble ridicule aux yeux de Majolica. Si Noela n’avait pas lâché le morceau et ne lui avait pas offert des sourires amusés, leur déjeuner n’en serait pas où il en est à l’heure actuelle. Comme au tout début, où la complicité règne et le ton agacé n’est plus. « Au grand jamais. Parole de scout. » Bien que cela soit répondu sur un ton de plaisanterie, Majolica se voit, du coin de l’œil effectué le signe de promesse avec sa main droite avant de la faire disparaître sous la table. Car, au fond, Majolica sait que ce n’est pas pour être désagréable que Noela lui pose toutes ces questions, elle sait que sa sœur s’inquiète et cette inquiétude est loin de déplaire à Majolica, au contraire, c’est elle qui a de la difficulté à accepter que Noela s’inquiète d’elle. Qui veut y croire, qui ne veut pas y croire plus que cela. Cela risque de prendre plus de temps ; plus d’efforts, moins d’absences.

Le calme avant la tempête. Ainsi fonctionne les conversations entre les deux sœurs Vargas. La tempête souvent causée par le tempérament de la plus jeune, par cette manie d’embêter, de chercher Noela. Comme si un instant paisible et tranquille n’était pas possible entre elles sans entendre Majolica passer un commentaire. « Je sais. » L’eau lui suffit pour le moment, peut-être plus tard pour le verre d’alcool, peut-être pas. Et peut-être que dans une autre vie, peut-être se font-elles réellement ces petits rendez-vous une fois par mois. Peut-être que si elles n’étaient pas sur des ondes différentes, ce serait différent. Peut-être que si Majolica ne cherchait pas à la faire réagir pour un rien, cela arriverait pour de vrai. Mais l’espoir fait vivre apparemment et il y a la Majolica, gamine, qui s’y accroche de toutes ses forces. Qui préfère croire que le mois prochain, elles se retrouveront quelque part pour parler de tout et n’importe quoi. « Si tu as de la place dans ton agenda occupé, bien entendu. » Elle reste optimiste malgré tout, malgré le risque de déception, le risque que cette possibilité disparaisse aussi rapidement qu’elle est apparue.
Puis ses traits copient ceux de Noela, se transformant en une grimace, l’attitude toujours dramatique. « J’ai déjà des rides. » Le sourire encore présent, qui ne souhaite pas quitter ses lèvres. C’est si facile maintenant, c’est plaisant. Majolica ne se plaint pas. Finalement, elle acquiesce de la tête aux paroles de Noela sur ce repas de famille qui n’a toujours pas eu lieu. « C’est tout ce que je demande. » Un repas en famille comme auparavant, lorsqu’elle était encore petite et innocente. Avant de grandir et de voir les repas de famille devenir de plus en plus irréguliers.

Terrible menteuse, elle passe sa question sur le dos de son amie Aika, prétextant que cela est pour elle. Ce que Noela ne voit pas, ce sont ses mains sous la table qui ne cessent de faire tourner une bague encore et encore. Se dit mentalement que c’est plus facile ainsi. « Les problèmes d’Aika sont les miens et inversement, tu comprends? Alors prétend que c’est moi, Majolica, ta petite sœur qui a besoin de conseil à ce sujet. » Elle ne ment pas lorsqu’elle dit que les problèmes de son amie sont les siens et inversement. Le seul mensonge est celui où Majolica refuse d’admettre quoi que ce soit sur Bran, sur cette relation qu’elle a avec lui — c’est trop épineux comme sujet. Trop difficile à expliquer pour qui que ce soit ou plutôt, trop simple à dire. « Et si la personne ne veut rien de cela? Et s’il est juste... blasé, qu’est-ce que ça veut dire? » La réponse à sa question devra patienter un moment maintenant que le serveur s’approche d’elles pour déposer la coupe de vin de Noela sur la table. Majolica en profite pour boire une gorgée de son verre d’eau, un besoin de rafraîchir une gorge déshydratée. « Tu sembles plus heureuse de voir ton verre de vin que moi. » Maybe just maybe, il y a une pointe de jalousie dans la voix de Majolica bien qu’elle essaie de le dissimuler sous un effet comique. « Tu en avais si besoin que ça? » N’importe quoi pour ne pas allumer la mèche.

Et elle entend le sablier qui commence à se vider.
Comme rappel que la tempête se prépare au loin.

tw: /

Aujourd'hui, Noela est peut-être étrangement joviale. Qui pourrait croire, à ainsi la voir, que tout va de mal en pis dans son mariage ? Qu’elle a trompé Al ? Que les retrouvailles avec Joan lui ont lacéré le cœur ? Que la galerie l’inquiète, comme toujours ? Elle ne laisse jamais rien déborder, Noela. Elle fait toujours comme si tout allait bien. Elle donne l’illusion, revêt son masque. Ne laisse transparaître aucune émotion. Parfois, on la trouve peut-être même un peu froide, avec son assurance et son sourire éclatant. Car Noela, c’est un requin. À la voir comme cela, on ne dirait pas qu’elle a des failles. On ne dirait pas que parfois, elle a mal. Elle semble imperturbable, éternellement. Comme un roc. Mais ce n’est qu’une illusion. Et tout le monde se laisse berner. Même Majolica, même Al. À qui se révèle-t-elle vraiment ? À personne. Peut-être s’était-elle, tout de même, un peu ouverte à Joan. Pourquoi elle, elle n’en sait rien. Ce n’est pas contre les autres, dans le fond. C'est juste qu’elle est assez solitaire, Noela, derrière son tempérament de feu, son apparente sociabilité. Elle est capable de jouer le jeu en société, mais elle reste toujours la même, dans l’intimité. Une fille très tôt devenue indépendante, une sœur souvent absente. Une épouse toujours trop occupée par sa carrière. Et des maux qu’elle enfonce, tout au fond d’elle. Qu'elle réprime, même. C'est ainsi qu’elle est faite.

Majolica lui en veut. Au moins un peu.
Elle a toujours des raisons de le faire, Noela en donne à la pelle. Il y a des choses qui ne se pardonneront sans doute jamais. Car après tout, on ne pourra pas la changer. Elles ne se voient pas encore assez. Mais cela n’a rien à voir avec Majolica : ce n’est pas elle, le problème. C'est peut-être cliché, mais c’est elle, Noela. C'est qu’elle se garde en permanence très occupée, probablement pour ne pas avoir le temps d’affronter certaines choses. Celles qui font mal. Celles qui ont toujours été là, dont elle ne se débarrassera pas. Mais elle est sincère, quand elle dit que prévoir un rendez-vous entre elles chaque mois peut être faisable. Ne le prend pas à cœur quand Majolica mentionne son agenda bien occupé. « J’en trouverai. » Elle peut l’admettre, Noela. Elle a des efforts à faire. Elle en a même envie. Mais elle ignore combien de temps elle pourra tenir. Il n’empêche que sur le moment, quand elle y fait allusion, c’est sincère.
Et c’est même qu’elle passe un bon moment, jusqu’à présent, avec sa cadette. Une vague tension a été écartée – mais de là à leur trouver une complicité ? Peut-être pas. « Si toi tu as des rides et un cheveu blanc, imagine, moi. » répond-elle, sourire en coin. Elle, du haut de ses trente-et-un ans, en a déjà plus au compteur. Mais elle essaie de ne pas y prêter attention, sans s’en ficher vraiment. « Okay. » Pour le repas de famille, aussi, elle devra faire des efforts. Et pour tellement d’autres choses, encore.

La conversation dérive vers autre chose. Majolica. Non – paraît-il, Aika. Noela n’est pas dupe mais peut bien se prêter au jeu, si cela peut permettre d’en savoir un peu plus sur sa cadette et ses nouvelles. Alors elle joue le jeu, tente toutefois de mettre Majolica face à ses propres contradictions – mais elle est douée, cela, elle doit bien l’avouer. « Mais oui, bien sûr. Je ne suis pas sûre qu’Aika serait ravie de connaître mon avis, cela dit. » Car leurs rapports sont... elle ne saurait trop dire. L'amie de sa sœur lui a bien fait comprendre qu’elle devait faire des efforts avec cette dernière. Qu'elle n’était pas la sœur idéale. Noela n’a pas apprécié, quoiqu’elle sache qu’elle a raison. Qu'elle a ses propres torts, la Vargas. Noela essaie en tout cas d’aider sa sœur – enfin, Aika. « Blasé de quoi ? » demande-t-elle, intriguée. C'est tout ce qu'elle a le temps de répondre, car le serveur débarque. Et Noela ne cache pas sa joie, de voir arriver son verre de vin. Le serveur à peine reparti, Majolica relève immédiatement son enthousiasme. Avec une pointe de reproche dans la voix, non ? Noela fronce les sourcils. « Sérieusement, Majo ? » Elle lâche un soupir, un peu agacé. Ou plutôt, un soupir digne d’un adulte qui se trouve face à un enfant. Oui, ce genre de soupir un brin infantilisant. « Je suis juste ravie de pouvoir déguster un bon verre de vin, avec ma sœur, face à la mer. Y’a pas de honte à avoir, si ? » Ou bien frôle-t-elle l’alcoolisme à ses yeux ? Non, elle exagère, Noela. Et elle ne veut pas dire pourquoi oui, elle a terriblement besoin de ce verre de vin. Ce qui n’a rien à voir avec leur déjeuner à deux, rien à voir avec Majo. Mais qui a, plutôt, tout à voir avec sa désastreuse vie amoureuse.

tw: —

Ce ne sera jamais facile entre Noela et Majolica. Trop de rancune quelque part, dans les nombreux non-dits entre les deux sœurs et plus le temps passe, plus Majolica a l’impression qu’elles ne seront jamais capables de s’en remettre. Qu’il y aura constamment des sujets sur lesquels ne pas s’aventurer, des petites piques et remarques pour emmerder l’autre. Certes, une bonne majorité du temps, Majolica est celle qui cherche Noela, qui désire la faire réagir avec ses commentaires sarcastiques se disant, quelque part, qu’elles peuvent survivre à cela. Prétendre que les remarques n’existent pas, mais elles sont toujours quelque part, au-dessus de leurs têtes. Même dans les moments où la paix est déclarée, même dans ces rares instants où elles s’entendent bien, s’écoutent et discutent et se retrouvent pour un repas, pour boire un verre. Majolica avec son verre d’eau et Noela avec sa coupe de vin. Et elle aimerait que ce ne soit pas le cas, Majo, elle aimerait tant arriver à ne pas ressentir une certaine pointe de rancune lorsque ses prunelles se posent sur Noela, aimerait arriver à ne pas lui tenir rigueur de toutes les années où elle a eu l’impression de ne pas compter plus que cela à ses yeux. C’est juste trop difficile pour Majolica de passer outre, de prétendre quoi que ce soit.

Elle aimerait tellement leur donner une chance.
D’avoir une jolie relation où la paix règne tout le temps. Où elle n’a pas besoin de tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de dire quoi que ce soit. Faudrait déjà que la Vargas commence à lui exprimer tout ce qu’elle ressent sans avoir peur de la blesser ou de la faire fuir. Il faudrait qu’elle trouve son courage à deux mains et lui raconte toutes ces fois où elle a été blessée par son manque de présence dans sa vie, à très peu la voir et passer du temps avec elle. Agaçante jusqu’au bout, Majolica est souvent celle qui s’invite dans la vie de Noela, dans cette parcelle que sa grande sœur lui offre. Sauf aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est l’idée de Noela. « D’accord. » Souffle-t-elle tout bas, ce sourire qui demande simplement à voir le jour, se retient de la remercier de lui dire cela et peut-être croit-elle que cette fois, cette promesse sera tenue. Que cette fois, elles trouveront le temps, une fois par mois, de se voir et passer un moment toutes les deux. Maybe this time, tout sera différent, peut-être que cette fois, elles réussiront à passer par-dessus les non-dits. Se concentre sur le moment présent, maintenant. N’ira pas dans le passé. Son objectif est de passer un bon moment avec son aînée et elles parviennent à le faire, du moins, c’est l’impression que Majolica a. « Tu n’as rien. Toi, je suis certaine que même en vieillissant, tu rajeunis. » Et Majolica fait exactement ce qu’elle sait le mieux : mettre Noela sur un piédestal. Ne pas voir les défauts de son aînée, à se dire qu’elle est parfaite et excelle dans tout ce qu’elle entreprend car c’est l’image que Noela lui renvoi depuis des années. La seule à laquelle Majo a le droit depuis son enfance. Ne tenant pas compte des murs qui s’érigent devant Noela, continuant de se dire qu’un jour, ces murs n’existeront plus pour elle.

Peut-être qu’un jour, Noela se confiera comme Majolica se confie.
En camouflant certains détails, par exemple en prétextant que ce n’est pour elle, que c’est pour sa situation à elle, son problème à elle. « Pourquoi tu dis ça? » Questionne Majolica en fronçant les sourcils, perdue. Qu’est-ce que Noela essaie de lui dire ? Qu’a-t-elle manqué ? « Blasé de la vie en général, j’imagine. » Se tait le moment où le serveur arrive avec la consommation de Noela, ne dit rien, mais note l’enthousiasme de Noela face à ce verre et c’est plus fort que Majolica, la réplique démangeait trop pour ne pas la dire à voix haute. Ce qu’elle regrette aussitôt. Mais trop tard, elle ne peut pas reculer en arrière et se doit de démontrer à Noela qu’elle ne regrette rien même si son soupir lui donne l’impression d’être une gamine de cinq ans qui vient de faire déborder le vase. « Quoi ? Je fais seulement dire la vérité. » Elle hausse les épaules, s’emparant du menu pour avoir une raison de ne pas regarder Noela dans les yeux. « À la limite, ça te fait passer pour une alcoolique, les clients·es du bar ont le même enthousiasme que toi. » Elle exagère toutefois c’est sa méthode d’essayer de désamorcer la bombe.

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C’est certain qu’elle ne sait y pas faire correctement avec les sentiments. Ne sait pas faire dans la déclaration, ni dans l’effusion. Cela la met mal à l’aise. Cela la fait se sentir vulnérable. Cela va même au-delà de tout cela : elle peut être véritablement paniquée. Alors elle mime une indifférence incontrôlée. Ce n’est pas tout à fait volontaire, celle-ci transparaît malgré elle. Cela ne veut pas dire qu’elle s’en fiche vraiment, Noela. Elle n’est pas aussi indifférente qu’elle en a l’air. Mais elle est distante, lointaine. Perdue dans son monde. Elle sait que Majolica ne l’a pas toujours bien vécu, au fond. Mais Noela a toujours eu ses propres démons, même si elle n’en parle quasiment jamais. La mort prématurée de sa mère est restée un traumatisme, jamais tout à fait enfoui. Cela a été l’une des bases sur lesquelles Noela s’est construite, simplement. Elle a toujours été plutôt solitaire, cela n’a pas changé avec les années. Devenue adulte, elle s’est accrochée à son indépendance, comme une désespérée. Parfois, cela a créé quelques fissures dans certaines relations. Celle avec Majolica ne fait pas exception. Elle est peut-être même la première concernée.

Pourtant, elles sont de la même ascendance paternelle. Elles sont quasi sœurs, aux yeux de Noela, qui se fiche du demi censé s’ajouter. Pas besoin d’un sortilège pour y changer quoi que ce soit, c’est déjà très bien comme cela. Mais il y a quand même ce truc, entre elles, qui les sépare. Elles prévoient quand même d’essayer de se voir une fois par mois. C'est déjà bien, n’est-ce pas ? Elles peuvent y arriver, se retrouver autour de victuailles ou d’un verre, de temps en temps. Pour passer du temps ensemble. Même si son agenda n’est pas si malléable, Noela fera un effort, trouvera le temps pour sa cadette. Parce qu’elle est importante. Majolica n’insiste pas, semble simplement accepter de la croire – elle a même ce sourire, sur son visage. Celui qui met du baume au cœur de Noela, même si cela non plus, elle ne le dit pas. L’espace d’un instant, on pourrait croire que tout va toujours bien, entre elles. Qu'elles sont proches, complices même. Mais ce serait peut-être de la poudre de Perlimpinpin. « C’est parce que t’as jamais regardé avec attention dans mes cheveux ! Mais je prends le compliment. » Elle en rit, même, de bon cœur. Oui, elle se sent de bonne humeur. Le temps est agréable, le déjeuner sera bon. Tout est réuni pour passer un bon moment, non ?

Du moins tant que Noela esquive avec agilité les piques et provocations, réussit les tests de sa cadette. Oh, Majolica peut être douée. Presque machiavélique. Et en un rien de temps, elles risquent la dégringolade et doivent faire attention à comment placer leurs pions – la table violine comme un échiquier gigantesque et métaphorique. Pas de quoi faire flipper Noela, mais cela pourrait vite avoir raison de ses nerfs, en revanche. Pour l’heure, il est seulement encore question d’Aika, comme elle le prétend, même si la brune n’est pas dupe avec ce scénario fictif. « Pour rien. » répond-elle avec un regard oblique. Ce n’est pas le moment, elle ne veut pas s’étendre ou entrer dans les détails. Pas envie de lui raconter comme Aika lui balance – à raison – qu'elle délaisse sa sœur depuis trop longtemps. De toute manière, ce que dit Majo est trop intrigant. « Qu’est-ce qui lui est arrivé pour être blasé comme ça ? » Majolica saura-t-elle lui répondre, si elle pose la question pour Aika ? « Je pense dans ce cas qu’Aika devrait fuir, parce qu’à mon sens, elle est beaucoup trop douce et joviale pour être avec quelqu’un de blasé comme ça. Il risquerait de la tirer vers le bas, je suis pas sûre qu’il soit fait pour elle. » Elle regarde Majolica avec attention, à présent. Parce qu’elles savent très bien qu’elles parlent de Majolica elle-même, au fond, n’est-ce pas ?

Le serveur revient, à ce moment-là. Mettant leur conversation en suspend. Noela, elle, se réjouit de voir son vin servi. Peut-être qu’elle aurait dû se méfier, mais elle n’a rien vu venir. La petite pique, la provocation de Majolica. Au lieu de l’esquiver, Noela tombe en plein dedans. Et sa cadette est loin de chercher à désenclencher les choses. Dans sa tête, c’est déjà un fourmillement de pensées qui s’entrechoquent. « Non, tu me cherches et tu fais l’enfant qui veut à tout prix de l’attention. » rétorque-t-elle, passablement agacée. D'autant plus que Majolica ne s’arrête pas là. Le deuxième coup frappe et Noela ne s’y attendait pas. Encore moins à ce que cela fasse mal. Qu’est-ce qui cloche pour que les choses tournent ainsi au vinaigre ? « Wow, je te remercie pour ce merveilleux compliment, tu as le chic pour trouver les mots qui font plaisir. » ironise-t-elle, passablement agacée, attrapant son verre de vin pour en boire quelques gorgées. Maintenant, elle en a vraiment besoin, pour tâcher de se détendre avec tout cela. Dire que tout commençait si bien – ce déjeuner en terrasse avec vue sur la mer, à faire le plein de vitamine D.

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La vie est compliquée, les relations familiales le sont tout autant, par moment. La perfection dans une relation n’existe pas, il y aura toujours les hauts et les bas et certaines fois, Majo se demande s’il n’y a pas plus de bas dans sa relation avec Noela. Malgré tout l’amour qu’elle lui porte à sa grande sœur, toute cette admiration à l’égard de Noela. Malgré la place que Majo conserve pour Noela dans son cœur ; à se demander si sa dernière bêtise sera pardonnée, si ce qu’elle a dit lui en sera tenu rigueur ou pas et à toutes les fois, Noela arrive à excuser ce comportement de gamine qu’elle peut avoir, une bonne majorité du temps.

Peut-être que c’est son moyen de chercher une réaction de Noela.
Sa manière d’avoir une réponse de sa part, le seul moyen qui fonctionne réellement. Ou elle voit une étincelle d’émotions chez Noela. La promesse de se voir une fois par mois qu’elle écrit à l’encre noire dans son cœur. « C’est ce que tu penses. » Elle lui adresse un clin d’œil comme pour lui donner l’illusion qu’elle a bien fait attention à ses cheveux bien que son sourire vient dire le contraire. « Tu devrais le prendre comme un compliment, ç’en est un. » Son sourire qui prend de l’expansion en entendant sa grande sœur rire de bon cœur.

Bran, le blasé de la vie. Elle a Aika à qui en parler. Maintenant, elle veut avoir l’avis de Noela, veut savoir ce qu’elle, elle en pense de toute cette situation. Balaie d’une main imaginaire la réponse de Noela, se promettant d’y revenir une autre fois. « Un tas de merde, j’imagine. Aika ne m’a pas parlé des détails. » Bran, la voûte pleine de secrets dont elle ne possède toujours pas la clé. Peut-être un jour. Peut-être pas. Puis fuir n’est pas une option, et ça lui semble être le chemin le plus simple. Le plus facile. Parce que ce qu’elle ne mentionne pas, Majolica, c’est le lien d’attachement entre Bran et elle. Ce lien qui les relie tous les deux et toutes les soirées qu’ils passent ensemble et qui approfondissent ce lien. L’attachement de tous ces moments, de ces quelques rires, de ces nombreuses conversations, des sourires échangés. Alors non, fuir, pour Majo n’est pas une option et ce, même si elle sait qu’il y a les paroles vraies dans ce que Noela lui répond. « Tu as peut-être raison. » Qu’elle finit par répondre, cet ombre dans les prunelles, cherchant à éviter le regard de Noela qu’elle peut sentir sur elle comme un fer chauffé sur sa peau. Mais elle n’a pas envie de fuir, Majolica. Elle n’a pas envie de s’éloigner de Bran, allant même prête à se laisser tirer vers le bas juste pour ces quelques secondes avec lui, auprès de lui. Pour ces quelques soirées où ils existent seulement tous les deux et elle aimerait pouvoir dire à Noela que cette situation lui appartient complètement, allant même jusqu’à ouvrir la bouche pour le lui admettre, pour le lui dire, mais Majo ne le fait pas car elle sent une autre personne dans les parages, dans la proximité des deux sœurs et ça la dérange alors ses lèvres se collent et elle offre un sourire au serveur.

Et elle sait, Majolica.
Elle sait que c’est son commentaire qui a l’effet de faire cette certaine convivialité entre Noela et elle. Majolica sait que ce sont ses paroles qui ont l’effet d’une bombe sur ces retrouvailles entre les deux sœurs. Majo, elle sait tout cela et ça ne l’empêche pas d’ouvrir la bouche une première et une deuxième fois, le menu comme prétexte pour se retenir à quelque chose, le considérant comme un certain bouclier. « Ce n’est pas… » Les mots sont là, à tourner dans sa bouche, incapable de les prononcer. Incapable de terminer sa phrase et elle sent la culpabilité s’approcher de plus en plus proche d’elle, d’être sur le point de la submerger sous l’eau tandis qu’il lui serait si facile, à Majolica, de simplement demander pardon à Noela, de lui dire qu’elle ne voulait pas le dire de cette manière ni sur ce ton, qu’elle ne voulait pas que ça vienne gâcher ce moment. Comme les mots prononcés encore une fois. Ce n’est pas la première fois ni la dernière fois. « Pourquoi tu le prends mal? C’est interdit de faire une blague sans que tu le prennes mal, c’est ça? » Là, tout de suite, elle aurait aimé apprendre à se taire. À faire tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler, mais ça ne fait pas parti de ses forces à Majolica et à la rigueur, elle commence à être agacé elle aussi. « Je vais me taire à partir de maintenant et on peut parler du beau temps, si tu veux. Apparemment, il annonce de la pluie bientôt. » Elle hausse les épaules à la fin de sa phrase, buvant, elle aussi, une gorgée de son verre d’eau. Peut-être qu’en restant dans les sujets faciles et sans fonds, elles ne risquent pas plus de se prendre la tête. Peut-être réussiront-elles à avoir un déjeuner en harmonie.