I want you to hold out the palm of your hand
1. C'est à Bergen, en Norvège, que j'ai poussé mes premiers cris il y a de ça trente-deux ans. Seul et unique enfant de Lara et Gunnar Olsen, un enfant qui a fait le bonheur de ses parents de ce que ma mère m'a raporté. L'histoire aurait pu s'arrêter ici mais la vie en a décidé autrement. Papa pêcheur expérimenté qui n'a pourtant pas survécu au naufrage de son bâteau de pêche, des jours de recherche pour ne laisser qu'une mention sur l'acte : disparu en mer - déclaré mort. Maman qui se retrouve toute seule avec son bébé, un job de serveuse pour gagner quelques malheureux copecs et le coeur meurtri par la perte de son mari. Il n'a suffit que de quelques mois pour qu'elle ne prenne la décision de rejoindre sa soeur, Siv, sur le continent américain, plus précisément à Oceanside. Voilà comment, du haut de mes trois ans, j'ai embarqué pour un long voyage qui trente-deux ans plus tard ne s'est toujours pas achevé.
2. Siv, elle était riche parce qu'elle avait épousé un agent immobilier ayant fait fortune sur la côte californienne. Riche mais n'oubliant pas d'où elle vient, elle n'a pas hésité à mettre Maman à l'abris du besoin, nous faisant vivre dans la dépense de son immense maison, m'emmenant au country club alors que je n'étais encore haut comme trois pommes, me faisant découvrir les "joies" du golf. Elle avait également réussi à trouver une place de serveuse à ma mère et c'est comme ça qu'elle a rencontré Jean. Ah Jean, je l'appelle papa maintenant mais je vais peut-être un peu vite. S'il a commencé comme simple caddy dans ce country club, il était ambitieux, volontaire, et ainsi il a gravit les échelons pour se retrouver responsable d'équipe. Mais on s'en fou, l'important c'est qu'il a réussit à faire battre de nouveau le coeur de ma mère. Lui aussi avait une petite fille en bas âge, sans maman, cette dernière étant morte en donnant la vie. Ca sonnait paradisiaque comme vie : le soleil, des parents et une petite soeur, je me sentais comme le roi du pétrole quoi !
3. Finalement j'étais loin du compte. Le paradis, le vrai, je l'ai connu quand je suis tombé amoureux à l'âge de cinq ans. Si mes camarades de classes, des souvenirs que j'en ai, étaient très jolies, elles ne m'intéressaient pas, surement parce que j'étais trop occupé à être subjugué par le piano. Un objet vieillot qui trainait dans un coin de la maison, insrument laissé par la femme décédée de Jean. Personne ne le touchait, jusqu'à ce que je mette mon grain de sel et que naisse mon premier, mon seul et mon unique amour. J'étais obsédé, je ne pensais qu'à ça matin, midi et soir, seul jouer m'importait et je rentrais souvent dans des transes qui me laissaient les doigts enchylosés quand enfin je m'arrêtais. Maman s'est inquiétée, elle trouvait pas ça normal d'être autant attiré par un instrument à mon âge, puis mon professeur de piano a finit par lui dire que j'avais l'oreille absolue et qu'il était donc naturel que je me consacre autant à quelque chose pour lequel j'étais doué.
4. La musique a rapidement pris une place centrale dans ma vie, j'avais l'impression que j'étais né seulement pour ça. Pas vraiment intéressé par l'école, je ne devais que de passer dans l'année suivante à ma soeur qui faisait régulièrement mes devoirs à ma place. Puis à seize ans, j'ai arrêté d'y aller, ça n'a pas plu à la famille mais je m'en foutais. Piano et table de mixage dans ma chambre, je passais mes journées à composer, arranger, mixer et remixer à l'infini. J'étais pas sûr que ça paye tout ça, parce que le monde de la musique est un monde difficile. D'ailleurs, pendant trois ans, j'ai surtout vécu aux crochets de mes parents, entretenant une relation conflictuelle avec eux et il m'arrivait souvent de faire des petits boulots le week-end pour avoir un peu d'argent que j'investissais immédiatement dans ma passion. Finalement, c'est à dix-huit ans que ça a véritablement décoller et c'est ainsi que j'ai découvert le monde de la nuit.
5. Un monde de la nuit, de la fête, n'obéissant à aucune règle et n'ayant aucune limite. Au début, je me suis contenté de faire ce que je faisais de mieux : mixer. Puis à l'aube de la majorité, les mauvaises fréquentations ont croisé ma route, me faisant découvrir les excès de ce monde. Il fallait tenir parce que les nuits étaient longues et très fatigantes, alors je suis rapidement tombé dans un cercle vicieux sur fond de poudre blanche et de purple drank. Oh, ça n'a pas duré longtemps parce que mes parents s'en sont mêlés, me menaçant de m'envoyer bon gré malgré en désintox si je ne me calmais pas. Mais assez longtemps pour que je rencontre Kira et elle a littéralement remué ma vie. Sous la menace de mes parents, bien trop frileux d'oser défier leur autorité une fois de trop et surtout de risque de perdre la musique, j'ai arrêté de consommer des produits stupéfiants. Ca ne m'empêchait pas de faire la fête, loin de là et surtout ça n'a pas ralenti Kira.
6. On s'aimait sincèrement, on s'est longtemps aimé passionément. Pourtant, pendant 8 ans notre relation a été équivalente à des montagnes russes ; je t'aime moi non plus, fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis. J'ai bien fini par réaliser qu'elle aimait la drogue plus que moi mais surement trop tard. Notre couple n'était pas sain, mis à mal par notre rythme de vie chaotique et abusif. On aurait dû en rester-là. Vingt-neuf ans et une énième réconciliation, une promesse de sa part de rester sobre pour moi, pour nous, pour elle. Pendant plus d'un an, tout était paradisiaque, j'ai même pris la décision de quitter le monde de la nuit dans lequel je recontrais un succès fou pour elle. Mais je l'aimais et l'amour fait faire des choses que nous ne nous pensons pas capables de faire.
7. Puis est venue cette annonce complètement inattendue, Kira attendait un bébé, le notre. Ca m'a rempli de joie, ça a également fait le bonheur de mes parents malgré le fait qu'ils n'aient jamais apprécié ma petite-amie. Arrivant à vivre en vendant quelques compositions et en produisant des musiques pour des artistes locaux, je n'aurais pas pu être plus heureux. Et pourtant, la vie réserve bien des surprises puisque à l'approche de la naissance du bébé, Kira et moi sommes repartis dans nos anciens travers. Trop de conflits, une vision différente de la vie et de l'éducation et finalement, on a pris la sage décision de se séparer en se faisant la promesse que nous agirions pour le bien de notre enfant. Mila a finalement pointé le bout de son nez le 13 février 2022 et je me rappelerais toujours de la première fois où je l'ai vu. J'ai compris ce que voulait vraiment dire aimer, réalisant que jusqu'à présent, j'étais bien loin de la vérité.
8. Avec Kira, on avait tout prévu, un partage de la garde qu'on avait pris le soin d'organiser en amont. Si durant les premiers mois, Mila a essentiellement vécu avec sa mère, j'ai retrouvé le monde de la nuit pour gagner un peu plus d'argent et pouvoir offrir le meilleur à ma fille. J'ai été con, influencé par une confiance aveugle que j'avais envers la mère de mon enfant. Il m'a fallut du temps pour revoir les signes, celui de la rechute de Kira. J'ai essayé plusieurs fois de la sortir de là, j'ai cru que la dernière fois avait marché, mais je me fourvoyais. Sauf que désormais il y avait Mila. Je suis rentré dans une colère noire, me retenant de justesse de prendre ma fille pour partir et ne jamais revenir. Alors j'ai décidé d'aider Kira une fois de plus, arrêtant de lui verser de l'argent et préférant payer directement son loyer et lui faire ses courses. J'avais pas envie qu'elle se serve de mon argent pour acheter ses conneries parce que je ne voulais pas ça pour Mila.
9. Pendant plusieurs semaines, ça a plutôt bien fonctionné malgré nos contacts qui n'étaient que très sommaires. Une matinée, tandis que j'arrivais avec les courses, j'ai trouvé la porte fermée, le sac des courses précédentes toujours sur le palier. Je n'ai pas hésité une seconde, j'ai défoncé la porte pour trouver un tableau qui me glace encore les sangs : Mila dormant dans son berceau, sa mère en pleine overdose à ses côtés. Les secours n'ont pas mis longtemps à arriver et j'ai ressenti un immense soulagement lorsque j'ai su que ma fille était en parfaite santé. Kira, elle, était dans un sale état et a été transportée en soins intensifs. Je l'ai veillé, j'ignore pourquoi mais je l'ai fait, peut-être bien pour avoir cette ultime discussion entre nous, celle où je lui ai dit que je ne lui pardonnerai jamais ce qu'elle avait. Jamais. Parfois, je regrette un peu mes paroles parce qu'une heure après ça, elle s'en est allée pour de bon, laissant son bébé sans mère et moi le coeur en miettes. Puis il y a eu la protection de l'enfance qui s'en est mêlée, ce juge qui m'a retiré l'autorité parentale de ma fille, me jugeant bien trop négligent pour élever un enfant. Il ne m'en a pas fallu plus pour sombrer, trouvant la voie facile en m'anestésiant grace à de nombreuses bouteilles.
10. Mila a été confiée à mes parents, me laissant l'opportunité de la voir réuglièrement mais j'étais complètement détruit d'avoir autant échoué dans mon rôle de père. Durant des semaines, j'ai déconné sévère, retrouvant mes excès de jeunesse pour me sentir à minimum euphorique. Une fois de plus, mes parents m'ont secoué avec un ultimatum : soit j'arrêtais tout, soit je ne reverrai jamais Mila. Alors j'ai remonté doucement la pente, doucement mais surement, soutenu par ma famille. Février 2023, alors que Mila soufle sa première bougie et que je me tue à la tâche pour lui offrir une vie digne de ce nom, le juge m'accorde de nouveau la garde de ma fille. J'ai complètement renoncé au monde de la nuit et ma carrière de dj, bien conscient que je dois faire mes preuves auprès des services sociaux. J'ai trouvé un job de livreur et je travaille en tant que barman le week-end dans un bar de jazz. J'ai trouvé un petit appartement pour Mila et moi et on essaye de tenir le cap tous les deux, de se reconstruire et de survivre dans cette vie bien étrange.