tw: divorce

Les photos soigneusement rangées dans les albums témoignent de ce temps qui semble pourtant si lointain aujourd’hui. De cette enfance qui rayonnait de bonheur. À travers elles, on peut presque entendre les rires des enfants qui rebondissent sur les murs de chacune des pièces de la maison. On y décèle la complicité palpable entre les cinq enfants de la fratrie. Des années pourtant que l’on n’a pas tourné les pages, que l’on n’a pas regardé ces images avec une nostalgie certaine. Parce que ça fait trop mal d’y repenser. On en parle peu, aussi, de ces années qui, pourtant, respiraient le bonheur. Les voisins diront sans doute qu’ils avaient tout de la famille typique. Cinq gamins tous aussi différents les uns des autres, avec leurs personnalités marquées, leurs intérêts aux antipodes, et leurs aspirations pour certains d’entre eux si loin de ce à quoi les parents auraient préféré qu’ils envisagent. Maman et papa diront qu’ils n’ont jamais eu de préféré, qu’ils auront tous été aimés à force égale. Pourtant, ce n’est un secret pour personne que papa aura préféré Finn à la seconde ou il aura exprimé le désire de suivre les traces du paternel. Que sa relation avec le second des enfants de la famille aura su se tailler une place de choix dans l’estime de leur père après avoir annoncé que les études n’étaient pas pour lui, et s’être engagé à temps plein dans la gestion de l’entreprise familiale. On blague souvent et l’on dit que papa aurait sans doute voulu que ce soit le premier de la famille qui fasse ce même choix, but beggars can’t be choosers. Maman, quand à elle, aura toujours eu un peu plus d’affinité avec la seule fille de la famille, ce que les garçons auront tous toujours compris. Évidemment que maman allait la chouchouter plus que les autres. Les robes et les nattes, les rubans dans les cheveux, Róisín était une véritable petite poupée que maman pouvait modeler à son image. Si bien qu’en grandissant, on avait parfois l’impression qu’elles étaient plus amies qu’elles entretenaient une relation mère-fille. Papa aura longtemps blaguer que c’était parce que maman avait l’air si jeune qu’elle pouvait presque passer pour une sœur. C’était à l’époque ou ils s’aimaient encore, tous les deux, ce temps ou il lui apportait encore des fleurs juste parce qu’il avait vu un bouquet et qu’il contenait ses fleurs favorites. À l’époque ou elle lui écrivait de petits mots qu’elle glissait dans la boite à lunch qu’il apportait sur le bateau. Longtemps, ils auront été l’image d’un couple fort, de ceux que l’on imagine vivre éternellement, s’aimer dans toutes les vies qu’ils pourraient vivre, se retrouver qu’importe l’univers ou la dimension. Deux âmes faites pour se trouver qu’importe les circonstances. Cynique qu’il est aujourd’hui, Ronan dira qu’ils ont joué le jeu, qu’ils auront exécuté la parfaite mascarade si longtemps que tous auront fini par les croire. Sans doute qu’un temps, ils se sont aimés, vraiment. Sans doute que tous ces souvenirs qu’ils ont partagés, cette famille qu’ils ont fondée, n’étaient pas que de la poudre aux yeux. Pourtant, en rétrospective, il voit aujourd’hui les signes qui ne trompent pas. Les petites attentions qui étaient de moins en moins fréquentes. Les baisers se donnaient sur les joues plus souvent qu’autrement, et ceux qui étaient sur les lèvres ne duraient qu’une seconde ou deux, alors qu’ils n’étaient pas de ceux qui évitaient les démonstrations publiques d’affection.

La nouvelle n’aurait donc pas du choquer. Si on y portait un regard externe, tous les signes pointaient vers la finalité qu’ils auront connu, les parents Cahill. Et pourtant, Ronan se souvient de ce jour comme si c’était hier. Il se souvient du gamin qu’il était, revenant de l’école, le sac qu’il délesta de sur ses épaules à l’instant même ou il avait passé le pas de la porte. Il se souvient de son père qui se tenait devant lui, un sac de sport à la main. À cet instant, il s’était dit que c’était simplement un énième long périple en mer qui l’attendait et n’en avait pas fait plus de cas. Il avait réalisé que la chose était toute autre lorsqu’il s’est retrouvé entouré de ses frères et de sa sœur, les gamins tous entassés sur le canapé alors que maman se tenait devant eux. Les mots qu’elle vint à dire semblèrent ne pas faire de sens pendant un instant. Il les comprenait dans leur individualité, mais à la suite les uns des autres, c’était comme si son cerveau se refusait à vouloir leur trouver le bon sens.  « C’est de la merde. » Que s’était exclamé Eoin avant de disparaitre à l’étage, la porte de sa chambre claquant quelques secondes plus tard, la musique venant à se faire entendre jusqu’au salon. Autant dire qu’il ne prenait pas très bien la nouvelle. « Il ne reviendra plus jamais? » Les mots semblaient avoir tranquillement leur chemin, ou peut-être c’était la réaction de son frère qui avait instigué une réaction de la part de Ronan. « Tu parles comme s’il était mort. » Qu’avait balancé Finn, la réplique accompagnée d’un roulement d’yeux et d’un agacement visible. « C’est presque comme si. » Que rétorqua le plus jeune des enfants. « Si t’es heureuse dans tout ça, c’est le plus important. » Que rationnalisa Oisín avec toute la sagesse dont il était capable. « De toute façon, on voyait bien que ni toi, ni lui n’étiez heureux. » Parles pour toi. Lui avait l’impression qu’on venait de lui asséner un coup en plein ventre, à en perdre le souffle et la vue brouillée par les larmes. Parce qu'il était peut-être naïf, le Ronan d'à peine dix ans. Parce qu'il voulait y croire à cette histoire conte de fées qu'il s'était imaginé ses parents vivre.

tw: n/a

Maman l’aura regardé les yeux pleins d’eau lorsqu’elle le regarda s’éloigner, prêt à passer le contrôle de sécurité. « Sois prudent! » Qu’elle lâcha, assez fort pour qu’il entende. « Et ne parle pas à des étrangers. » Comme si ça allait être possible. Il allait se retrouver de l’autre côté de l’océan, dans une ville de laquelle il ne connaissait que ce que le site de l’établissement lui avait divulgué. Certes, il avait fait quelques recherches, surtout pour tout ce qui était de la scène culinaire – on ne le changerait jamais sur ce point – mais il avait eu l’impression que le temps lui avait filé entre les doigts et que c’était à peine hier qu’il avait entamé le processus d’application. Que la lettre d’acceptation n’était arrivée que quelques jours plutôt alors qu’elle avait été livrée par le facteur des mois plus tôt. Et pourtant, le voilà qui trainait une valise derrière lui, contenant presque toute sa vie, la petite prière pour s’assurer qu’elle arrive à destination en même temps que lui, le sac à dos sur l’épaule contenant un habit de rechange dans l’éventualité ou le périple ne se déroulerait pas comme prévu. La fratrie l’avait qualifié à la fois de fou, d’intrépide, et de rêveur. On s’amusait de ses aventures, à Ronan. Pourquoi ne pas suivre dans les traces des parents et rester à la maison, laissant libre court à sa passion culinaire en ouvrant un petit restaurant en annexe de la boutique? Pourquoi s’expatrier à mille lieues de sa terre natale, dans un pays qui, franchement, d’un point de vue externe, n’était pas nécessairement mieux, ni pire, que celui qui l’avait vu grandir? Pourquoi ce désir d’aller dans ce qu’on considérait comme une arnaque – parce que l’éducation qu’il recevrait allait-elle vraiment en valoir la peine? On l’imaginait déjà revenir à la maison tout pompeux, se vantant de ses exploits en sol américain, des grandes cuisines qu’il aurait fréquentées, des noms de ces célébrités culinaires passant ses lèvres comme s’ils avaient une quelconque signification pour qui que ce soit qui n’était pas de cet univers.

Si les débuts auront été difficiles, s’adapter à un nouvel endroit alors qu’on a passé sa vie entière ailleurs, qu’on subit un dépaysement total – son petit village de pêcheur lui semblait à milles lieues de ce qu’était Boulder, le Colorado – il aura fini par se faire à cette nouvelle vie, bien qu’il lui aura fallu quelques semaines. Avec cette nouvelle perspective, tout ce qu’il avait toujours connu lui semblait si petit en comparaison, si… banal. Peut-être était-ce parce qu’il s’était habitué aux paysages qui avaient été la toile de fond de son enfance, ou parce qu’il n’avait vu que les villages environnants qui n’offraient pas bien plus que son patelin natal, et qu’au final, tout ça n’avait rien de bien exceptionnel. Il aura pourtant trouvé, dans ce chez-lui qu’il considérait à l’époque temporaire, une communauté plus qu’encourageante, des amis aux passions communes, et se sera épanoui comme jamais. Maman aura dit qu’il semblait plus heureux, le plus jeune de ses fils, que même en écoutant simplement sa voix, il semblait épanoui. Il aurait aimé qu’elle puisse voir de ses propres yeux le résultat des sacrifices qu’elles et papa avaient faits toutes ces années. Il aurait voulu qu’elle puisse traverser, elle aussi, cette putain d’océan qui les séparaient, qu’elle entre dans son monde d’une façon bien plus tangible que simplement par le biais de descriptions qu’il lui aurait faites au téléphone. C’est là, encore aujourd’hui, son plus grand regret.

tw: maladie (cancer), décès parental

« Ronan. » Il savait, rien qu’au ton de la voix et au fait qu’on avait utilisé son nom complet plutôt que le diminutif, que la conversation ne serait pas des plus joyeuses. « Tu devrais rentrer. Les médecins ont dit… » Il n’avait pas besoin d’en savoir plus, pas envie non plus d’entendre qu’il était préférable qu’il prenne le premier vol d’urgence parce qu’il ne restait à sa mère que quelques jours, quelques heures peut-être même. La phrase était à peine terminée qu’il rétorqua. « Je fais au plus vite. » Parce que rien de tout ça n’était de son ressort au final. Il espérait simplement qu’il ne soit pas trop tard pour prendre le premier vol en direction de Dublin, parce qu’il appréhendait déjà les trois heures de route qu’il devrait par la suite faire pour rentrer dans son village natal après l’atterrissage. Tout ce qu’il pouvait faire à l’instant pourtant, c’était mettre quelques vêtements dans un sac, ce qu’il s’afférait à faire tandis qu’il écoutait sa sœur lui parler de leur mère, de l’aggravation de son état de santé au cours des dernières, mais de son esprit positif qu’elle continuait de garder malgré que les nouvelles soient sombres. Évidemment qu’elle restait positive. Elle avait toujours été ainsi. À voir le meilleur même dans les pires situations. Elle avait sans aucun doute passé ses journées à penser aux moindres petits détails qui allaient faciliter la vie à toute la famille après son inévitable départ, rassuré ses enfants et leur faisant promettre de ne pas s’en faire pour elle – comme si la chose était facile – sans réellement penser à elle un instant.

Après ce qui lui sembla une interminable attente interminable sur les sièges inconfortables de l’aéroport, il troqua les bancs du terminal pour ceux de l’avion qui le mènerait à bon port. Et c’est finalement plus de quinze heures plus tard qu’il retrouva cette maison qui lui était à la fois si familière, et à la fois presque étrangère aux vues des années qui s’étaient écoulées depuis qu’il y avait remis les pieds. « Elle est dans sa chambre. » Qu’avait murmuré Róisín, comme si parler ne serait-ce qu’un décibel plus fort allait à l’encontre de tout ce qui était permis en ce moment, comme si elle allait perturber le semblant de paix qui régnait dans la maison. À pas lents, Ronan se dirigea vers la chambre ou reposait sa mère. Trois petits coups à la porte avant d’y entrer, n’attendant même pas qu’on lui autorise l’accès. À la seconde ou ses yeux vinrent se poser sur le corps fragile de sa mère, ses yeux se remplirent d’eau et il se jeta à se côtés. Et comme elle avait pu le faire lorsqu’il était gamin empreint de cauchemars, elle le serra contre lui et caressa ses cheveux en lui murmurant des paroles rassurantes.  Il n’y avait pourtant rien qu’elle puisse faire aujourd’hui pour apaiser le flot de ses sanglots. Qu’y avait-il à dire, de toute façon, quand l’issue était déterminée, quand il n’y avait plus de place pour l’espoir et que les dés étaient jetés? Il se contenta de rester blotti contre elle pendant dieu sait combien de temps, assez pour que les pleurs finissent par se dissiper et que son corps ne soit plus secoué de spasmes. « J’aimerais tellement que tu restes. » Comme tous les autres, sans doute. Qui ne voudrait pas avoir un peu plus de temps avec un être aimé? Tout ce qu’il pouvait faire en cet instant était de profiter de ces précieux moments, ces derniers qu’il passerait en sa compagnie. « Tu peux aller cherchez les autres? » Qu’elle demanda, après qu’ils soient restés un long moment dans le silence. Il hocha la tête avant de rassembler ses frères et sœur, papa les joignant à la suite. Tous avaient cet air un peu sombre au visage, sachant pertinemment ce qui allait suivre. Une fois tous rassemblés autour de son lit, elle prit le temps de les regarder un à un, comme si elle tentait de graver leurs visages dans sa mémoire avant de partir. À la demande de maman, Eoin sortit la guitare et gratta les cordes de sa chanson favorite tandis qu’elle fermait les yeux, déposant les armes.

tw: adultère, infidélité,

Il avait acheté la bague six mois plus tôt. S’il s’était écouté, sans doute qu’il l’aurait fait des années plus tôt, convaincu en quelques semaines seulement qu’il avait rencontré la femme de sa vie. Parce qu’elle était belle Helen. Parce qu’elle était drôle, Helen. Qu’elle le comprenait mieux que quiconque sans qu’il ait besoin de dire quoi que ce soit. Il avait toujours rêvé, Ronan, d’une histoire aussi belle que celle qu’il avait imaginé ses parents vivre. Le genre d’histoire qui dure toujours, qui survit même aux tempêtes les plus violentes. Le genre d’histoire qui inspire les artistes à écrire chansons, histoires, et films. À peine un an après l’avoir rencontrée, que déjà il s’imaginait un futur avec elle, une famille, des gamins qui courent dans une maison achetée ici au Colorado, ou ailleurs, qu’importe l’endroit où il ferait sa vie. Tout ce qui lui important c’était qu’elle soit à ses côtés. Six mois qu’il avait passé à attendre le moment parfait, à se promener avec la petite boite dans sa poche, juste au cas ou l’instant lui semblerait opportun. Parce qu’il semblait tout avoir à l’instant. Son restaurant qu’il avait fondé deux ans plus tôt connaissant une croissance constante, et il était plus que comblé sur le plan personnel.

Il était rentré claqué à la maison ce soir-là, un peu plus tôt que prévu, la soirée étant calme, il avait pris la décision exécutive de fermer l’établissement plus tôt, donnant ainsi congé et un repos bien mérité à ses employés. Il n’avait pas pris soin de la prévenir, se disant qu’il préférait la surprendre dans un élan de romantisme, un bouquet de fleur à la main. Se délaissant de ses chaussures, il fit son chemin à travers la maison, tentant de trouver sa dulcinée. Ne la trouvant pas au rez-de-chaussée, il monta à l’étage, se disant qu’elle était peut-être dans la salle de bain à profiter d’un moment de détente après une rude journée. Aucun signe d’elle pourtant dans la pièce. La porte de leur chambre fermée, il se dit qu’elle était peut-être déjà endormie. Avec douceur, il ouvrit la porte, et il ne fallu pas plus que quelques secondes pour que le bouquet qu’il tenait ne vienne tomber au sol. Interdit, il n’arriva même pas à prononcer le moindre mot. Ce n’est que lorsque son regard croisa le sien que la scène sembla s’encrer dans la réalité. Ce n’était pas un mauvais rêve. « Ronan… » La voix comme une supplique, il fit un pas vers l’arrière tandis qu’elle en fit un vers lui. « Ne t’approche pas. » Le ton froid, la douleur pleinement visible dans ses yeux, la mâchoire serrée, il se retenait de causer une scène. L’homme qui, entre-temps s’était rhabillé en vitesse vint s’immiscer entre eux avant de dévaler les marches à toute vitesse. Au moins, il n’aurait pas besoin de lui demander de partir. « Ça fait combien de temps? » Il ne voulait pas d’explication parce que de savoir le pourquoi et le comment ne lui importait pas. Le silence pour seule réponse, il reprit sa phrase de façon plus ferme, exigeant une réponse. « Un an. » Définitivement pas la réponse qu’il attendait, mais en réalité, qu’est-ce que ça aurait changé qu’elle lui dise que c’était la première fois? Ce qui était fait était fait et il ne pourrait plus jamais lui faire confiance de toute façon. « Va-t-en. » Elle vint à le supplier, mais aucune réponse de sa part. Fixant le vide, il tentait simplement de ne pas fondre en larmes. Tandis qu’elle ramassait ses affaires, lui ne cessait de penser à ce futur qui venait de s’écrouler, et à cette bague qui était toujours cachée dans le premier tiroir de sa commode.icons par xx