I want you to hold out the palm of your hand- Ca y est, nous sommes enfin libres de vivre notre amour
Les prunelles posées sur lui brillent d’une lueur de béatitude irrationnelle et un frisson lui dévale l’échine, se répandant jusque dans ses entrailles alors que son cœur vient cogner violemment contre sa cage thoracique. Les vêtements tâchés de la jeune femme sont un indice éloquent pourtant, à cet instant, la vérité se dérobe et ses lèvres scellées se mouvent, lentement, presque hébétement.
- Quoi ?
L’incompréhension déforme ses traits alors qu’il essaie de donner un sens à ce qu’il se passe devant lui. Les indices sont importants, l’amateur d’énigmes policière devrait être en mesure de tirer les bonnes conclusions, mais son cerveau s’y refuse. Le déni s’impose, monarque protecteur qui veut le tenir éloigné de la vérité.
- Il n’y a plus obstacles mon amour, on peut être ensemble
Déclaration enflammée qui embrase son audace alors qu’elle se jette dans ses bras, le serrant fort contre elle. Enfin, il est enfin sienne. Il n’y a plus personne pour se glisser entre eux, elle a attendu si longtemps qu’il se décide mais il ne semblait jamais vouloir se positionner, c’était interminable ! Elle n’a donc eu d’autre choix que de prendre les choses en main, elle pouvait sentir son regard sur elle, les attentions qu’il avait à son égard, son cher et tendre River. Il n’aimait pas qu’elle l’appelle ainsi, mais dans ses pensées elle pouvait bien se le permettre non ? Sa tête contre la poitrine de cet homme qui régnait en maitre sur ses pensées et ses émotions, elle entendait distinctement son cœur battre, si fortement qu’elle en sourît, ravie. Il était tout aussi excité qu’elle ! Combien de fois avait-elle rêvé de ce moment ? Ce moment où il réaliserait qu’elle ferait plus que personne n’aurait jamais fait pour lui, n’était-ce pas là la preuve qu’elle était prête à tout pour lui ?
L’autre avait dû le lui dire mais elle seule en avait apporté la preuve.
De toute façon, elle l’avait su immédiatement, quand leurs yeux s’étaient rencontrés, elle avait ressenti quelque chose. Sur le moment, elle l’avait mis de côté, après tout, elle était là pour une autre raison. Pourtant de fil en aiguille, de séance en séance, l’intérêt de River à son égard ne faisait que croître. On était bien loin du simple intérêt professionnel, tout en lui signalait autre chose. De ses prunelles, à ses gestes en passant par ses paroles, doucereuses, réconfortantes, passionnées.
Elle était importante.
Quand ils se voyaient, il lui offrait toujours quelque chose, sa boisson préférée, sa pâtisserie préférée, sa confiserie préférée. Il avait retenu ses goûts, de même que chaque évènement qu’elle mentionnait lors de leurs échanges. De plus, il ne l’a jamais jugé, tantôt oreille attentive, tantôt épaule réconfortante, elle se sentait à sa place pour la première fois depuis longtemps. Ça n’avait pas été le cas avec son ancien patron malgré leur attachement incontestable.
Alors, forcément, elle s’est entichée à son tour. Et le destin semblait être de leur côté car ils finissaient toujours par se croiser dans cette immense ville, des centaines de milliers d’habitants et les voici à se rencontrer à chaque coin de rues, ou presque. N’était-ce pas là le signe qu’ils étaient faits l’un pour l’autre ? Besoin irrépressible de lui plaire -ça toujours été son problème dans ses relations-, elle avait voulu connaître ses goûts, ses habitudes alors elle avait commencé à le suivre, pas tout le temps bien sûr. Et puis son absence lui était insupportable, de fait, ces occasions calculées devenaient des instants privilégiés et attendus. C’était sa façon à elle de lui montrer son assentiment d’explorer cette relation naissante. Des moments volés à l’abri des regards, des sourires échangés, peau contre peau lors d’une étreinte fiévreuse par une journée ensoleillée. Elle s’en souvenait encore, elle dans sa robe fleurie laissant ses épaules dénudées et lui qui récupérait son macchiato du début d’après-midi. On dirait une scène de film n’est-ce pas ? Ajoutez à cela sa maladresse légendaire qui l’a conduite dans les bras de son bien-aimé, elle sentit au bras qui la soutenait que tout comme elle, River souhaitait que le moment s’éternise. Peau contre peau, son nez s’enivrait de la fragrance de son cher et tendre. La nuit de l’homme d’Yves Saint Laurent parfum qu’elle avait identifié après de longues de recherches, en rapportant un exemplaire chez elle. Peau contre peau, la distance s’immisçait entre leurs deux corps, ils étaient en public après tout et elle pouvait voir ses yeux briller devant sa tenue ma femme a la même robe. Ses compliments étaient toujours indirects mais heureusement, elle savait lire entre les lignes. Peau contre peau, elle ne souhaitait qu’une chose, recommencer.
Bien sûr comme toute belle comédie romantique, il fallait des contraintes à surmonter pour que les deux cœurs se réunissent et ne forment plus qu’un. Se chercher subtilement, des jeux de regards, des sourires en coin et des instants volés qui avaient finir par se heurter à la réalité qu’il faudra vaincre. Et la réalité c’était l’autre, celle qui empêchait que leur badinage onirique ne devînt concret. Devant l’inaction de River, elle n’avait eu d’autre choix que de prendre les choses en main .
Et c’est qu’elle s’empressera d’indiquer aux autorités. partageant sa confusion par rapport à la réaction de River, la consternation qu’elle avait pu lire, suivi d’un dégoût qui la laissait pantoise. Il l’avait éloignée de lui, la tenant à distance avant de lui offrir son dos. Incompréhension rencontre tiédeur, froideur puis colère. Et elle, implorait, suppliait, s’emportait.
La colère.
Elle gronde, en appelle à des envies de destruction. elle, lui, le monde. Il compte ses pertes, River, contemple le trou béant où disparait une caisse en bois d’un blanc immaculé. La foule est silencieuse, secouée par des sanglots, témoins éloquents de leur affliction. Manque à ce tableau River, le mari qui avait juré de l’aimer jusqu’à ce que la mort les sépare et qui n’était plus le bienvenu. D’amour à criminel, consensus de la belle-famille pour le hisser au rang de coupable au même titre qu’elle. Accusations dégueulées avec aigreur, venant assaisonner ce breuvage de culpabilité et regrets dont il s’enivre depuis que la réalité l’avait rattrapé. La fleur de lys dans sa main droite ne demande qu’à rejoindre celle qu’il avait tant aimée. L’assemblée se disperse et lui reste là, comme paralysé, incapable d’esquisser le moindre mouvement.
Le silence.
L’inertie.
Repartir à zéro. S’y essayer Mise en accusation de ses beaux-parents, besoin viscéral que la justice humaine le déclare coupable. Il doit payer, il n’y a pas de fumée sans feu n’est-ce pas ? Ils se laissent convaincre par la version d’une histoire extra-conjugale, ce ne serait pas la première fois après tout. River avait déjà été infidèle dans le passé et même si le couple avait décidé de se retrouver, il n’est pas exclu qu’il ait recommencé. La version de la patiente était bien trop éloquente pour des parents en deuil, surtout si l’assassin échappait à la prison au profit d’un internement chez les fous.
Des semaines, des mois de procédure, à salir sa réputation auprès de ses pairs, de ses amis et de sa communauté. Des poursuites qui ont fini de vider son compte en banque et de l’isoler du monde. Non-lieu, innocent devant la loi mais les murmures le précèdent où qu’il aille, plus encore lorsqu’il se retrouve seul bénéficiaire de l’assurance vie de sa femme.
La fuite.
Quête vaine pour échapper à son passé, à lui-même. Une errance de plusieurs années à caresser l’idée de la rejoindre, sans y parvenir réellement. Le soutien de sa famille est la barricade qui l’empêche de faire le grand saut alors qu’il n’est plus que l’ombre de lui-même. Ses pieds avancent, sans but, sans conviction, comme un détenu attendant son exécution… qui n’arrive jamais. Alternant entre reconnaissance et ressentiment pour cette promesse faite à sa fratrie, il est forcé de voir un lendemain, puis un second, puis un troisième… et ainsi de suite jusqu’à qu’il prouve cette phrase si souvent utilisée, le temps file, le temps n'attend personne. Le temps guérit toutes les blessures, bien qu’il transforme irréparablement. Une coquille vide reprenant peu à peu une apparence humaine lorsque sa route croise ce qui semblait être un énième visage dans la foule d’anonymes, une autre cliente qu’il aurait dû cotoyer ponctuellement. Elle viendra pourtant secouer son monde, éclairer des recoins de son âme qu’il avait délaissés. Elle bouscule ses certitudes, l’ébranle plus que de raison et il en vient à se dire peut-être, River, peut-être qu’il est temps. Filiation émotionnelle de l’incompréhension à la consternation un brin d’épouvante et de soulagement quand elle s’en va. Parfois il s’installait à leur point de rendez-vous habituel, regardant la nuit être peu à peu dévorée par l’aube, en écho ce rire si communicatif qu’il entend même en son absence. Retour à ses habitudes, à ce quotidien méthodique et incolore qui semblait pleinement le satisfaire. Jusqu’à ce qu’il reçoive une invitation à la rejoindre, à les rejoindre et qu’il ne lui faut qu’une journée pour se décider. Il se présente à la porte, des dizaines de questions en tête qui s’évanouissent lorsqu’elle apparait devant lui. Il est au bon endroit, se dit-il, pour l’heure, c’est suffisant. Sa survie tient sur le fait de se concentrer sur l’instant, demain n’est pas garanti.
Toutefois huit mois plus tard, resserrant son étreinte autour de Tab, il se surprend à songer à l’avenir, des desseins furtifs qui raniment ce myocarde qu’il pensait à jamais débranché.